lundi 24 mai 2010

Api end

Modeste contribution au choeur des enthousiastes de la Palme 2010 : une danse de joie inter-planétaire où communient humains, extra-terrestres, fantômes et conquérants, soit autant de figures que le cinéma d'Apichatpong Weerasethakul aura su nous rendre familières.

(Sources : Syndromes and a century (2006) et un certain évènement de l'histoire de l'humanité).

vendredi 21 mai 2010

Copies qu'on forme

Faire venir à la rescousse le discours pour se persuader qu'on apprécie le dernier opus de cinéastes qu'on a tellement aimés, c'est l'impression à la fois désagréable ("spontanément, ça ne me touche pas") et stimulante ("si je gamberge, c'est que le coup n'est pas si raté") ressentie tant devant Copie Conforme (Abbas Kiarostami) et Rebecca H - Return to the dogs (Lodge Kerrigan).

Somme toute, voilà deux films qui, après Lynch, explorent l'application de constructions géométriques à l'art narratif : le ruban de Möbius sentimental pour Kiarostami et la mise en abyme inland-empirienne pour Kerrigan. Corollaire immédiat de tels projets, l'écrin offert à leurs actrices principales, entre portrait en majesté et mise à l'épreuve devant l'oeil mi gourmand mi inquisiteur du cinéaste. On pourrait louer la grande malléabilité de tels dispositifs, finalement moins rigides qu'ils n'en ont l'air : une certaine et inattendue légèreté musicale affleure chez Kiarostami quand la noirceur de Kerrigan vire parfois au magnétisme. De telles dispositions lancent d'indéniables mécaniques de cinéma qui, comme qui dirait, posent de passionnantes questions de représentation et d'incarnation, mais c'est peut-être un peu cela qui me gêne : le discours indécollable de la surface des images (le Kerrigan se paye même le luxe d'inclure, au bout de 20 minutes, sa propre conférence de presse pour narrer le processus de son film maudit - une évocation de Grace Slick la chanteuse de Jefferson Airplane - en train de se fabriquer sous nos yeux).

Et puis, somme toute, tous ces motifs de la reproduction, tous ces débats sur la valeur de la copie et de l'original, toutes ces interactions entre une égérie et un démiurge, je les trouve déjà dans cette petite vidéo :



Me fascine surtout le moment où se superposent l'image et son modéle, pour laisser poindre derrière le masque, une beauté d'un troisième type, encore plus indécidable : nature ou culture ?

Cela dit, cette fugitive beauté, on la retrouve tout au bout du film de Kerrigan, quand lui-même procède au remake interrogatif (un peu sur le mode du H-Story de Suwa) de cette séquence :



... et touche enfin à une douceur nouvelle, via cet humble play-back d'images et de sons, bel hommage à la puissance des images de Pennebaker.

Récurrence des copies et dédoubements : les images de la montée des marches de l'oubliable Fairgame (Doug Liman) ont des accents très de-palmiens (artiste et modèle, body double) avec le duo entre Naomi Watts et Valerie Plame, l'espionne qu'elle incarne (et qui surgit à l'écran dans les dernières images du film). Tout cela pour dire que les exercices de copies et d'admiration viennent parfois se nicher là où l'on s'y attend le moins et qu'après le picturalisme serein et/ou doloriste des moines de Xavier Beauvois, la fabrique à icones n'en finit pas de turbiner.

lundi 17 mai 2010

Objets inanimés

"Des objets qui deviennent des êtres humains et des êtres humains qui deviennent des objets". Il n'y a pas que l'archi-buzzé Rubber (qui au cas où vous l'ignoreriez prend pour héros un pneu tueur) à partager ce credo. C'est aussi celui délivré en conférence de presse par Michelangelo Frammartino à propos de son ample poème de folk-cinéma Il Quattro Volte.
A ce film, on pourrait mettre en exergue les paroles du Col de la Croix-Morand (Jean-Louis Murat):
"Quand montent des vallées / les animaux brisés / par le désir transhumant / je te prie de sauver / mon âme de berger".
Car c'est bien cette âme qui au cours des quatre parties du film paraît voguer, être épié puis recueillie par la caméra, fuyant le corps d'un vieux beger pour ensuite passer au coeur de son troupeau, puis vers un arbre sacré (elle est là l'Arlésienne du Tree of life de Malick !). De là, le film tient son pari de passer du côté du règne animal puis carément d'adopter le "point de vue" de la matière concrète du monde. Dit comme ça, on craint le trip new age Mais c'est aussi la malice de cette célébration qui lui évite d'échapper au trip new age mâtiné d'éloge de la régression et des choses simples dont la civilisation moderne nous aurait éloigné. Frammartino, comme Suleiman, appartient à cette famille de rares cinéastes respectueux de l'éthique et de l'intégrité du plan-séquence comme des vues Lumière, mais qu'ils savent pimenter par quelques accents tatiens ou keatoniens.

Parvenir à captiver avec le destin d'un pneu ou d'un tronc d'arbre n'est pourtant pas une nouveauté spécifique à cette édition cannoise. A la projection du film ready-made de Dupieux (un slasher tourné par Marcel Duchamp), me sont revenus mes (quasi) premiers souvenirs de cinéma liés à un film oublié (de moi comme de l'histoire du cinéma): Le Ballon rouge (Albert Lamorisse 1956) et à la simple magie de voir des objets se voir dotés d'une belle nervosité. Au ressenti des ambiances comparables lors des deux projections (rires émerveillés des mioches d'hier, ricanements complices des post-ados trentenaires d'aujourd'hui), je pourrais méditer longtemps sur le voisinage de réaction et la connexion mentale entre ces deux films, mais quelque part, elle est éclairante sur la sincérité du geste de Dupieux, geste limité et suspect de snobisme branchouille (et pour ma part, je trouve ça plus drôle que Steak), mais geste tout de même net et intègre.

Pour l'ocassion, tremblez lecteurs ! Un petit mash-up entre Lamorisse et Dupieux : REVENGE OF THE THINGS !

Bientôt, je parlerai peut-être du Socialisme à visage godardien, vu enfin ce matin à vitesse normale.

dimanche 16 mai 2010

A bigger splash... of cinema

Bon, ça y est. Cannes depuis cinq jours déjà. Les écrans ont été maculés d'images inédites. Déjà une quinzaine de films passés devant les rétines, et (désolé, chers lecteurs) l'envie d'écrire qui ne vient que maintenant. Il faut dire que beaucoup se sont révélés intéressants, mais peu ont soulevé l'enthousiasme. On laisse encore un peu mariner tout ça, en espérant, dans les prochains jours, combler le retard.
***

En haut : Achille et la tortue (Takeshi Kitano 2009)
En bas: This too shall pass (Clip de OK GO 2010)
Avec Outrage, Kitano continue, à coups de rires secs et de claquements de dents, sa relecture toute personnelle de l'histoire de l'art contemporain. Plus qu'une seule couleur dans la palette : rouge sang. A l'action painting succède le body-art (options mutilations de doigts de yakuzas) dans l'exploration ludique et parfois brillante d'une hiérarchie de la pègre aussi alambiquée que les usines à gaz (Rube Goldberg machine en VO) du clip d'OK GO. Le meilleur du film tient sans doute à son usage des cicatrices et des blessures comme autant de masques et postiches superposables. De fait, le film est vraiment beau dans son simple filmage des visages : portraits mutiques ou faces outragés. Alors, s'agit-t-il d'un "grand Kitano" ou d'un "retour nerveux" sympathique mais d'une moindre portée ? Encore difficile de trancher à la sortie de la projection.
Reste que ce que sur quoi surfe Kitano, ce plaisir à se perdre dans les arcanes du pouvoir, de la manipulation, de la soumission, on le ressent également très fort dans I wish I knew, le documentaire de Jia Zhang-Ke consacré à l'histoire de Shanghai racontée par 18 témoins (dont beaucoup sont liés au cinéma). Après le coup de froid conceptuel de 24 City (2008), cette dernière livraison surprend par sa musicalité, son sens du collage visuel et de la citation, sa douceur formelle, mais aussi donc par l'oralité de son flux feuilletonnesque voisin de celui d'une Série Noire (règlements de comptes, pactes, arrangements). Conjurant quelque peu l'aspect "film institutionnel voire officiel" (commande de l'Expo Universelle si j'ai bien compris), Jia Zhang Ke livre aussi là en (gentille) contrebande sa petite Histoire du Cinéma, en interrogeant nombre de témoins liés au septième art (suivant la vieille, mais toujours charmante antienne, que le cinéma n'est pas uniquement un témoin de son temps, mais aussi un acteur).

lundi 10 mai 2010

Dernière chanson ?

Attention spoiler ! L'ultime et bouleversante scène d'un film que je n'ai pas vu, mais qui va vite trouver sa place dans mon anthologie personnelle "larmes et chansons".



Pour en savoir plus, je ne peux que vous encourager à aller lire par ici.

Nouveau super héros ?

Entre carapace de gladiateur et Bouche de la Vérité ?

jeudi 6 mai 2010

Jeunesse brûlée

Des garçons, des filles et des voitures.

Dans le premier film (Le départ - Jerzy Skolimowski1967), le garçon rêve de participer à une course automobile, mais le jour J, il préfère rester avec une fille. Le départ n'aura pas lieu. Ou si, mais pas celui qui l'obsédait.

Dans le second film (Macadam à deux voies - Monte Hellman 1971), le garçon ne cesse de participer à des courses automobiles, mais le jour J, il aurait préféré que la fille soit là.

Que vaut-il mieux ? Louper un départ fantasmé ou en vivre un dérisoire ?

Peu importe, toute l'énergie et la jeunesse de ces deux films se consument sur place dans leurs dernières images.

***
Portraits de la mélancolie masculine, ronronnements épais (et libidineux ?) des moteurs, films auto-dégradables... Je n'avais pas le souvenir que les fins de ces deux films étaient si semblables. (Démonstration sur pièces ICI).

Et l'impression qu'on cite toujours le final d'Hellman (que je ne cherche pas du tout à minorer) comme l'un des plus singuliers de l'histoire du cinéma alors qu'on aurait presque oublié celui de Skolimowski. Peut-être aussi que les deux films sont bien plus antagonistes qu'ils n'en ont l'air. Tous deux ont l'air de se terminer sur un échec, mais celui de Skolimowski, c'est un élan funambule qui brûle ses derniers vaisseaux et passe à autre chose quand celui d'Hellman est une victoire à la Pyrrhus : parvenir enfin à signifier une limite dans un espace qui n'en contient plus. Le départ finit précisément parce qu'il ne veut pas s'engager là où démarre Macadam à deux voies : sur la route où infini rime avec ennui (même si le film d'Hellman ne l'est pas du tout ennuyeux).

[Remerciements à Arnaud-Alemo qui dans les commentaires d'une lointaine note me suggérait ce rapprochement.]