Une célébrissime plongée vers la peur :
La féline (Jacques Tourneur 1942)
Dans cet espace abstrait de la piscine qui évoque un cube amniotique et vorace, Tourneur s'attache à ne filmer que des plans vides, des reflets, de purs contrastes noirs et blancs qui n'ont même plus besoin d'être supportés par un quelconque motif. La peur vient aussi de là... Hypothèse. Si la séquence paraît toujours aussi efficace et moderne, c'est aussi peut-être grâce à son cachet "art contemporain avant la lettre".
Et justement :
Heavy water (James Turrell 1991)
Cette installation semble jouer sur les mêmes sensations. Pour voir l'oeuvre, le spectateur est obligé d'enfiler son maillot de bain, de plonger puis de rejoindre le centre de la piscine. Là en passant sous les parois, il se retrouvera au fond d'un puits lumineux, sous une douche irradiante de lumière avec vue directe sur le ciel. Tout le travail de James Turrell vise ainsi à donner une matière à une pure présence lumineuse (le bleu du ciel comme des ambiances définies au néon) en révélant aussi les effets de profondeur, d'espace que la lumière et la couleur brute parviennent à créer d'elles-mêmes. Pas évident à retranscrire en vidéo, mais ça par exemple sinon au hasard...
Mais revenons à Heavy water. Une fois dans la piscine, le spectateur perd ses repères habituels pour ne plus ressentir que la présence de la lumière brute (ressentie avec d'autant plus d'acuité que les yeux sont pleins de chlore).
Même si l'effet recherché vise davantage la sérénité que la peur, le spectateur ressent un flottement sensoriel sans doute assez voisin de celle de l'héroïne de Tourneur traqué par des sensations dont elle n'identifie pas l'origine. On imagine l'effet que doit procurer une telle oeuvre: celle de plonger au coeur d'un chaudron coloré qui, par sa puissance même, oblitère les autres sens.
Et justement :
Thermes de Vals (Peter Zumthor architecte 1996)
Ces bains de pierre, d'eau, de lumière et de couleur paraissent radicaliser la proposition de Turrell. Ici, l'eau n'est pas seulement ce qui remplit les bassins, mais une véritable matière retravaillée par la lumière, la couleur et les textures des parois: non seulement un véritable onguent coloré mais aussi une sève lumineuse. Des sensations sans doute proches de la vie intra-utérine, un espace cosmique et matriciel, un lieu dont on a sans doute du mal à sortir.
Et justement :
Une fois qu'on a fait le grand saut dans la piscine de Deep End (Jerzy Skolimowski 1971), on a vraiment du mal à en sortir... ou alors sur le mode tragique.
D'ailleurs, si ce film était la version prémonitoire et ô combien plus subtile et ludique de ce clip des années 80 ?
4 commentaires:
Ha ! revoir Deep end... Superbe association avec la Féline. A quand une confrontation similaire entre Le Départ et Two-lane blacktop pour faire voir d'autres expressions de la violence du désir et ses alliances paradoxales avec le démon de la velléité, mais dans un autre rapport à l'espace bien sûr.
Votre blog donne envie de revoir bien des choses !
Je n'avais pas pensé au rapport entre "Le départ" et "Two lane blacktop". Il me faudrait que je m'y replonge pour trouver des rapprochements plus manifestes. C'est vrai que dans les deux, il y a l'idée que finalement l'énergie reste improductive. Mais ça reste quand même joyeux et enlevé chez Skolimowski tandis que chez Hellman , on est déjà plus dans une aphasie baignée d'absurde. Et en même temps, c'est vrai que ce sont aussi deux cinéastes nourris par l'absurde de Beckett et Cioran.
Il faudrait sans doute que je revoie moi aussi Le Départ, car cela fait déjà quelques années que je l'ai découvert.
Je m'autorise un rapprochement qui est sans doute contestable, car il ne repose pas sur la vision d'un espace qui offrirait à la comparaison un point d'appui aussi indiscutable que celui de la piscine. Mais si différents qu'ils soient, il me semble que ces deux films n'en présentent pas moins des similitudes propres à favoriser une rêverie analogue à celle que convoquent les extraits de Deep End et la Féline.
On y trouve en effet une même érotisation de l'énergie impliquée dans la conduite, le pilotage de course. C'est peut être plus manifeste chez Monte Hellman puisqu'une rivalité amoureuse vient se superposer au défi que se lancent les pilotes. D'où cette concurrence entre l'intérêt sportif qui meut les personnages et leurs sentiments amoureux, concurrence qui rend l'expression de ces sentiments tellement incertaine. Et de là, enfin, le caractère ambigu et douloureux des trajectoires qu'ils décrivent : l'un renonce à prendre le départ de la course tant attendue sans que ses véritables raisons nous soient dévoilées ( veulerie ? sacrifice à son amour ?) ; l'autre poursuit mais doit assister passivement au départ de "la fille" dans un état de frustration muette et rageuse. Skolimowski ne fait pas brûler la pellicule de son dernier plan, mais le choc que procure la vision de son personnage resté contre toute attente à l'hôtel n'est-il pas aussi violent que le final de Monte Hellman ?
Je souscris à vos arguments, d'autant plus que "Le départ" comme "Deep end" d'ailleurs me semblent des films qui traitent métaphoriquement de la libido ou plus précisément de "l'érotisation de l'énergie" comme vous le dites si justement.
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