Mais pourquoi se gêner…
Comme tout le monde, j’aime bien Como tudo el mundo de Franco Lolli, le Grand Prix français de cette année...
... mais je l’aime seulement bien et je suis un peu étonné de le voir ainsi consacré. Comme tout le monde, j’apprécie cette chronique sensible, agréable, bien jouée, bien photographiée, qui ne manque pas de moments forts mais qui sont quelque peu aplanis par une forme assez appliquée. Trop de soin dans la réalisation écrête finalement quelque peu une intensité dramatique naissante qui aurait pu être renforcée par un surcroît d’enjeux (ou des enjeux autres que simplement affectifs).
Comme tout le monde, j’ai noté qu’en général, les courts-métrages hexagonaux restaient dans la tranche de vie, la variation autour d’une situation de départ, sa déclinaison jusqu’à épuisement (beaucoup de films qui s’arrêtent quand ils n’ont plus de souffle) plutôt que dans le véritable déploiement fictionnel, la découverte de perspectives inattendues capables de transformer aussi bien les protagonistes de l’histoire que le spectateur.
Du coup, ça fait tout drôle de découvrir un film solidement scénarisé et fort bien joué comme Auf der Strecke (fausse route) de Reto Caffi (Grand Prix international).
Malgré un point de départ qui ne respire pas la folle originalité (un agent de sécurité rongé par la culpabilité après avoir décidé de ne pas venir en aide à la victime d’une agression dans le métro) et un recours aux images de vidéosurveillance qui paraît carrément périmé, le réalisateur orchestre une fiction tortueuse et habile dans son maniement des faux-semblants, une fiction qui durant sa demi-heure de durée reconsidère plusieurs fois les rapports entre des personnages complexes, et rendus de nous très proches par leur force d’incarnation. Rien de révolutionnaire là-dedans, mais de la solide ouvrage.
Si l’on osait les ridicules clichés critiques, on parlerait là de « la grande forme du nouveau cinéma allemand », mais dans ce festival, il y a toujours des films qui paraissent principalement occupés à entretenir les clichés de leurs propres cinématographies : les Italiens font soit dans la prise de conscience sentimentalo-adolescente au sein de la cellule familiale (Giganti de Fabio Mollo) soit dans le sketch régionaliste poussiéreux (Lacreme napulitane de Francesco Satta), les Anglais dans la farce incorrecte, habile mais roublarde (I’m Bob de Donald Rice où le vrai Bob Geldof n’est reconnu par personne dans un concours de sosies), les Belges dans l’absurde répétitif (Missing de Matthieu Donck).
Parfois, ces effets de reconnaissance à gros traits ont pourtant du bon tant des cinéastes débutants parviennent à s’inscrire dans le sillage de glorieux aînés, tout en affirmant déjà leur singularité.
Ainsi, Wazki (Libellules) de Justyna Nowak...
... paraît retrouver l’élan et la vitalité des premiers films de Milos Forman (bon, elle est polonaise, il est tchèque mais ça reste « cinéma de l’Est ») mâtinés d’une fougueuse et solaire impatience.
The whale in the west sea de Jae-won Kim évoque le cinéma d’Hong Sang-Soo avec, si c’est possible, un poil plus de malaise mais tout autant d’empathie dans la description de la dérive de ces deux vitelloni, si piteux mais paradoxalement attachants.
Enfin, I love Sarah Jane de Spencer Susser (qui passe au MK2 quai de Seine lors de la soirée Bref du 12 février) ...
... pourrait revendiquer plus d’un parrainage. Davantage que la déclinaison du film de zombies, ces treize minutes peuvent se targuer de poser un nouveau jalon dans l’exploration de la cruauté adolescente quelque part entre Sa majesté des mouches, Romero et Larry Clark. Où là encore, quand le cross-over des pitchs hollywoodiens crée des petits miracles d’intensité et de maîtrise.
Pour en revenir aux tendances d’ensemble, la majeure de cette année, c’est « organique déréglé » : côté cul, beaucoup de scènes pour peindre une sexualité plus ou moins harmonieuse, et côté corps, quantité de mutilations, d’accidents, de membres handicapés, d’arrachages de dents sans anesthésie ou de tronçonneuses qui glissent des mains. Mais le film le plus singulier sur le corps l’a plutôt célébré triomphant. Erémia Erèmia (tranquillité, solitude) d’Olivier Broudeur et Anthony Quéré (Prix spécial du jury national), film sans intrigue mais pour autant intrigant qui filme le sport comme un travail et le travail comme un sport, mais un sport pas tant du côté de la performance que de la pratique zen. Assez difficile de faire dire quoi que ce soit à ce film si ce n’est de considérer cette ascèse filmée comme étant elle-même un entraînement du regard de ses auteurs.
Sinon, sans surprise, s’il y a bien un domaine où la France d’en bas a pris le pouvoir depuis plusieurs années, c’est bien le court-métrage hexagonal. Là encore, ce n’est pas dommageable en soi mais cette accumulation de films teintés de naturalisme ou rêvant de ressusciter le réalisme poétique à coups de confrontations familiales en pavillons de banlieue, de trognes audiardisantes, de stations-service abandonnées, de bal des ferrailleurs ou de F3 d’HLM avant destruction produit au final une équation que je suis presque gêné d’avoir trouvée : format court = petites histoires de petites gens, alors qu’on ne voit pas pourquoi il faut toujours aborder ces milieux et ces situations sous l’angle du volontarisme poétisant – assénés avec un tel sérieux et une telle application que cela ne rajoute que du pittoresque au pittoresque – et surtout pourquoi il faudrait s’interdire le « bigger than life » ou tout du moins le décollage inspiré du réel.
Ce léger décollage du réel, je l’ai par exemple trouvé dans deux films français peut-être volontairement limités mais assez réussis et que je rapproche dans leur façon d’explorer l’espace domestique : Pour de vrai de Blandine Lenoir et C’est pour quand ? de Katia Lewkowicz.
Le premier est une vraie expérience de cinéma, où le processus compte peut-être davantage que le résultat.
Il commence comme un émouvant monologue d’une mère à sa fille (morte ou dans le coma ?) dans une grande maison déserte. Pas beaucoup de repères et un onirisme déambulatoire qui fait de la maison un réel personnage. Puis petit à petit, des protagonistes entrent dans le champ et perturbent volontairement le récit qui révèle sa dimension artificielle voire farcesque. Assez étonnant de voir dans un film une montée d’émotion volontairement dégoupillée pour déboucher sur un registre opposé. Encore une expérience à la Une sale histoire (Jean Eusatche 1977), mais plutôt sur une opposition de registre drame / comédie ou « on y croit » / « on n’y croit plus ». Présenté comme tel, le film paraît assez théorique, mais il a le bon goût de rester assez fantaisiste, amusant et ouvert à l’imprévu.
Enfin, C'est pour quand ? me conduit à une action que je pensais ne devoir jamais avoir à faire sur ce blog : dire du bien de Benjamin Biolay dont l’attitude de Droopy tête à claques révèle un vrai tempérament d’acteur. Il forme là un duo savoureux avec Valérie Donzelli en couple qui vit un coup de foudre en plein milieu d’un dantesque goûter d’anniversaire, réunion de famille. Là encore, la virtuose déambulation à l’intérieur de l’appartement, la façon de révéler un espace domestique qui vire à la démesure et au grotesque (mais sans que rien ne soit exagéré) apporte une incroyable dimension au film et transforme cette anodine rencontre constamment interrompue par des « fâcheux » en tout genre en dérisoire odyssée familiale où, plus que jamais, amour et amertume commencent par la même syllabe et ne semblent pas aller l'un sans l'autre.
Car finalement, les films que j’ai retenus ne sont peut-être pas forcément les plus objectivement réussis ni les plus séduisants, mais ceux qui, en tout cas, ne sont pas effrayés par le fait de tenter quelque chose, quitte à ce que le résultat donne une forme étrange.
Je me suis toujours demandé pourquoi le court-métrage français, pourtant largement financé par les régions, ne traitait que marginalement la question de l’espace naturel et du paysage. Symptôme d’un pays qui a toujours joué l’histoire (et partant le récit) contre la géographie (au contraire des Américains) ? D’où mon plaisir de découvrir deux films l’un français (Black Melody d’Elodie Monlibert), l’autre américain (Train Town de Keith Bearden) qui se distinguent par une approche paysagère et topographique capable de prendre en charge à elle seule la fiction.
Dans Black Melody, on sent plusieurs ombres portées : celle d’Akerman ou de Vincent Gallo pour le road-movie caméra collée au pare-brise et l’apparent nombrilisme de l’entreprise, celle des Climats (Nuri Bilge Ceylan 2006) pour l’argument (un couple ni avec toi, ni sans toi, trop tôt pour la séparation, trop tard pour l’harmonie), voire celle d’une Avventura miniature, mais plutôt pour les réactions de soupirs et les sifflements de fin de projection.
En bon snobinard, je devais être l’un des seuls dans la salle à avoir été intéressé. Même si chaque plan est loin d’imposer le sens de la durée et de la scénographie des paysages naturels dont font preuve ses modèles (conscients ou pas ?), le film finit par convaincre. Déjà parce cela faisait bien longtemps que la cinégénie naturelle de Marseille et de la Corse n’avait pas été célébrée au cinéma, mais surtout parce que les paysages (dans leurs accidents, leurs intensités comme dans leur grisaille) et le son d’ambiance (le ballottement de la mer, les raps qui sortent de l’autoradio) finissent par prendre en charge assez naturellement les métaphores affectives et psychologiques du film qui si elles devaient être explicitées dans le dialogue apparaîtraient d’une terrible noirceur. A la limite, j’aurais aimé que le film soit encore plus radical, qu’il s’exonère totalement de dialogues, qu’il fasse encore plus durer les plans, mais c’est déjà une belle tentative.
Train Town aborde lui le paysage par le biais de la miniaturisation, en mettant en scène un conflit idéologique entre deux tenanciers d’une boutique de modélisme.
Est-ce l’équation court-métrage = maquette de film ? En tout cas, voilà un film où les paysages de trains électriques (constamment remodelés par nos deux héros) deviennent une métaphore du territoire américain et surtout de ses occupants. Après Routine Pleasures (Jean-Pierre Gorin 1986), le second film qui parle des grands espaces américains en choisissant le biais de la maquette et se paie le luxe de ne jamais mettre le nez dehors. Le film n’est pas franchement hilarant, mais procure un amusement distingué, un sourire pour dandy, assez proche de l’impression que ressentent ceux qui s’y retrouvent dans la maniaquerie de Wes Anderson quand il cloître ses acteurs dans ses maquettes de sous-marin.
Ce détour par les maquettes nous conduit à ouvrir la parenthèse sur les films d’animation, qui cette année, m’ont paru plus variés que d’habitude. Bon goût d’avoir mis la pédale douce sur les prévisibles films d’école qui me paraissaient truster le contingent les années précédentes (ligne claire, trait tremblé pour l’ENSAD, images de synthèse pour Supinfocom) et d’avoir fait émerger des films assumant de vrais partis pris plastiques dans leurs recherches de supports et de surfaces (collages, tatouages, figurines).
Je retiens particulièrement Le jour de gloire de Bruno Collet, film de guerre au 1/33 ème où les personnages de soldats en plasticine bronze paraissent faits de la même matière que la boue des tranchées et cherchent à s’en extirper comme des figures giacomettiennes.
La veine « petite histoire qui rencontre la grande Histoire » est encore assez logiquement représentée (et paraît encore avoir de beaux jours devant elle après le succès de Perspepolis). Plus que le sympathique pastiche eisensteino-constructiviste Irinka et Sandrinka de Sandrine Stoïanov et Jean-Charles Finck pourtant assez virtuose et agréablement mouvementé, c’est le film en banc-titre Mémoires d'une famille cubaine de Yan Vega qui impressionne. En montant simplement photos de famille, voix-off ironiquement rejouée, mise à plat des discours et infusion de la propagande jusque dans les discussions familiales (au contraire de chez Marjane Satrapi, on fait ici un peu plus confiance au régime), le film parvient à embrasser avec une grande honnêteté quarante années de la vie d’une famille et d’un pays sans faire l’impasse sur les douleurs et les impasses des différents parcours personnels.
Sinon, le meilleur court-métrage français vu durant ces quelques jours, c’est French Kiss d’Antonin Peretjatko…. que j’ai dû voir pour la sixième fois. La première fois, c’était à ce même festival, il y a trois ans, du temps de Jacques Chirac.
"-Qui c'est lui ? - Notre Président de la République ! Il a été élu à 82 %. - Ah oui, comme en Afrique !"
Des dialogues comme ça, on ne s'en lasse pas. J’étais persuadé que c’était un film seulement amusant et qu’il ne supporterait mal la revoyure. Mais à chaque nouvelle vision, je le trouve de plus en plus acéré, de plus en plus vif et surtout transpirant une joie de filmer et de s’adonner au montage que j’aimerais retrouver plus souvent dans les formats courts.