vendredi 29 février 2008

Le jour de plus

Dans sa grande bonté, le calendrier nous offre un jour de plus, pour nous permettre de rattraper ce que l'on s'était promis de faire. Ce jour sera donc consacré :
- au classement ,
- à la reconnaissance officielle ,
- à la lutte ,
- aux comptes ,
- à la lecture.

Si après tout ça, il reste encore des trous dans l'emploi du temps, ils peuvent être comblés par la énième vision de ce film rempli de "jours en plus", film absolument inlassable, inépuisable, mais film peut-être beaucoup plus triste, flippant et paranoïaque que sa simple allure de comédie le laisse présumer.

Sinon, au chapitre parano, intéressant syndrome qui semble toucher les mômes ...

dimanche 24 février 2008

Artiste et modèles (2) : A bigger splash (Jack Hazan 1974)

Et si A bigger splash (Jack Hazan 1974) pouvait se lire comme le flash forward désenchanté de ... Blow up (Michelangelo Antonioni 1966) ?

Extinction des derniers feux du swinging London et plongée dans les tréfonds des images (photo chez Antonioni, peinture de David Hockney dans sa « suite » informelle) en quête d’indices du passé.
***

La fête est finie. Les couleurs pop sont encore là, mais ont perdu de leur éclat. Les musiques se sont tues. Les sourires juvéniles se sont envolés. Et pourtant, les rues et les appartements londoniens portent encore les effluves du swinging London. Ce qui était pimpant s’est délavé, ce qui se chantait désormais se marmonne. Confessions sur canapé et évocation des élans si proches et pourtant à jamais évanouis. Découvrir aujourd’hui A bigger splash, ce n’est pas tant se laisser éclabousser par la nostalgie que de laisser ses narines chatouillées par une fragrance mélancolique directement « encapsulée » sur la pellicule en 1974 pour n’être libérée que trente ans plus tard. Premier effet d’un film qui paraît le miroir d’un autre « time capsule » nettement plus connu : Blow up. Etonnant effet gigogne. Les effluves spleenétiques du film d’Hazan paraissant elles-mêmes naître des émanations fanées du film d’Antonioni. A bigger splash, c’est ce qui reste de Blow up quand toute la vitalité, tout le pétillement s’est éventé.

Autre voisinage avec Blow up : la plongée dans les images, la façon de les scruter pour traverser les apparences. Dans Blow up, c’est le célèbre motif de l’agrandissement infini de la photo pour y déceler les indices d’un possible crime, mais surtout une vérité au-delà de l’éphémère.

Dans A bigger splash, ce sont d’étonnants face-à-face non seulement du peintre avec sa toile (ce qui n’aurait rien de particulièrement original dans un film sur la peinture), mais, plus étonnant, entre les modèles choisis par Hockney et leurs « figures » peintes sur la toile (à l’instar de cet extrait, assez étonnant duel).

Moments méditatifs au-dessus desquels semble planer le mystère d’un sentiment dérobé au modèle que ce dernier tenterait de retrouver sur la toile. Car c’est aussi ça de ce dont témoigne A bigger splash : la part vampirique d’un artiste, pôle magnétique d’une communauté d’esprit, mais surtout de sentiments. On n’est certes pas à la Factory de Warhol. Tout y est plus doux, plus feutré, plus délicat, moins drogué, moins hystérique, moins bruyant, mais l’attraction d’Hockney sur son entourage n’est pas sans rappeler celle du Drella de Manhattan.

Amusant également de voir comment ce parallèle peinture / photo qu’il s’agirait d’examiner dans ses moindres détails annonce, en quelque sorte, le travail postérieur d’Hockney fondé sur une diffraction des points de vue pour donner lieu à d’étonnants portraits ou paysages à la fois hyperréalistes comme totalement déstructurés.
Portrait de Kasmin (David Hockney 1982)

Place Furstenberg (David Hockney 1985)

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Un mot enfin sur l’auteur Jack Hazan. En quelques mois, j’ai découvert ses deux principaux films (A bigger splash et Rude Boy 1980) et suis frappé par la singularité de la démarche de cet « auteur » oublié : dresser le portrait d’un artiste dans son quotidien le plus absolu (une scène comme celle de Rude Boy, où Joe Strummer passe son tee-shirt des Brigades Rouges au bonux dans le lavabo de sa chambre d’hôtel, on ne peut pas l’inventer) qui sert de révélateur à une époque, une société (les derniers feux du swinging London dans A bigger splash, les premiers du thatchérisme dans Rude Boy). Mais il y a mieux!

Si A bigger splash trouve son premier acte dans Blow up. Rude Boy paraît trouver son complément dans un roman de Jonathan Coe : Bienvenue au club (2001) qui suit l’éveil musical, sentimental et politique d’un groupe d’adolescents au tournant de la déflagration punk ska.


Lequel roman se poursuivra avec Le Cercle fermé (2004) où vingt-cinq ans plus tard, les mêmes personnages se dépatouilleront de leurs vies d’adultes blairistes.

Soit en seulement une ville – Londres - trois artistes - Michelangelo Antonioni, Jack Hazan, Jonathan Coe - et cinq œuvres - Blow up (1966), A bigger splash (1974), Rude Boy (1980), Bienvenue au club (2001) et Le Cercle Fermé (2004) - de quoi dresser le tableau de 40 ans de mutations esthétiques, politiques et musicales d’une société. On essaye de faire aussi bien pour chez nous ?

samedi 23 février 2008

De loin, quand j'ai vu...

... cette affiche sur tous les murs de Paris (surmontée du slogan "les femmes prennent le pouvoir"), j'ai vraiment cru que c'était pour la campagne de Françoise de Panafieu. Bah non, c'est juste pour annoncer la diffusion Canal d'une nouvelle série où Glenn Close fait la méchante, série qui contient pourtant déjà, en exclusivité....
... la tête que fera FDP le 16 mars vers 18 heures quand elle apprendra son score.

mercredi 20 février 2008

Pop up , Pop pulp

Dans la série "idées simplissimes mais d'une rare expressivité",

... découverte du travail de Thomas Allen. De simples découpages et pliages de silhouettes sur des couvertures de "pulp fictions" originels. Le principe du "pop-up" des livres pour enfants appliqués aux romans de gare pour adultes. Un simple passage des deux aux trois dimensions qui donne tout de suite une vraie vie à ces personnages de papier et paraît en soi appeler la fiction.



On pense bien sûr à Tarantino dans cette façon de réinsuffler de la sève et de la vigueur à des archétypes fatigués, mais plus encore....


... à Fast Film (Virgil Widrich 2002).

Cet incroyable et revivifiant passage à la centrufigeuse de toute la mythologie hollywoodienne : tout un âge d'or du cinéma ramené à l'état de papiers virevoltants et de figurines fétichisées.

dimanche 17 février 2008

Artiste et modèles : En avant jeunesse (Pedro Costa 2006)

A gauche: En avant jeunesse (Pedro Costa 2006)
A droite: Nature morte (Giorgio Morandi 1957)
En avant jeunesse film hanté par la peinture ? Oui, mais alors par celle qui avec une palette volontairement éteinte, peint non pas tant avec les couleurs qu'avec l'infime lueur sans cesse traquée pour animer le coeur de chacun de ses tableaux.
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Au dessus: En avant jeunesse (Pedro Costa 2006)

En dessous: Le Corbusier devant son cabanon (1952)

En avant jeunesse film hanté par l'architecture ? Oui, en ce sens qu'il revient sur une question qui a sans cesse hanté l'architecture du mouvement moderne (Le Corbusier et consorts années 20-années 60): existe-t-il un habitat minimal ? Un espace minimal ? Une essence de l'habiter ?

***

Premier plan d’ En avant jeunesse. Façades bringuebalantes mais imposantes en clair-obscur, fenêtres grandes ouvertes comme des trous noirs et les meubles jetés par la fenêtre. Il n’y avait déjà pas grand-chose à Fonthainas, quartier insalubre de Lisbonne. Il y en aura encore moins. Pourtant, la première impression dégagée par cette architecture ne respire pas tant le misérabilisme qu’une paradoxale puissance expressionniste : comparable à celle ressentie…


… devant les représentations urbaines des villes sur les toiles de Giotto (ici Saint-François chassant les démons d'Arezzo, vers 1290) : mêmes murailles imposantes, même imbrication d’édifices étroits, plutôt verticaux, très resserrés les uns contre les autres. Avant d’être un bidonville (ou pour dire pudiquement « un quartier voué à la restructuration »), Fonthainas est un reliquat d’urbanité médiévale : malgré la nudité et la pauvreté des matériaux, le travail naturel de l’imbrication et de la sédimentation finissent par créer une ville objet, habitable a minima, presque une ascèse urbaine. L’espace domestique, réduit à l’essentiel fait corps avec les habitants. A peine plus solides que des huttes et des cabanes, mais pourtant d’une densité spatiale telle qu’une communauté parvient à y trouver ses repères. Le paradoxe est que la question cruciale « comment habiter » se pose désormais bien plus dans les quartiers modernes qu’entre les murs branlants de Fonthainas. On retrouve là une aporie à laquelle toute l’architecture moderne s’est heurtée durant toute sa glorieuse épopée (en gros entre les années 20 et 60). Est-il possible de construire de manière savante un habitat minimum, économique, profitable au plus grand nombre, quand par ailleurs cette même essence de l’habitat se trouvait dans les interstices de l’architecture vernaculaire, issue d’un savoir-faire secret, d’une mémoire si spécifique, si locale a priori impossible à reproduire ?

Dans l’histoire de l’architecture moderne, quelques réponses jalons :


- le cabanon de Le Corbusier (cf lien un peu plus haut).

- et surtout une démarche entamée par l’alors jeune Roland Simounet (futur architecte du Musée Picasso) en 1954, qui rappelle en un certain sens celle de Pedro Costa : immersion dans le bidonville algérois pour en saisir la façon de l’habiter. Pas une immersion à visées sociologisantes, mais plutôt dans le but de traquer gestes et postures de l’habitat, gestes et postures qui, là encore comme chez Costa, finissent par constituer une mémoire, une archive vivante.

« L’étude du bidonville nous apparut évident. [...] Étant le plus jeune et le plus disponible, j’étais tout désigné pour travailler sur le terrain. A cette époque, évidemment, nous étions un peu rédempteurs, mes aînés imprégnés de conceptions hygiénistes étaient impatients de découvrir les résultats de l’enquête. Je me glissais donc dans ce monde inconnu et réputé hostile. [...] A mon grand étonnamment, je découvrais un habitat spontané, ingénieux, économe de moyens. Des espaces maîtrisés, un respect de l’ancrage et de la végétation. Une vie de quartier organisée, une solidarité saisissante.»

Roland Simounet (1954)

Méthode permettant de faire naître ...

... un projet architectural dit "moderne"...

…. nourri de l’étude de l’existant.

Singulier aveu d’humilité de la part d’une architecture rattachée au « mouvement moderne » habité d’un messianisme assez peu soucieux des sites d’implantation. En somme, tout le contraire des architectures blanches, anonymes, sans échelle (et pourtant quelque part assez antonioniennes) du nouveau quartier d’ En avant jeunesse. Ce qu’il manque à cette architecture, c’est tout simplement un sentiment de foyer, une flamme, la flamme qui obsède aussi bien Cézanne que Costa.

***
« Voir le feu caché dans une personne ou un paysage. » Paul Cézanne
« S’il n’y a rien qui brûle dans un plan, ça ne vaut pas la peine. » Pedro Costa (d'après cette source bien précieuse)

A gauche: En avant jeunesse (Pedro Costa 2006)

A droite: Madame Cézanne au fauteuil jaune (Paul Cézanne 1890)

Et pour continuer sur la peinture, un tout dernier parallèle :

Drapé austère, verticalité pénitente, et lumière sur le pied.

En haut: En avant jeunesse (Pedro Costa 2006)

En bas: Saint-François d’Assise (Francisco de Zurbaran 1634)

mercredi 13 février 2008

Nous 2 + 1

Hier soir, nous sommes partis à deux, sachant bien qu'on allait revenir à trois.

+1 donc.

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Petite devinette sur le prénom de notre fille: le même que celui... ... d'un projet scientique européano-américano-japonais pour la construction conjointe d'un réseau de 64 radiotélescopes connectés électroniquement sur le haut plateau Altacama du Chili à 5000 mètres d'altitude pour limiter les perturbations atmosphériques sur les observations.
... de la femme, coscénariste et scripte d'Alfred Hitchcock.

... et d'un pont de Paris célèbre pour sa flamme et son zouave.
(mais tout ça, je viens de m'en rendre compte après une requête sur Google Images).

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Haïku du jour:


Gaga comme tous les papas, je suis.

Fière comme toutes les mères, elle est.

Et inversement comme tous les parents.


(Photogrammes: Yi Yi (Edward Yang 2000) et Mauvais Sang (Leos Carax 1986), deux des plus beaux films du monde. Si Alma s'intéresse au cinéma, elle tombera forcément dessus un jour ou l'autre, mais elle fera ce qu'elle veut cette petite.)


***

Arrivée avec cinq semaines d'avance, ce qui dénote une belle impatience. Peut-être a-t-elle entendu parler de ce film qui sort enfin au titre si magnifique...

... qu'elle a voulu le mettre aujourd'hui même en application en sortant de sa tanière pour aller à la rencontre du monde.

En anglais, "En avant jeunesse", ça donne:

Colossal Youth (Young Marble Giants 1980)

Une jeunesse colossale, c'est le mieux que nous pouvons lui souhaiter pour les prochaines années.

***

Pourquoi n'avons-nous pas eu l'idée, la patience et la méthode pour faire ça ?

lundi 11 février 2008

Le rapport Clermont

Nombre de courts-métrages (compétition française et internationale) présentés à Clermont : 132
Nombre de courts-métrages vus à Clermont : 62
Pourcentage vu : 46,9 %
Légitimité, fort de ce pourcentage, à dresser un bilan sur le court-métrage contemporain : 0 %


Mais pourquoi se gêner…

Comme tout le monde, j’aime bien Como tudo el mundo de Franco Lolli, le Grand Prix français de cette année...


... mais je l’aime seulement bien et je suis un peu étonné de le voir ainsi consacré. Comme tout le monde, j’apprécie cette chronique sensible, agréable, bien jouée, bien photographiée, qui ne manque pas de moments forts mais qui sont quelque peu aplanis par une forme assez appliquée. Trop de soin dans la réalisation écrête finalement quelque peu une intensité dramatique naissante qui aurait pu être renforcée par un surcroît d’enjeux (ou des enjeux autres que simplement affectifs).

Comme tout le monde, j’ai noté qu’en général, les courts-métrages hexagonaux restaient dans la tranche de vie, la variation autour d’une situation de départ, sa déclinaison jusqu’à épuisement (beaucoup de films qui s’arrêtent quand ils n’ont plus de souffle) plutôt que dans le véritable déploiement fictionnel, la découverte de perspectives inattendues capables de transformer aussi bien les protagonistes de l’histoire que le spectateur.

Du coup, ça fait tout drôle de découvrir un film solidement scénarisé et fort bien joué comme Auf der Strecke (fausse route) de Reto Caffi (Grand Prix international).



Malgré un point de départ qui ne respire pas la folle originalité (un agent de sécurité rongé par la culpabilité après avoir décidé de ne pas venir en aide à la victime d’une agression dans le métro) et un recours aux images de vidéosurveillance qui paraît carrément périmé, le réalisateur orchestre une fiction tortueuse et habile dans son maniement des faux-semblants, une fiction qui durant sa demi-heure de durée reconsidère plusieurs fois les rapports entre des personnages complexes, et rendus de nous très proches par leur force d’incarnation. Rien de révolutionnaire là-dedans, mais de la solide ouvrage.

Si l’on osait les ridicules clichés critiques, on parlerait là de « la grande forme du nouveau cinéma allemand », mais dans ce festival, il y a toujours des films qui paraissent principalement occupés à entretenir les clichés de leurs propres cinématographies : les Italiens font soit dans la prise de conscience sentimentalo-adolescente au sein de la cellule familiale (Giganti de Fabio Mollo) soit dans le sketch régionaliste poussiéreux (Lacreme napulitane de Francesco Satta), les Anglais dans la farce incorrecte, habile mais roublarde (I’m Bob de Donald Rice où le vrai Bob Geldof n’est reconnu par personne dans un concours de sosies), les Belges dans l’absurde répétitif (Missing de Matthieu Donck).

Parfois, ces effets de reconnaissance à gros traits ont pourtant du bon tant des cinéastes débutants parviennent à s’inscrire dans le sillage de glorieux aînés, tout en affirmant déjà leur singularité.

Ainsi, Wazki (Libellules) de Justyna Nowak...



... paraît retrouver l’élan et la vitalité des premiers films de Milos Forman (bon, elle est polonaise, il est tchèque mais ça reste « cinéma de l’Est ») mâtinés d’une fougueuse et solaire impatience.

The whale in the west sea de Jae-won Kim évoque le cinéma d’Hong Sang-Soo avec, si c’est possible, un poil plus de malaise mais tout autant d’empathie dans la description de la dérive de ces deux vitelloni, si piteux mais paradoxalement attachants.

Enfin, I love Sarah Jane de Spencer Susser (qui passe au MK2 quai de Seine lors de la soirée Bref du 12 février) ...



... pourrait revendiquer plus d’un parrainage. Davantage que la déclinaison du film de zombies, ces treize minutes peuvent se targuer de poser un nouveau jalon dans l’exploration de la cruauté adolescente quelque part entre Sa majesté des mouches, Romero et Larry Clark. Où là encore, quand le cross-over des pitchs hollywoodiens crée des petits miracles d’intensité et de maîtrise.

Pour en revenir aux tendances d’ensemble, la majeure de cette année, c’est « organique déréglé » : côté cul, beaucoup de scènes pour peindre une sexualité plus ou moins harmonieuse, et côté corps, quantité de mutilations, d’accidents, de membres handicapés, d’arrachages de dents sans anesthésie ou de tronçonneuses qui glissent des mains. Mais le film le plus singulier sur le corps l’a plutôt célébré triomphant. Erémia Erèmia (tranquillité, solitude) d’Olivier Broudeur et Anthony Quéré (Prix spécial du jury national), film sans intrigue mais pour autant intrigant qui filme le sport comme un travail et le travail comme un sport, mais un sport pas tant du côté de la performance que de la pratique zen. Assez difficile de faire dire quoi que ce soit à ce film si ce n’est de considérer cette ascèse filmée comme étant elle-même un entraînement du regard de ses auteurs.

Sinon, sans surprise, s’il y a bien un domaine où la France d’en bas a pris le pouvoir depuis plusieurs années, c’est bien le court-métrage hexagonal. Là encore, ce n’est pas dommageable en soi mais cette accumulation de films teintés de naturalisme ou rêvant de ressusciter le réalisme poétique à coups de confrontations familiales en pavillons de banlieue, de trognes audiardisantes, de stations-service abandonnées, de bal des ferrailleurs ou de F3 d’HLM avant destruction produit au final une équation que je suis presque gêné d’avoir trouvée : format court = petites histoires de petites gens, alors qu’on ne voit pas pourquoi il faut toujours aborder ces milieux et ces situations sous l’angle du volontarisme poétisant – assénés avec un tel sérieux et une telle application que cela ne rajoute que du pittoresque au pittoresque – et surtout pourquoi il faudrait s’interdire le « bigger than life » ou tout du moins le décollage inspiré du réel.

Ce léger décollage du réel, je l’ai par exemple trouvé dans deux films français peut-être volontairement limités mais assez réussis et que je rapproche dans leur façon d’explorer l’espace domestique : Pour de vrai de Blandine Lenoir et C’est pour quand ? de Katia Lewkowicz.

Le premier est une vraie expérience de cinéma, où le processus compte peut-être davantage que le résultat.



Il commence comme un émouvant monologue d’une mère à sa fille (morte ou dans le coma ?) dans une grande maison déserte. Pas beaucoup de repères et un onirisme déambulatoire qui fait de la maison un réel personnage. Puis petit à petit, des protagonistes entrent dans le champ et perturbent volontairement le récit qui révèle sa dimension artificielle voire farcesque. Assez étonnant de voir dans un film une montée d’émotion volontairement dégoupillée pour déboucher sur un registre opposé. Encore une expérience à la Une sale histoire (Jean Eusatche 1977), mais plutôt sur une opposition de registre drame / comédie ou « on y croit » / « on n’y croit plus ». Présenté comme tel, le film paraît assez théorique, mais il a le bon goût de rester assez fantaisiste, amusant et ouvert à l’imprévu.

Enfin, C'est pour quand ? me conduit à une action que je pensais ne devoir jamais avoir à faire sur ce blog : dire du bien de Benjamin Biolay dont l’attitude de Droopy tête à claques révèle un vrai tempérament d’acteur. Il forme là un duo savoureux avec Valérie Donzelli en couple qui vit un coup de foudre en plein milieu d’un dantesque goûter d’anniversaire, réunion de famille. Là encore, la virtuose déambulation à l’intérieur de l’appartement, la façon de révéler un espace domestique qui vire à la démesure et au grotesque (mais sans que rien ne soit exagéré) apporte une incroyable dimension au film et transforme cette anodine rencontre constamment interrompue par des « fâcheux » en tout genre en dérisoire odyssée familiale où, plus que jamais, amour et amertume commencent par la même syllabe et ne semblent pas aller l'un sans l'autre.

Car finalement, les films que j’ai retenus ne sont peut-être pas forcément les plus objectivement réussis ni les plus séduisants, mais ceux qui, en tout cas, ne sont pas effrayés par le fait de tenter quelque chose, quitte à ce que le résultat donne une forme étrange.

Je me suis toujours demandé pourquoi le court-métrage français, pourtant largement financé par les régions, ne traitait que marginalement la question de l’espace naturel et du paysage. Symptôme d’un pays qui a toujours joué l’histoire (et partant le récit) contre la géographie (au contraire des Américains) ? D’où mon plaisir de découvrir deux films l’un français (Black Melody d’Elodie Monlibert), l’autre américain (Train Town de Keith Bearden) qui se distinguent par une approche paysagère et topographique capable de prendre en charge à elle seule la fiction.

Dans Black Melody, on sent plusieurs ombres portées : celle d’Akerman ou de Vincent Gallo pour le road-movie caméra collée au pare-brise et l’apparent nombrilisme de l’entreprise, celle des Climats (Nuri Bilge Ceylan 2006) pour l’argument (un couple ni avec toi, ni sans toi, trop tôt pour la séparation, trop tard pour l’harmonie), voire celle d’une Avventura miniature, mais plutôt pour les réactions de soupirs et les sifflements de fin de projection.



En bon snobinard, je devais être l’un des seuls dans la salle à avoir été intéressé. Même si chaque plan est loin d’imposer le sens de la durée et de la scénographie des paysages naturels dont font preuve ses modèles (conscients ou pas ?), le film finit par convaincre. Déjà parce cela faisait bien longtemps que la cinégénie naturelle de Marseille et de la Corse n’avait pas été célébrée au cinéma, mais surtout parce que les paysages (dans leurs accidents, leurs intensités comme dans leur grisaille) et le son d’ambiance (le ballottement de la mer, les raps qui sortent de l’autoradio) finissent par prendre en charge assez naturellement les métaphores affectives et psychologiques du film qui si elles devaient être explicitées dans le dialogue apparaîtraient d’une terrible noirceur. A la limite, j’aurais aimé que le film soit encore plus radical, qu’il s’exonère totalement de dialogues, qu’il fasse encore plus durer les plans, mais c’est déjà une belle tentative.

Train Town aborde lui le paysage par le biais de la miniaturisation, en mettant en scène un conflit idéologique entre deux tenanciers d’une boutique de modélisme.



Est-ce l’équation court-métrage = maquette de film ? En tout cas, voilà un film où les paysages de trains électriques (constamment remodelés par nos deux héros) deviennent une métaphore du territoire américain et surtout de ses occupants. Après Routine Pleasures (Jean-Pierre Gorin 1986), le second film qui parle des grands espaces américains en choisissant le biais de la maquette et se paie le luxe de ne jamais mettre le nez dehors. Le film n’est pas franchement hilarant, mais procure un amusement distingué, un sourire pour dandy, assez proche de l’impression que ressentent ceux qui s’y retrouvent dans la maniaquerie de Wes Anderson quand il cloître ses acteurs dans ses maquettes de sous-marin.

Ce détour par les maquettes nous conduit à ouvrir la parenthèse sur les films d’animation, qui cette année, m’ont paru plus variés que d’habitude. Bon goût d’avoir mis la pédale douce sur les prévisibles films d’école qui me paraissaient truster le contingent les années précédentes (ligne claire, trait tremblé pour l’ENSAD, images de synthèse pour Supinfocom) et d’avoir fait émerger des films assumant de vrais partis pris plastiques dans leurs recherches de supports et de surfaces (collages, tatouages, figurines).

Je retiens particulièrement Le jour de gloire de Bruno Collet, film de guerre au 1/33 ème où les personnages de soldats en plasticine bronze paraissent faits de la même matière que la boue des tranchées et cherchent à s’en extirper comme des figures giacomettiennes.

La veine « petite histoire qui rencontre la grande Histoire » est encore assez logiquement représentée (et paraît encore avoir de beaux jours devant elle après le succès de Perspepolis). Plus que le sympathique pastiche eisensteino-constructiviste Irinka et Sandrinka de Sandrine Stoïanov et Jean-Charles Finck pourtant assez virtuose et agréablement mouvementé, c’est le film en banc-titre Mémoires d'une famille cubaine de Yan Vega qui impressionne. En montant simplement photos de famille, voix-off ironiquement rejouée, mise à plat des discours et infusion de la propagande jusque dans les discussions familiales (au contraire de chez Marjane Satrapi, on fait ici un peu plus confiance au régime), le film parvient à embrasser avec une grande honnêteté quarante années de la vie d’une famille et d’un pays sans faire l’impasse sur les douleurs et les impasses des différents parcours personnels.

Sinon, le meilleur court-métrage français vu durant ces quelques jours, c’est French Kiss d’Antonin Peretjatko…. que j’ai dû voir pour la sixième fois. La première fois, c’était à ce même festival, il y a trois ans, du temps de Jacques Chirac.

"-Qui c'est lui ? - Notre Président de la République ! Il a été élu à 82 %. - Ah oui, comme en Afrique !"

Des dialogues comme ça, on ne s'en lasse pas. J’étais persuadé que c’était un film seulement amusant et qu’il ne supporterait mal la revoyure. Mais à chaque nouvelle vision, je le trouve de plus en plus acéré, de plus en plus vif et surtout transpirant une joie de filmer et de s’adonner au montage que j’aimerais retrouver plus souvent dans les formats courts.

vendredi 8 février 2008

Pendant les festivals, quand on ne regarde pas de films, on regarde les murs de la ville

En arrivant à Clermont, cette première énigme entre le 19 et le 27 du Cours Sablon :

... même si le graffiteur a dû oublier un "t" au dernier mot.

Et dans la presse, déjà les premières rumeurs sur le palmarès :
Le Figaro devenu inconditionnel de JLG ? Ah non! C'est vrai que le maire de la ville est un homonyme.
Et sinon, sur la une du Nouvel Obs de cette semaine, deux couples "just married" rentrant chacun dans leur Domicile conjugal.

jeudi 7 février 2008

Procrastination is...

... also blogging.

... un petit bijou de Johnny Kelly vu hier à Clermont et retrouvé ce matin sur You Tube, une autre façon de se livrer à la procrastination. La boucle est bouclée.

mardi 5 février 2008

Avant de partir trois jours à Clermont....

... je me demande si parmi tous les courts-métrages que je m'enfilerai, j'en verrai d'aussi étonnants que celui-là:

Tetris - Game over project (Guillaume Reymond 2007)

lundi 4 février 2008

Primrose Hill (Mikhaël Hers): au festival de Clermont et sur France 2 (mardi 5 février à 1h du matin)

J'ai un secret à vous dire. Le moyen-métrage Primrose Hill de Mikhaël Hers (pas loin de penser que c'était de loin ce que j'avais vu de mieux à la Semaine de la Critique en même temps, j'avais dû voir que deux autres fillms) est largement diffusé ces temps-ci:

-d'abord en compétition au festival de Clermont

-Ensuite sur France 2, mardi 5 février à 1 heure du matin (il y a même un lien pour la VOD)

-A Beaubourg, le 21 février à 21 heures en même temps que le dernier court de Luc Moullet Le litre de lait (pas vu).

-Et enfin, le 11 mars dans le cadre des Soirées Bref au MK2 Quai de Seine.

Espérons qu'il vous plaîra autant qu'à moi. Pour vous donner envie:

Quatre amis, deux garçons, deux filles. Ils étaient cinq, il n’y a pas si longtemps et leur journée d’hiver apparemment anodine est racontée par celle qui n’est plus là. Quelque chose s’est cassé entre eux, mais en même temps, dans le gel hivernal, dans leurs déambulations ordinaires, quelque chose ressurgit. Ce quelque chose, on ne sait pas si ce sont des sentiments enfouis, une complicité qu’on croyait perdue ou un souvenir protecteur. Sans doute un peu tout cela à la fois. Demain sera un autre jour.

Voilà. C’est ce que raconte Primrose Hill. Dit comme ça, ça peut ne pas paraître beaucoup, mais ce moyen-métrage (une heure) se révèle d’une belle densité qui transcende largement son canevas de départ.


Inspiré et discrètement lyrique, Primrose Hill est doté de ce genre de charme propre à certaines chansons qu’on croît être l’un des seuls à adorer, on ne sait pas pourquoi, peut-être parce qu’elles touchent quelque chose de profondément intime qu’on ne savait même pas nommer. Ça tombe bien, car Primrose Hill, le film comme son auteur Mikhaël Hers, paraît gorgé des souvenirs de disques mille fois écoutés, fétichisés peut-être à l’excès mais que l’on garde toujours auprès de soi. De fait, plus d’une scène de ce film se décante comme un single de pop anglaise : en distillant le parfum de capsules mélancoliques, littéraires (belle voix off) et habitées. Si je vous dis que la BO compte des titres de Felt, Boards of Canada ou The new government, c’est à la fois primordial et absolument sans aucune importance.

Absolument sans aucune importance, car si comme moi, vous ne lisez plus les Inrocks et que ces noms ne vous diront rien, ce n’est pas cela qui vous empêchera d’aller vers le film qui n’est en rien « pour initiés ».

Mais en même temps primordial car la musique, quasi constamment présente en sourdine, finit par devenir plus qu’un accompagnement ou alors au sens le plus noble du terme : un véritable partenaire des personnages et partant du film. Quelque chose passe vraiment du rapport projectif que chacun accorde à quelques morceaux et de la façon dont les subjectivités musicales en arrivent à façonner de solides rapports d’amitié voire des histoires d’amour. Pour preuve cette étonnante scène d’amour filmée sans ellipse, mais où le choix du CD adéquat a toute son importance pour abandonner les réciproques timidités.

Primrose Hill est un film à la croisée des chemins : entre la chronique (c’était un jour comme les autres) et le récit initiatique (c’est une journée où finalement tout se passe), entre le réel et l’onirique (le parc de Saint-Cloud ressemble fortement au parc verlainien), à mi-chemin de l’abandon des espoirs que l’on construit autour de ses vingt ans (au risque de verser dans la sénilité adolescente) et de la mise à l’épreuve d’une jeunesse déjà enfuie. Il ne s’agit pas tant de « rentrer dans l’âge adulte » ou « de faire son deuil de l’insouciance adolescente » que de se laisser surprendre par la résurgence d’enthousiasmes ou de flammes qu’on ne soupçonnait plus au fond de soi et qui, même si elles paraissent plus désabusées n’en sont pas moins belles. En somme, en partant à la quête des traces d'adolescence qui continuent d'essaimer dans l'âge adulte, en collectant les traces de vie qui persistent même quand l'enthousiasme s'est épuisé, le film permet d’accueillir tout ce qui continue à se passer quand on croit qu’il ne se passe plus rien. Quand même pas rien d’y parvenir.

S’il fallait placer ce moyen-métrage sous de bienveillantes auspices cinématographiques, on pourrait dire qu’il croise le destin de plusieurs « cœurs en hiver » en plein « âge des possibles », mais disons simplement que Primrose Hill n’a guère besoin de références tant le pudique souffle mélancolique qu’il distille n’appartient qu’à lui.

samedi 2 février 2008

Positif / Négatif , Pub / Non-pub

Entre la Porte de Pantin et la Porte de la Villette, sur les Grands Moulins de Pantin en chantier, la plus grande pub invisible d’Europe…

… un datamatrix, code barres en pixels noir et blanc cachant un lien web (et donc textes, pub et vidéos afférentes) que l’on peut activer via l’appareil photo du téléphone portable. Belle convergence technologique qui permet à la pub et au marketing de se targuer d’un nouvel oxymoron dont ils sont friands : marquer une présence imposante dans le paysage tout en se prévalant d’une plus grande discrétion visuelle. Quelle belle victoire que d’intégrer, au cœur même de sa stratégie, sa propre contestation, voire sa propre négation !

Ce triomphe de la pub invisible, c’est un peu le négatif de They Live - Invasion Los Angeles (John Carpenter 1988), dans lequel le héros John Nada (un nom pareil, ça ne s'invente pas) découvrait, par l’entremise d’une paire de lunettes, non seulement le vrai visage des yuppies reaganiens (les envahisseurs, ce sont eux !)….

…. mais surtout la quantité de propagande subliminale cachée dans le paysage commercial d’aujourd’hui.

Etrangement, cette mise à nu du paysage publicitaire trouve un autre négatif dans les photomontages d’Alain Bublex ... (ci-dessous Le Plan Voisin de Paris : V2 Circulaire Secteur 6)... ... qui mixent dess(e)ins inspirés d'architectes (Le Corbusier, Archigram, Rem Koolhaas) travailés par « l'utopie » - ça dépend pour qui -et trop-plein de marques. Impression étrange face à cet urbanisme effrayant, mais auquel on a fini par s’habituer, voire à y trouver un certain charme : une sorte de cauchemar pimpant. Mais comme chez Carpenter, l'étrange naît d'une science-fiction très prosaïque.

Pour en revenir au film de Carpenter, amusant aussi de voir comment ce film finalement pas si connu que ça a directement inspiré des actions militantes anti-pub en 2005.

Il est vrai que le gigantisme même de certains messages... ... paraissait nous sommer de ne pas nous laisser faire (publicité sur un immeuble, Porte de Pantin, fin 2005).

Surtout incroyable de s’apercevoir après un petit tour sur le Net que finalement les carpenteriennes lunettes « magiques » existent bien ...
...enfin presque.

Bon, pour écrire ce billet, je me suis largement inspiré de ce que j'ai lu ici sur un blog dont j’ai fréquenté un moment l’auteur, mais dont je n’ai pas eu de nouvelles depuis bien sept ou huit ans. Si par blogs interposés, on se reconnecte en virtuel ou en réel…