(1): Touche pas à la femme blanche (Marco Ferreri 1973)
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(2): Still Life (Jia Zhang Ke 2007)
Forum des Halles 1973, Barrage des Trois-Gorges 2007. Deux chantiers titanesques. Deux villes détruites en direct. Deux films pour saisir ces mutations urbaines.
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THEATRE(S) DES OPERATIONS :
(1) : « Trou des Halles », c’est-à-dire un terrain situé au centre même de Paris, d’une dizaine d’hectares, d’une vingtaine de mètres de profondeur et vierge de toute construction, suite à la démolition des pavillons de Baltard en 1971 et avant le démarrage du chantier du Forum des Halles en 1974.
(2) : Ville de Fengjie, ville en sursis car située en amont du barrage des Trois-Gorges et devant donc être engloutie à la mise en service dudit barrage. Pour devancer son destin d’Atlantide, la ville est soumise à la casse continuelle, casse parfois manuelle, histoire de ne laisser qu’un désert au moment où les flots la submergeront.
VILLE SPECTACLE :
(1) : Une crevasse minérale en plein Paris, on dirait Monument Valley (à échelle réduite) circonscrit par quelques îlots haussmanniens. De fait, le trou des Halles deviendra le décor d’un western brechtien rejouant la bataille de Little Big Horn. Comme l’a dit l’autre, l’histoire se répète deux fois, la première fois comme tragédie, la seconde comme farce.
Film de guerre farce (et à ce titre métaphore de nombre de conflits contemporains, la charge anti-impérialiste restant toujours aussi efficace),
western simulacre donc mais finalement « mensonge qui dit la vérité », car l’outrance de la farce dit aussi l’obscénité de la destruction du ventre de Paris, et dit surtout à quel point la ville fonctionnaliste, souterraine et commerciale qui se construit (ou plutôt que l’on impose de force et ce même en plein centre historique) dans les années 70 n’est qu’une parodie de ville, une ville qui joue avec les signes de l’urbain sans en (re)produire son essence.
Et situer l’opposition Yankees - Indiens en plein centre de Paris n’a rien de purement gratuit tant peut se lire dans cet antagonisme celui entre les suppôts d’une ville franchisée et les humbles citadins qui en sont chassées…
… et pour lesquels le « droit à la ville » - pour reprendre le titre d’un célèbre ouvrage de sociologie urbaine (Henri Lefebvre 1968) – demeure encore une âpre conquête.
(2) : La seule chose qu'on garde du passé, finalement, c'est: « Du passé, faisons table rase ! ». A l’échelle urbaine, c'est toujours aussi spectaculaire !
PART DOCUMENTAIRE :(1) : Non seulement pour l'enregistrement de la destruction du trou des Halles en lui-même...
... mais aussi pour ses alentours, son Paris faubourien dans lequel Ferreri lâche sa troupe. Approche documentaire où beaucoup de choses se devinent dans les arrière-plans, comme ces badauds regardant éberlués ces cow-boys de carnaval.
C’est l’anachronisme qui devient un révélateur du présent.
(2) : Comme Pasolini, Jia Zhang Ke « double » chacune de ses fictions par un documentaire sur sa région de tournage (In public et The world ; Dong et Still Life). Pour autant, Still Life est en soi un formidable documentaire qui prend le miracle économique chinois à revers. Approche documentaire où beaucoup de choses se devinent aussi dans le hors champ, tel la question du déplacement des populations. Au contraire du centre de Paris de Touche pas à la femme blanche, l’épicentre de Still Life attire plus qu’il ne repousse. Bien que détruit à petit feu, c’est un Eldorado où débarque son lot de travailleurs ou d’aventuriers. Si l’on voit donc des déplacements dans le film, ce sont davantage ceux de la population qui arrive (mais uniquement pour un temps, une mission) que ceux de celle qui doit partir. En cela, la Chine d’aujourd’hui paraît rejoindre l’Amérique des pionniers : un pays de la conquête, du repoussement de la frontière et du nomadisme conquérant… sauf qu’évidemment ces mouvements se jouent sur un mode plus douloureux, plus mélancolique et sans doute plus subi.
POURSUITE ET ACTUALITE :
(1) : Inauguré en 1979, huit ans après la destruction des Halles de Baltard, traumatisme pour une bonne part de la profession (et les jeunes archis d’alors tel Jean Nouvel dont l’œuvre peut se lire comme une poursuite de cette archi métallique industrielle inspirée), le Forum des Halles (l’un des projets les moins inspirés de tous ceux proposés) jouera pour une large part dans le désamour des Parisiens pour l’architecture contemporaine dans la capitale. Un concours lancé en 2004 génère le plus vaste débat citoyen sur l’architecture et la ville à Paris depuis… disons Beaubourg, à quelques mètres de là, mais plus éloigné dans le temps (trente ans auparavant). La sagesse du projet lauréat, celui de David Mangin, entraîne alors une nouvelle consultation pour le Carreau des Halles, « porte d’entrée » du nouveau Forum. Le projet lauréat, celui de Patrick Berger et Jacques Anziutti...
... dénommé la canopée (ie la cime des arbres) ressemble plutôt au couvercle à poser de toute urgence sur la boîte de Pandore du Forum, véritable catalyseur de fantasmes architecturaux.
Le calendrier indiquait que les premiers travaux (ceux du jardin) devaient démarrer en 2007. A ce jour, toujours rien. Y aura-t-il, un jour, un second « trou des Halles » ? L’histoire de l’architecture (et du cinéma) se répétera-t-elle ? Un cinéaste inspiré y situera-t-il un nouveau Touche pas à la femme blanche ?
(2) : Au rythme où vont les choses, le film de Jia Zhang Ke a déjà transformé le présent en archive. Une archive pour documenter…
… le moment où la Chine a décollé (d'ailleurs cette image de tour prenant son envol peut être vue comme le négatif de la tour qui s'effondre dans l'extrait ci-dessus, ou encore une fois, pour une nouvelle variation autour de l'urbanisme Tetris) ;
… le passage de l’usine à gaz du système communiste…
…. à celui d’un nouveau niveau du libéralisme ;
… ce à quoi ressemblera la Chine de demain…
… mais surtout ce en quoi elle croira.
PS : Avec celui qui vient de réinventer l’eau chaude, je viens de me rendre compte que Jia Zhang Ke avait 19 ans au moment des évènements de Tian an men et qu’il aurait très bien pu être l’un de ces jeunes sacrifiés par son propre pays. J’ai le sentiment que ses films parlent aujourd’hui pour ces jeunes disparus en leur montrant comment leur pays s’est passé d’eux, mais continue quelque part à broyer sa propre jeunesse, ou tout du moins à ne lui offrir de bien piètres perspectives d’émancipation (cf le miroir aux alouettes de The world).
PS 2 : Site assez complet sur Ferreri.