lundi 31 mars 2008

Quel rapport avec le cinéma français ?

"DOUZE PROPOSITIONS POUR SAUVER LE CINEMA D'AUTEUR"
(Sur le site web du Monde le jeudi 27 mars au soir)

"TREIZIEME PROPOSITION : Produire et réaliser des films que les spectateurs ont vraiment envie de voir."
(Sur le forum du Monde, quelques heures plus tard)


Bon apparemment...

...ça les fait pas du tout rire une blague pareille !



Au-delà de la blague peut-être démago (le cinéma français serait-il aussi mal aimé et mal compris, objet d'autant de railleries faciles que l'art contemporain ?), quand même l'affirmation Quelque part, on en revient toujours aux mêmes questions de désir, de nécessité et d'envie (c'est vrai que finalement un film ce n'est qu'un objet pour que l'envie d'un cinéaste rencontre celle d'un spectateur).


Tout cela pour dire que c'est bien beau les rapports, mais qu'il ne faudrait pas oublier les films en route... ce à quoi s'applique cette voix discordante, certes critiquable mais plus revigorante que la voix officielle.

On aurait peut-être mauvaise grâce de brocarder un travail sans doute sérieux et sincère qui prend acte d’un malaise persistant et propose des pistes pour offrir plus de moyens et d’indépendance « aux auteurs », mais je n’arrive jamais à me faire à cette idée selon laquelle le « cinéma d’auteur français » serait une entité patrimoniale à défendre à tout prix.

Et puis gardons à l’esprit que :

- Les gazettes qui titrent aujourd’hui sur ce « cri d’alarme du cinéma français » se pâmeront à coup sûr dans les prochaines semaines et mois sur les titres à venir (et moi-même trouverai-je sans doute mon compte, ne serait-ce qu’en partie, dans plusieurs de ces opus)… de Desplechin, Garrel, Grandrieux, Bonello, Honoré, Podalydès, Brisseau, Claire Denis, les Dardenne et Larrieu sans compter les tartines « pour ou contre » sur Houellebecq ou Bégaudeau chez Laurent Cantet (et sans compter le Mesrine de Richet qui, si ça se trouve, sera le film français le plus excitant de l’année, ce qui ferait les pieds à un certain nombre de « défenseurs du cinéma d’auteur »). De quoi donc relativiser tout de même ce fameux « état d’alerte ».


- Quelque part, ce rapport est à peine plus excitant qu’une motion de congrès, et cela rappelle la politique : noircir le tableau, « l’état des lieux », « l’héritage » pour mieux faire passer « les réformes ». J’ai toujours pensé que dans Pascale Ferran n’avait guère besoin de conclure son discours des Césars (salué avec un tel unanimisme que ça en devient suspect) en appelant au politique, puisque ce coup d’éclat la plaçait d’emblée au centre du jeu politicien de la baronnie auteuriste. Et donc pour finir de filer la métaphore politique à l’emporte pièce par des formules généralistes, disons que l’état du cinéma français quelque part rappelle celui du PS : tout de même assez soutenu, peut-être même plus puissant et apprécié qu’il ne le croît, mais qu’on aimerait un peu plus en phase avec son temps et sa société, ou dit autrement qu’il fasse un peu plus envie.

Mais sinon, je me dis aussi que :

- Il se trouve que quand j’ai commencé à m’intéresser au cinéma, fin 1986, début 1987, le cinéma français proposait alors, en moins de six mois, Maine Océan (Jacques Rozier), Thérèse (Alain Cavalier) et Mauvais Sang (Leos Carax), trois comètes dont, il est vrai, on serait bien en peine de trouver un quelconque équivalent dans le ciel hexagonal actuel. Pour autant, je ne vois pas quelle pourrait être la quelconque « mesure » qui faciliterait l’éclosion de tels films à part de ne pas être effrayé par l’intraitable entêtement de leurs auteurs. En somme, la seule lutte qui vaille reste celle contre l’inculture (des décideurs peut-être mais pas que), contre la censure économique, mais aussi contre l’autocensure des auteurs (la pire parce que la plus insidieuse des censures), mais bon, il faut sans doute plus d’un rapport pour s’attaquer au problème. On en revient toujours aux mêmes exemples bateaux, mais une bonne part des films mémorables du cinéma français se sont fait aussi contre tout un système de production de leur temps : La règle du jeu contre tout le cinéma des années 30, Bresson et Melville contre celui des années 50. Aujourd’hui, (et indépendamment de ce que l’on peut penser de leurs films), il me semble que les films de Kechiche ou de Bruno Dumont apportent la preuve qu’un éclat cinématographique est possible sans pour autant sacrifier à la moindre fourche caudine « du système ».

Et puis enfin une question :

- Pourquoi cette expression passe-partout « films du milieu » plaît infiniment aux « gens du milieu » ? Parce que être intronisé « au milieu du cinéma » par le « milieu du cinéma », c’est la place dont tout le monde rêve ?...
Voilà, bon après j'arrête de parler en généralités parce que je déteste ça et je reviendrai aux films, aux oeuvres et à ce qui me touche chez elles.

Pour fêter Jean Nouvel...

... lauréat du prestigiossimesque Pritzker Price, aka "Prix Nobel de l'architecture", reverra-t-on l'un de ces prochains jours, cette séance de VJ-ing urbain, sur la façade de la Torre Agbar à Barcelone, dont il est l'architecte ?

Bon, il faut squeezer les trois premières minutes de bavardage entre Ken et Barbie, mais ensuite, le light show est assez impressionnant.

Les mauvais esprits diront que ce déferlement de lumière fluo souligne encore la dimension de sextoy urbain du bâtiment, et c'est vrai qu'on ne peut pas leur donner tout à fait tort.
Les bons esprits souligneront simplement que la façade de ce bâtiment révèle l'un des plus impressionnants travaux sur la texture, la couleur et l'épiderme du bâti (questions qui touchent évidemment à la part textile voire érotique de l'architecture) qu'ils leur aient été donnés de voir de leurs propres yeux. Et que ces jets de couleurs diodées et numériques balancés dans la nuit en rendent assez bien compte, même si rien ne vaut l'observation directe.
Sinon, pour voir le bâtiment de jour.
Rappelons également qu'au cinéma, on peut voir...

... La tour sans fin (son projet "utopique" des années 90, ici à gauche) dans Jusqu'au bout du monde (Wim Wenders 1991) et la Fondation Cartier dans Par delà les nuages (Antonioni et encore Wenders, tiens, tiens 1996), malheureusement deux intenses déceptions dans la filmo de ces cinéastes pourtant, si adorés. De là à dire qu'il leur porte la poisse.... Disons simplement que filmer l'architecture contemporaine, au-delà de l'iconisme chic, n'est pas une mince affaire... ou encore que les meilleurs films d'architecture n'existent que dans la tête de l'amateur qui rêve devant les bâtiments (qu'il imagine pouvoir visiter un jour) en flânant sur son site.

jeudi 27 mars 2008

L'urbanisme est un jeu de destruction

(1): Touche pas à la femme blanche (Marco Ferreri 1973)
***



(2): Still Life (Jia Zhang Ke 2007)



Forum des Halles 1973, Barrage des Trois-Gorges 2007. Deux chantiers titanesques. Deux villes détruites en direct. Deux films pour saisir ces mutations urbaines.

***

THEATRE(S) DES OPERATIONS :
(1) : « Trou des Halles », c’est-à-dire un terrain situé au centre même de Paris, d’une dizaine d’hectares, d’une vingtaine de mètres de profondeur et vierge de toute construction, suite à la démolition des pavillons de Baltard en 1971 et avant le démarrage du chantier du Forum des Halles en 1974.


(2) : Ville de Fengjie, ville en sursis car située en amont du barrage des Trois-Gorges et devant donc être engloutie à la mise en service dudit barrage. Pour devancer son destin d’Atlantide, la ville est soumise à la casse continuelle, casse parfois manuelle, histoire de ne laisser qu’un désert au moment où les flots la submergeront.

VILLE SPECTACLE :
(1) :
Une crevasse minérale en plein Paris, on dirait Monument Valley (à échelle réduite) circonscrit par quelques îlots haussmanniens. De fait, le trou des Halles deviendra le décor d’un western brechtien rejouant la bataille de Little Big Horn. Comme l’a dit l’autre, l’histoire se répète deux fois, la première fois comme tragédie, la seconde comme farce. Film de guerre farce (et à ce titre métaphore de nombre de conflits contemporains, la charge anti-impérialiste restant toujours aussi efficace), western simulacre donc mais finalement « mensonge qui dit la vérité », car l’outrance de la farce dit aussi l’obscénité de la destruction du ventre de Paris, et dit surtout à quel point la ville fonctionnaliste, souterraine et commerciale qui se construit (ou plutôt que l’on impose de force et ce même en plein centre historique) dans les années 70 n’est qu’une parodie de ville, une ville qui joue avec les signes de l’urbain sans en (re)produire son essence.
Et situer l’opposition Yankees - Indiens en plein centre de Paris n’a rien de purement gratuit tant peut se lire dans cet antagonisme celui entre les suppôts d’une ville franchisée et les humbles citadins qui en sont chassées…

… et pour lesquels le « droit à la ville » - pour reprendre le titre d’un célèbre ouvrage de sociologie urbaine (Henri Lefebvre 1968) – demeure encore une âpre conquête.

(2) : La seule chose qu'on garde du passé, finalement, c'est: « Du passé, faisons table rase ! ». A l’échelle urbaine, c'est toujours aussi spectaculaire !






PART DOCUMENTAIRE :
(1) : Non seulement pour l'enregistrement de la destruction du trou des Halles en lui-même... ... mais aussi pour ses alentours, son Paris faubourien dans lequel Ferreri lâche sa troupe. Approche documentaire où beaucoup de choses se devinent dans les arrière-plans, comme ces badauds regardant éberlués ces cow-boys de carnaval.

C’est l’anachronisme qui devient un révélateur du présent.

(2) : Comme Pasolini, Jia Zhang Ke « double » chacune de ses fictions par un documentaire sur sa région de tournage (In public et The world ; Dong et Still Life). Pour autant, Still Life est en soi un formidable documentaire qui prend le miracle économique chinois à revers. Approche documentaire où beaucoup de choses se devinent aussi dans le hors champ, tel la question du déplacement des populations. Au contraire du centre de Paris de Touche pas à la femme blanche, l’épicentre de Still Life attire plus qu’il ne repousse. Bien que détruit à petit feu, c’est un Eldorado où débarque son lot de travailleurs ou d’aventuriers. Si l’on voit donc des déplacements dans le film, ce sont davantage ceux de la population qui arrive (mais uniquement pour un temps, une mission) que ceux de celle qui doit partir. En cela, la Chine d’aujourd’hui paraît rejoindre l’Amérique des pionniers : un pays de la conquête, du repoussement de la frontière et du nomadisme conquérant… sauf qu’évidemment ces mouvements se jouent sur un mode plus douloureux, plus mélancolique et sans doute plus subi.

POURSUITE ET ACTUALITE :

(1) : Inauguré en 1979, huit ans après la destruction des Halles de Baltard, traumatisme pour une bonne part de la profession (et les jeunes archis d’alors tel Jean Nouvel dont l’œuvre peut se lire comme une poursuite de cette archi métallique industrielle inspirée), le Forum des Halles (l’un des projets les moins inspirés de tous ceux proposés) jouera pour une large part dans le désamour des Parisiens pour l’architecture contemporaine dans la capitale. Un concours lancé en 2004 génère le plus vaste débat citoyen sur l’architecture et la ville à Paris depuis… disons Beaubourg, à quelques mètres de là, mais plus éloigné dans le temps (trente ans auparavant). La sagesse du projet lauréat, celui de David Mangin, entraîne alors une nouvelle consultation pour le Carreau des Halles, « porte d’entrée » du nouveau Forum. Le projet lauréat, celui de Patrick Berger et Jacques Anziutti...



... dénommé la canopée (ie la cime des arbres) ressemble plutôt au couvercle à poser de toute urgence sur la boîte de Pandore du Forum, véritable catalyseur de fantasmes architecturaux.
Le calendrier indiquait que les premiers travaux (ceux du jardin) devaient démarrer en 2007. A ce jour, toujours rien. Y aura-t-il, un jour, un second « trou des Halles » ? L’histoire de l’architecture (et du cinéma) se répétera-t-elle ? Un cinéaste inspiré y situera-t-il un nouveau Touche pas à la femme blanche ?

(2) : Au rythme où vont les choses, le film de Jia Zhang Ke a déjà transformé le présent en archive. Une archive pour documenter…


… le moment où la Chine a décollé (d'ailleurs cette image de tour prenant son envol peut être vue comme le négatif de la tour qui s'effondre dans l'extrait ci-dessus, ou encore une fois, pour une nouvelle variation autour de l'urbanisme Tetris) ;
… le passage de l’usine à gaz du système communiste…
…. à celui d’un nouveau niveau du libéralisme ;
… ce à quoi ressemblera la Chine de demain…

… mais surtout ce en quoi elle croira.

PS : Avec celui qui vient de réinventer l’eau chaude, je viens de me rendre compte que Jia Zhang Ke avait 19 ans au moment des évènements de Tian an men et qu’il aurait très bien pu être l’un de ces jeunes sacrifiés par son propre pays. J’ai le sentiment que ses films parlent aujourd’hui pour ces jeunes disparus en leur montrant comment leur pays s’est passé d’eux, mais continue quelque part à broyer sa propre jeunesse, ou tout du moins à ne lui offrir de bien piètres perspectives d’émancipation (cf le miroir aux alouettes de The world).

PS 2 : Site assez complet sur Ferreri.

L'urbanisme est un jeu de construction

Avec des sucres, avec des humains, avec des légos, avec des papiers découpés, avec des parachutistes... la "Tetris video" est un genre youtubesque à part entière. Genre qui se devait d'affronter la grande échelle, avec le Tetris sur immeubles et encore plus fort:

... le Tetris avec une ville entière: Toronto Tetris (Julian Cardozo 2007).

Ou comment (ré)affirmer qu'un paysage urbain n'est question que d'équilibre et de pondération des masses, voire que l'urbanisme n'est qu'un jeu de construction.

Mais l'urbanisme, c'est parfois aussi ça:

Sometimes (Pleix 2004)

... une affirmation que la destruction peut générer une nouvelle construction,

... un tangram en trois dimensions,

... à moins qu'il ne s'agisse d'un exorcisme zen du 11 septembre.

mardi 25 mars 2008

Du boulot pour Nicolas Princen...

Je ne dois pas être le premier à trouver ça dans ma boite mail, mais bon, on ne va jamais se priver d'une bonne blague:
Ca me rappelle un autre post dont j'ai eu l'idée, au moment du psychodrame des municipales à Neuilly et que je n'ai jamais osé posté... donc là, je retiens mon souffle, j'ai honte, mais honte... mais j'y vais.... Alors:

Petit jeu des sept erreurs:

A gauche: un minet de gauche

A droite: un minet de droite

Erreur 1: la couleur des cheveux

Erreur 2: le choix de la main à mettre dans les cheveux, indice de la sympathie politique

Ensuite, je sèche... Je paye un pot à celui qui me trouve donc les cinq erreurs restantes.

Ah, là, là, là, j'ai honte, mais j'ai honte....

lundi 24 mars 2008

Les auteurs de ce sketch...

... (l'un de ceux qui m'a fait le plus hurler de rire), passent au cinéma.

Malheureusement, je ne sais pas trop quoi penser des premières images de leur film... qui sent déjà un peu trop la charliekaufmanerie appliquée. Wait... Sortie le 18 juin. Sinon, à voir encore cet autre sketch, on se demande s'ils vont réussir à être aussi drôle.

samedi 22 mars 2008

Un nid d'oiseau contre le toit du monde (coq-à-l'âne tibétain)

Toit du monde : Mont Everest 8444 mètres. Situé à la frontière entre le Népal et le Tibet. Par métonymie, formule journalistique pour désigner le Tibet, occupé par la Chine depuis 1950.
Toit du monde : Plus haut théâtre (en plein air) de protestation du monde.

Toit du monde (Etre sur le…) : sentiment que voudra ressentir chacun des athlètes engagé aux Jeux Olympiques de Pékin du 8 au 24 août 2008
Toit du monde (Rester sur le…) : ce qu’essaiera de faire Laure Manaudou lors des prochains Jeux Olympiques, sinon c’est un point et demi de croissance en moins pour la France.
Toit du monde (Rester sur le…) : ce que ne pourra pas faire la chanteuse Bjork à Pékin, suite à ça :




… ce qui devrait l’empêcher de défendre son titre de chanteuse de cérémonie d'ouverture.
Ou comment, en glissant quatre syllabes et deux fois cinq lettres à la fin d’une chanson, on arrive à déclencher l’ire du gouvernement chinois et surtout à s’ériger en Liberté guidant le peuple cyberpunk.

Boycott des JO : Menace brandie puis jamais mise à exécution. Ou alors, il faudrait d’abord demander aux milliers d’entreprises qui contractent avec la Chine de bloquer, toutes affaires cessantes, leurs relations commerciales avec ce pays.
Architectes : l’une des 750 corporations à ne s’être jamais posé la question du boycott. Il est vrai qu’il paraît difficile de résister aux offres d’un pays qui offre de quoi décupler (au minimum) la taille des commandes et des projets.

Nid d’oiseau : petit nom donné au stade olympique de Pékin construit par les architectes Herzog et de Meuron et où aurait pu chanter Bjork.
Nid d’oiseau (Bird's nest en VO) : Titre d’un documentaire sur les architectes Herzog et de Meuron et plus précisément, leur démarche de conception et de construction pour le stade olympique ainsi que pour une ville nouvelle de 300 000 habitants à Jinhua. N’ai vu de ce film que la bande-annonce qui donne furieusement envie.





Espère simplement qu'il s'agit d' autre chose qu’un clip pour flatter l’ego de ces « starchitectes » (tout de même parmi les plus accomplis de la scène mondiale). Et si ce film pouvait rentrer en résonance avec les derniers films de Jia Zhang-Ke, ceux qui nous montrent la face désenchantée du miracle économique chinois ? Sauf que là, on y évoquerait non seulement la part démiurgique de l'architecture, mais également les rapports professionnels et commerciaux entre deux cultures. Un film qui traiterait de la mondialisation, non pas de manière globalisante, mais en montrant ses gestes, ses pratiques et son pragmatisme ? Wait…

Gestes d’artistes : Ceux de Bjork et d’Herzog et de Meuron. Tous les deux m'ont marqué. Les comparer ? Les faire se répondre?
Redacted : film de Brian de Palma dont il est question dans le précédent post
Redacted (make your own…) : Petit jeu auquel peut se livrer l’internaute naviguant entre You Tube et autres blogs pour partir à la pêche aux images d’un conflit qui en est bien privé. En cela, les pro-Chinois rejoignent les situationnistes :

(photogramme: In girum... Guy Debord 1978)
Bloquer les images du conflit, ça reste le meilleur moyen de ne pas en parler. Heureusement, toujours quelques fuites...

jeudi 20 mars 2008

En allant voir "Redacted"...

... j'ai effectivement vu des images obscènes
... mais elles n'étaient pas filmées par De Palma.
Projetées juste avant son film, elles sont effectivement assez difficilement soutenables !

Sinon, le film… Quand même du mal à croire que certains y voient un film jalon. Film qui semble intégrer à l’avance sa propre explication de texte, ou plutôt de « régime d’images ». Et surtout film qui sacrifie la fiction sur l’autel de la sémiologie. Car c’est bien là le problème. Chapelet de séquences « medium is message » (que soit dit en passant, n’importe quel spectateur normalement informé a appris à (re)connaître) qui ne produisent qu’une fiction « marabout – bout de ficelle » prestement troussée dans son schématisme où les rôles des protagonistes sont distribués dès le départ (l’innocent sacrifié, la brute épaisse, le raisonneur qui nous assène dès la troisième minute le slogan : « la première victime d’un conflit, c’est la vérité ») pour ne jamais évoluer.

L’ambition de Redacted, quelle serait-elle ? Plus que de livrer film de guerre, dresser le tableau d’une guerre des images entre elles. Or, la pauvreté du schéma fictionnel du film, son manque de paradoxe va contre son projet même. Loin de « rentrer en conflit les unes avec les autres », images et dispositifs paraissent s’aplanir les uns, les autres, gommer leurs mutuels reliefs et aspérités.

Envie d’y opposer le souvenir de Zodiac (David Fincher 2007). Pas simplement pour opposer à l’ex-champion voyeur du « Nouvel Hollywood » son challenger sadique du « nouveau nouvel Hollywood », mais parce qu’il me semble que le sujet des deux films est au fond le même : comment un groupe d’hommes, confronté à l’irruption des pulsions du mal absolu en arrive à se sentir dépossédé de leurs propres personnalités.

Et puis, chez De Palma comme chez Fincher, une apparente compilation méthodique et factuelle, une apparente platitude narrative.

Chez Fincher comme chez De Palma, chaque scène a apparemment la sécheresse d’un procès-verbal, d’une pièce au dossier, s’en tient à un strict enregistrement.
Et puis, enfin, les affiches parlant d'elles-mêmes, parce que nous avons peut-être tout simplement là affaire à deux films cryptogrammes.


Pour autant, les sentiments provoqués chez le spectateur par les deux films sont radicalement opposés. Car chez Fincher, l’apparente répétition, le sur-place policier s’oppose à une sédimentation du temps long de l’enquête, que l’on ne sent pas de prime abord, mais qu’étrangement on finit par partager, comme une note monocorde qui, petit à petit, révèlerait l’étendue de ses dimensions sonores. Pas loin finalement de l’impression ressentie à l’écoute de Philip Glass (en fait, j'avais dit Philipp Glass comme ça pour balancer mes références et là en cherchant des liens, je tombe sur cette animation exemplaire sur les rapports musique - répétition - géométrie).
Phase (facilement) visible de cette impression : le travail de reconstitution (notamment la déclinaison des distributeurs de Coca depuis la fin des années 60 jusqu’à aujourd’hui). Phase plus secrète : les avatars de l’enquête qui d’un simple fait divers devient une chimère fictionnelle infiniment déclinée et recommencée.

Deux modes de décryptage. Là où De Palma pense qu’on ne peut saisir le mal et la pulsion...
... que par l’entremise de différentes images - télé, internet, handycam - ... Fincher tente de l’attraper suivant différents récits : comics, hiéroglyphes, énigmes, polar urbain (scène étonnante où le personnage de Mark Ruffalo confie son désarroi de voir l’enquête être devenue le pitch de Dirty Harry). Quelque part, si le crime génère en lui autant d’histoires possibles, il signifie l’impossibilité de boucler l’enquête. Comment arrêter une fiction qui se déploie sous divers avatars ? Le trouble ressenti devant Zodiac vient de cette impossibilité à réellement boucler le film… sans pour autant que nous ressentions tant de frustration que ça. Trouble qui est peut-être celui d’un « conte pour adultes » qui nous rappelle combien nous avons encore besoin qu’on nous raconte des histoires infinies et insolubles.
Là où le fait divers De Palmien se diffracte et se dilue sur différents supports d’images, celui de Fincher gagne d’étonnantes dimensions en se déployant en direction de différentes hypothèses fictionnelles parfois embryonnaires, bouts de fictions jamais bouclées, mais qui tricotées les unes dans les autres finissent par produire un canevas inédit, paradoxalement resserré et ayant conquis sa propre épaisseur… ... aux antipodes de la désespérante platitude de Redacted, où chaque séquence paraît finalement écrasée au fer à repasser, figée dans son propre explicite. Et puis la désagréable impression, au cours de la progression du film, d’assister finalement à une longue séance d’insensibilisation du regard (au sens médical du terme), cherchant à chaque séquence l’habillage adéquat (capture nocturne, caméra de surveillance, grain DV, saccades internet) pour rendre l’insupportable « presque visible » (car il est bien connu, ma bonne-dame, et Haneke nous l’a suffisamment répété, que les horreurs que même des enfants voient chaque jour sans broncher au JT, plus d’un adulte aurait du mal à les supporter sur un écran de cinéma), et culminant avec l’embarrassant montage photo final des victimes civiles, dommages collatéraux.
Là où Zodiac me trouble en infusant dans mon esprit autant de germes de fictions, Redacted m’anesthésie les yeux sans pour autant me paraît finalement une longue séance d’anesthésie du regard. Peut-être mon nerf optique est-il fatigué d’avoir vu tant de films. Je crois plutôt que certains films anticipent un peu trop leur propre discours et oublient la fiction en route.

dimanche 16 mars 2008

Zooms cosmiques

Powers of ten (Charles and Ray Eames 1977) : rendre le cosmos intime.

***

Solaris (Andrei Tarkovski 1972) : transformer l'intime en cosmos.

vendredi 14 mars 2008

L'esprit de la ruche

  • « La structure même du Technocentre est assez flippante. Au milieu du bâtiment, il y a un énorme open space: la ruche. En fait, de tous les endroits du centre, on peut voir les gens qui font une pause pour prendre un café. Donc, comme l’ambiance est assez délétère, personne n’ose y aller, et ceux qui le font le traversent en courant. »

Un salarié anonyme de Renault – « Au technocentre, tout le monde est sous pression » Interview dans Libération du 13 mars 2008

***

Après requête Google images, il apparaît effectivement une étrange similitude entre l’espace de « la ruche » Renault…


… et celui-ci, qui n’est autre que….


… la prison Presidio Modelo à Cuba, construite sur le modèle du panoptique, dont, wikipedia dixit, le principe est de permettre à un individu d'observer tous les prisonniers sans que ceux-ci ne puissent savoir s'ils sont observés, créant ainsi un « sentiment d'omniscience invisible » chez les détenus. Méthode de surveillance économe qui ne demandait apparemment qu’à être appliquée dans le domaine du management.

Se manifeste là une certaine impasse de l’architecture moderne, génialement stigmatisée dans cette séquence de….

Playtime (Jacques Tati 1967)…

... où s’il s’agit d’ouvrir au maximum l’espace, c’est pour mieux y cloisonner chacun. Où quand les « open spaces » se transforment en la plus redoutable des prisons, une prison qui, le soir venu, devient même domestique. Au moins, Tati sait s'en amuser.

mardi 11 mars 2008

Le voyage est une affaire de travelling (Le travelling est une affaire de voyage, ça pourrait aussi fonctionner, non ?)

Déjà tentée par quatre garçons dans le vent, il y a une quarantaine d’années, l’expérience de la quête spirituelle pop est à nouveau expérimentée par les trois frères du Darjeeling limited (Wes Anderson 2008 - sortie le 19 mars).
A gauche: Jason Schwartzman, Adrien Brody et Owen Wilson
A droite: des sosies d'il y a 40 ans.
En profond désaccord avec les Cahiers (qui se la jouent déjà ex-fan) et à l’inverse de Michel Ciment (qui voudrait lui, WA pas MC, faire arrêter le cinéma), je trouve chaque film de Wes Anderson meilleur que le précédent. Pourquoi alors qu’a priori, tout son cinéma cumule tout ce qui, en général, m’agace profondément (goût de la vignette, recherche du décalé à tout prix, maniaquerie bricolée, fétichisme du décor) ?

Bon, je reconnais que j'avais un peu peur, que l’esthétique ligne claire (que l’on lui connaissait de ses précédents films)…



... mêlé à l’usage de clichés exotiques (mais avec l’excuse que comme Hitchcock, il vaut mieux « partir du cliché que d’y arriver »), ça n'aurait pu donner que ça :


Mais non. Pas besoin de rentrer dans les détails pour relater la grande richesse de The darjeeling limited. Disons qu'elle tient parfaitement en une maxime paradoxale (que je me suis permis de piquer ici) :

The traveler sees what he sees,
The tourist sees what he has come to see.

GK Chesterton


Car la grande émotion du film vient justement se nicher dans l’écart entre une idée préconçue (que l’on se fait d’un frère, d’un parent, d’un pays) et ce que l’on découvre de lui, entre « what you have come to see » et « what you see ». De la prise de conscience de ce décalage naissent d’autres écarts qui structurent le film : celui entre ce qui semble y être programmé sur les rails et ce qui se passe sur les bas-côtés, celui entre la comédie parfaitement réglée et l’irruption du drame, plus généralement l’écart à combler entre l’enfant abreuvé de BD, jouant fort sérieusement avec ses trains électriques et ses maquettes de bateaux et le même devenu cinéaste et capable d'enfin manipuler ses jouets grandeur nature.


Pas étonnant que cet écart, ce chemin à parcourir soit, dans ses deux derniers films, constamment relayé, au niveau de la mise en scène par l’usage virtuose du travelling latéral, révélant à chaque fois la scénographie de lieux pourtant étriqués, sans profondeur (couloirs de trains, bateaux, sous-marins) et surtout leur dimension théâtrale, leur coulisses comme leurs espaces de représentation.

***
Sinon, toujours à propos de trains et de voyages :

- Il est vrai que la citation de Chesterton colle aussi parfaitement à cette célèbrissime séquence qui donne, comme rarement et en seulement quelques minutes, l’impression du voyage, du dépaysement et manifeste surtout une avidité à vouloir tout regarder dans un paysage, comme s'il était vu pour la première fois.

- Je découvre ce matin, ce projet ferroviaire et architectural, que je me veux d’avoir raté (alors qu’il a dû être copieusement et médiatiquement annoncé). Je trouve le rhabillage de ce train, plus généralement le travail de ce collectif de jeunes architectes Encore Heureux d’une grande fraîcheur et d’une grande poésie. D'ailleurs, leur projet DROMAD'AIR, compagnie de "tourisme urbain à dos de dromadaires" est aussi très wesandersonien.

samedi 8 mars 2008

Be kind refoot (génie du footballisme)

Pendant la coupe du monde 2002, il y avait sur l'Equipe TV, une émission « Enfin du foot » animée par Didier Roustan. Comme ils n’avaient pas assez d’argent pour acheter les droits des images des matches, ils retournaient les buts et les actions dans un square entre copains footeux. Je m’étais dit qu’il y avait là une superbe idée de cinéma, qu'un jour, je la recaserais dans un film et paf, cette semaine sortent deux films qui la reprennent, sans doute involontairement :

D’une part, cette séquence d’Andalucia (Alain Gomis 2008) pour l’idée du geste footballistique comme transe voire extase artistique (même de quelques secondes) .

Et d’autre part, Be kind rewind (Michel Gondry 2008) dont je parle sans l’avoir vu, pour l’idée des remakes cheap et cependant fort pédagogiques.

Tout cela m’a entraîné dans une cure de moments footballistiques desquels il apparaît :

- que Pelé reste le seul footballeur dont certains moments de légende sont des « occasions manquées », des gestes purs, hors du jeu, hors du score, hors du match, hors de l’équipe. Qu’il n’y ait pas eu but dans ces trois actions (la feinte contre l’Uruguay, le lob contre les Tchèques et la tête piquée stoppée par « l’arrêt du siècle » de Gordon Banks)...








... en rajoute encore plus à la légende. C'est le "human after all" de Pelé, c'est le fil de travers rajouté exprès dans certains tapis persans pour indiquer que seul Allah est parfait.




Sinon, le projet d’Andalucia, autoportrait double (celui du réalisateur et de son interprète Samir Guesmi) et foutraque, ne manque pas de beaux gestes mais se la joue peut-être un peu trop perso pour réellement emballer. Et puis, il y a d’assez belles idées sur l’incarnation (en particulier, dans les scènes justement où le héros fait face à des pures représentations : comme au Musée Grévin, en perpétuel figurant du cinéma français ou face aux toiles du Greco) mais il manque peut-être que le film s’étende un peu plus au-delà de son seul personnage principal, et que sa quête de transe poétique contamine plus largement le film mais bon, c’est déjà pas mal. En somme, tempérament bouillonnant mais en attente de confirmation. Les inspirations sont là, mais manque quelques enchaînements pour que ses envolées soient plus convaincantes.

En délaissant un moment le cinéma, l’impression que le foot produit lui aussi ses propres remakes. Affirmation du foot – et du sport plus généralement –comme d’un fait culturel à part entière, d’où la naissance de plusieurs projets transversaux comme cette performance de Massimo Furlan en août 2006 au Parc des Princes où il rejoua la demi-finale France-Allemagne 1982. Remake « suédé » (c’est le terme de Gondry) du match le plus traumatisant du siècle pour la psyché nationale, où le faux Platini devient une figure quichottesque sur un terrain dix fois trop grand, dans un stade vide aux neuf dixièmes, mais d'où sourdent quelques bribes de l'ambiance du match original via le grand écran du stade.





Ici, le penalty égalisateur (pas besoin de montrer les images originales, tout le monde les connaît par cœur).



Mais plus que ça, sans avoir besoin d’avoir recours à « l’art » ou à « la performance », le foot génère parfois ses propres remakes piteux quand quelques joueurs naïfs croient que la légende passera une seconde fois.

Là, c’est Mikaël Landreau qui a voulu refaire….



…. le penalty le plus surprenant de l’histoire.




Et puis là, c’est Robert Pires et Thierry Henry…..




… qui ont voulu refaire du Johann Cruyff, le second penalty le plus surprenant de l’histoire.




Mais parfois, il arrive que le remake (Messi 2007) égale la légende (Maradona 1986) et quand c’est comme ça, on se tait….






mercredi 5 mars 2008

Mes oeuvres (presque) complètes

Ça va être difficile de passer après tous ces cinéastes sur lesquels j’ai péroré, mais cette simple note pour annoncer que quelques-uns de mes essais filmiques (entre 5 et 8 minutes à chaque fois, les souffrances les plus courtes sont les meilleures) sont visibles sur le Net, dans des conditions à peu près potables. Suffit de cliquer sur les titres. Evidemment, tous les avis sont les bienvenus.
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Chers Parisiens

(ou un autre lien si ça ne marche pas)

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PERIPHPOLIS

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Traces de ville

(avec toujours le même lien de secours)

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Paris roule-t-il ?

mardi 4 mars 2008

J'irai au Paradis car l'Enfer est ici

En miroir, un embouteillage et un chemin dégagé.

Les voies de l'enfer et du paradis ?

samedi 1 mars 2008

Fondu au blanc

J'ai tant rêvé de toi, tant marché, parlé
Couché avec ton fantôme
Qu'il ne me reste plus peut-être,
Et pourtant, qu'à être fantôme
Parmi les fantômes et plus ombre
Cent fois que l'ombre qui se promène
Et se promènera allègrement
Sur le cadran solaire de ta vie.


Film : Brown Bunny (Vincent Gallo 2003)
Poème: J'ai tant rêvé de toi (Robert Desnos 1930)

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Sans doute le film de Vincent Gallo tient-il tout entier dans ce seul plan séquence, tant du point de vue esthétique (un film hanté par la tentation du monochrome) que du point de vue narratif : la fuite éperdue comme palliatif au saut dans le vide, la fuite comme disparition et dissolution, et pourtant la persistance du chagrin qui nous transforme en fantôme, l'impossibilité d'oublier, l'appel naturel à revenir hanter le désert des souvenirs, le plus paradoxal des paradis perdus.
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Pour entendre le poème de Desnos, il faut voir ce film...
Elle a passé tant d'heures sous les sunlights (Philippe Garrel 1984)
... film sans doute aussi bêtement taxé de nombrilisme que celui de Gallo, mais film là aussi tout entier hanté non seulement par les fantômes de l'amour, mais aussi, de ci, de là, par la naissance de l'amour (finalement, tous les films de Garrel pourraient porter ce titre) au travers de moments épars aussi magiques que celui-là. Et en plus, le film est offert.