dimanche 28 mars 2010

Symphonie urbaine

Les clips de l'album de Sufjan Stevens BQE ou devrait-on plutôt dire "la composante images de son "projet multi-média autour du Brooklyn-Queens-Expressway" sont visibles pour encore quelques jours à cette adresse.
Rajout une fois passé le délai fatidique : Les liens n'étant plus actifs, je remplace la vidéo par une autre moins explicite et convaincante, mais de la même inspiration.



Honnêtement, je n'avais pas écouté cet album, mais j'aime ce clip qui transforme le flux urbain en nouvelle signalétique abstraite. En même temps, cette approche ne me paraît pas si neuve que ça. Tiendrions-nous tout de même le chaînon manquant entre l'ouverture de Manhattan et les trips de Koyaanisqatsi ?

Rajout : Mon ami Martin, grâce à qui j'ai découvert cette vidéo, me précise via Facebook, qu'il y voit plutôt un mix entre ça et ça. Ce sont des références plus précises.

Piétons de Paris (Sid & Cléo)

"La forme d'une ville change-t-elle plus vite que le cœur d'un mortel ?" Et son état d'esprit ? Par quels moyens le capter. Sans doute, pour un Parisien comme moi, l'un des plaisirs les plus simples du cinéma est-il de retrouver, au détour d'une séquence, le plaisir de la flânerie, l'humeur du quotidien saisi dans les regards des piétons, les terrasses des cafés et les intérieurs des boutiques. Plus c'est banal, plus c'est précieux. Le simple jeu des sept erreurs (micro-différences ou mutations profondes) en devient des plus excitants.


C'est ainsi que deux extraits, saisis à une quinzaine d'années d'écart (mais malheureusement pas tournés dans le même quartier) prennent encore plus de saveur quand ils sont vus non pas l'un après l'autre, mais l'un en même temps que l'autre.

A gauche, Sid Vicious propose une sorte de remake des provocantes parades baudelairiennes (je crois savoir mais je n'en suis pas certain que l'admirateur de Brummel descendait les Champs-Elysées coiffé d'une perruque verte) en inventant un nouveau dandysme de la provoc qui joue sur la même réaction chimique : jeter un corps imprévu dans un environnement ordinaire et voir si cela crée une réaction chimique qui agite un peu le ron-ron du pittoresque.

A droite, Cléo (plus précisément saisie entre 17h45 et 17h52, plutôt que de 5 à 7) et une déambulation tâtonnante, portée par les voix feutrées des piétons qu'elle croise. A priori nettement plus aimable que Sid, elle n'en paraît pas moins étrangère à la grande communauté urbaine, saisie dans un recueillement intime qui l'empêche de goûter à un spectacle de la rue dont, par ailleurs, la caméra se délecte.


C'est que malgré leur opposition de façade (soulignée par leur antagonisme sonore : le punk-musette braillard versus les murmures et les confessions - je vous laisse libre des modulations et des effets de mixage), ces deux extraits semblent habités par la même question : le corps en sursis noyé dans le corps social. En témoignent l'abondance de regards à la dérobée lancés par les passants témoignant, dans les deux cas, suspicion et méfiance. Sous l'apparence narcquoise et légère de la bal(l)ade punk, le trajet de Sid Vicious se révèle d'une grande cruauté, fixant les rictus et l'emprisonnement cabotin d'un bouffon déjà condamné à brûler, sans grande joie finalement, sa jeunesse. Quant à la promenade de Cléo, son inquiétude rentrée n'est qu'une façon de retarder l'échéance: celle qui pourrait balayer cette douceur de chaque instant par la révélation finale d'une douleur. Vulnerant omnes... Derrière l'écume des jours, toutes les secondes blessent. A tel point que l'on se demande si, à quelques années d'écart, ils auraient pu se réconforter l'un l'autre ? Sid & Cléo, c'est au moins aussi rock que Sid & Nancy, non ? Et moins tragique, osons même espérer.

Les corps passent et vieillissent, l'état d'esprit d'une ville, ses rythmes et ses sonorités demeurent finalement. Ne pourrait-on pas amender l'interrogation de Baudelaire, le suprême piéton parisien : "Le coeur d'une ville change-t-il plus vite que celui d'un mortel ?"

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Pour voir donc la confrontation en mouvement The great rock'n roll swindle (Paris 1977) / Cléo de 5 à 7 (Paris 1962), c'est donc là.

mercredi 17 mars 2010

La musique est partout

La musique est écrite dans le ciel (musique céleste) :

(Via. Quelqu'un connaît l'auteur de cette photo de partition zen et minimale ?)

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La musique est écrite dans le paysage (musique contemporaine) :

Fundamental spectra over seven basic durations - schéma de Karl-Heinz Stockhausen 1955
(En lisant ça, j'apprends que pour inventer ce nouveau mode de représentation musicale, Stockhausen se serait juste inspiré des montagnes suisses de Paspels qu'il voyait à sa fenêtre.)

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La musique est écrite sur les bâtiments (musique architecturale) :



Lumitectura
(court-métrage d'Arno Bruderer 2010)
(Joli petit film rappelant, de manière assez explicite que la géométrie, ce sont les gammes et la lumière les mélodies).

Palindromes filmés

Il a dû déjà être dit ici que les films racontés à l'envers devaient être en bonne position dans le top des fausses bonnes idées au cinéma (nonobstant quelques attachants courts-métrages, comme celui-ci dont je ne trouve pas d'images sur le Net).

Mais ce même principe peut parfois donner des résultats plus étonnants. On peut faire mention du célèbre clip-palindrome de Michel Gondry pour Cibo Matto, mais j'évoquerais, pour réconcilier les images avec les effets parfois attendus de l'auto-reverse :

- La danse palindrome de ce sketch, pas tant pour son astuce narrative que pour ses mouvements assez étranges et flottants dont je crois plus d'un chorégraphe contemporain seraient jaloux :



- La musique palindrome de ce "clip classique". Il paraîtrait qu'on pourrait détecter des fractales dans certaines pièces de Bach, mais cette animation (via) est assez convaincante sur la construction géométrique (qui plus est, en trois dimensions) de la musique :



Comme quoi, en danse comme en musique, les symétries les plus fascinantes sont souvent autant si ce n'est plus perceptibles au corps et à l'oreille qu'à l'oeil nu.

mercredi 10 mars 2010

Freaks reloaded

"Monster Reborn"
(Douglas Gordon, une photo de 1996)

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"Michaël Reborn"



(Séverine Robic, une blague du Net de mars 2010)

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Comme quoi, avec trois fois rien, on peut produire les plus effrayants des éternels retours de la momie.

vendredi 5 mars 2010

Passion destroy

Pour faire suite à un précédent post sur Kiarostami et Costa, nouvelles pièces à ajouter au corpus des "films passions" prenant comme seul et noble sujet le spectacle des visages pris sous leurs tempêtes physiques et mentales, mais cette fois-ci sur un registre plus destroy.

Tout d'abord, cet extrait d'un court-métrage de Ben Russell, cinéaste découvert à Rotterdam. Littéralement, un pur documentaire sur la transe musicale : "sons et lumière, corps et âmes".


Moins plastiquement séduisant et plus ambigu (disons qu'on a moins envie de se faire porter par cette transe-là), une déclinaison footeuse (et malheureusement incomplète sur le Net) du dispositif : Wir sind dir treu (Michael Koch 2005).


Disons que si cette vidéo m'intéresse, c'est aussi parce qu'elle saisit (certes, de manière mouvante et subjective) le point de bascule entre fascination et malaise.

Et si vos yeux et vos oreilles tiennent encore le coup, vous pouvez leur faire subir les derniers outrages aux yeux et aux oreilles, vous pouvez tenter la rencontre entre Dreyer et les punks numériques de Granular Synthesis. Bon, c'est un essai de ma part, pas sans risque sans doute... mais qui révèle que les images d'un film de 1928 tiennent encore sacrément le coup face aux assauts stroboscopiques et que le muet continue de porter en lui un sacré vacarme !

mercredi 3 mars 2010

Ce post a plus de deux semaines de retard

Suite à l'affaire du décrochage de l'installation-démontage-du-discours-présidentiel" ("Travailler/Gagner/Plus/Moins"), un rapide tour sur le site de l'artiste Ko Siu Lan m'apprend qu'elle est l'auteur de ce panneau de signalisation :

ce qui pourrait faire d'elle l'une des inspiratrices involontaires de cette stupéfiante campagne de pub :
(photo via nitot sur Flickr).

Mais plus que tout, avec ces deux "affaires", on se dit que John Carpenter dans They live (1988) avait déjà tout prévu. Sur la nudité de ces slogans, le choc de leur impact urbain et leur contenu latent de rappel à l'ordre , on lira donc avec intérêt cette pertinente analyse.

Dans le même temps (c'est-à-dire il y a presque trois semaines), le chantre du "stop thinking" cinéma, aka Gaspar Noé, faisait sa réapparition sur le Net avec un teaser-générique bardé de noms-slogans de son croquignolet dernier opus (Enter the void).



Bon, le film, mouaif, mais je dois avouer une faiblesse (coupable, ô combien coupable) pour cette ligne de coke visuelle, ce déferlement de mots stupides qui en 80 secondes en typographies sous acide (et vraisemblablement sous influence Peter Tscherkassky) me transmet infiniment plus la transe de la nuit tokyoïte que ne le font les 2h40 du soit-disant film-trip qui doit suivre ce générique. Ou l'on perçoit finalement l'hypnose de la mégalopole davantage dans le scintillement déréglé des néons et des inscriptions que dans l'espace urbain. C'était déjà la très forte sensation procurée par :


Tombée de nuit sur Shanghai (Chantal Akerman 2007), dont il était question .