Plutôt que le film lui-même, cela me fait revenir en mémoire cette sensation estivale de mon ciné-club mémoriel, car oui, je l’ai vu ce Vanishing Point, ce point de fuite étincelant où convergent toutes les lignes du paysage, ce point aveuglant qui nous fait détourner le regard de l’horizon, ce point d’éblouissement qui nous ferait presque croire que les extra-terrestres ont débarqué au bout de la route, ce point qui nous attire mais que nous craignons de rejoindre de peur de s'y consumer.
A trop le regarder, ce vanishing point, on risque de lâcher le volant. Serait-il donc pour les rétines, l’équivalent du chant des sirènes pour le tympan ? Ephémère perception qui conjugue l’exception du moment avec le haut risque de sombrer. Obligation de se cramponner quand le moment invite à l’abandon.
Ce vanishing point, peut-être finalement ne le voit-on qu’une seule et unique fois !
lundi 29 octobre 2007
Vanishing point
mardi 23 octobre 2007
L'amour flou
Pourquoi la scène de la rencontre amoureuse entre Denis Lavant et Juliette Binoche dans Mauvais Sang paraît-elle si intense ? Parce qu’elle exploite au plus fort ce paradoxe du « tombé amoureux » : tomber en arrêt devant un être si proche et pourtant si inaccessible.
Petit espace du bus rempli par la foule, profils perdus des voyageurs qui obstruent le regard et qui, en même temps, désignent de salvateurs interstices pour le regard. Et cette apparition qui surgit. Quelques centimètres d’écart et pourtant tant d’obstacles entre eux. A tel point que l’objet du désir, le visage aimé ne se découvre que par fragments et reflets tronqués et biaisés. Mais ces variations et déformations infinies ne rendent-elles pas ce visage encore plus désirable, puisque précisément soumis à la projection d’un regard désirant ?
« Durant ce bref instant d’intimité, un millimètre à peine nous sépare. Je ne savais rien d’elle ». Ce pourrait être le sous-titre idéal de cette séquence sauf qu’elle vient de…
… Chungking Express. Je ne sais si le cinéaste à lunettes noires de HK a vu le film de Carax et si sa vision a déteint sur son cinéma.
Premier point commun : tous les deux connaissent Pierrot le fou par cœur et ont appris de lui comment habiller de vrais films romantiques sous les oripeaux du faux film noir.
Deuxième point commun : leur art indéniable pour donner une ampleur souveraine à des petits espaces ou dit autrement son balancement entre lyrisme et claustrophobie. Après tout, In the mood for love et 2046 se passent entièrement dans des couloirs et des chambres d’hôtels.
Troisième point commun : cette thématique de l’amour si proche et si insaisissable à la fois.
Exactement comme dans cet échange de coucous amoureux dans Chungking Express.
Il est à noter que dans cette séquence, WKW ne suit pas le personnage de l’hôtesse de l’air, mais laisse son cadre fixe sur l’environnement urbain ressenti comme un aquarium, un bain de couleurs troubles.
Il faudra attendre la fin du film pour que les deux amants puissent à nouveau se croiser.
C'est que Wu (le flic amoureux) a un autre amour en tête. Plus il l’imagine...
Quant à la fin de Mauvais Sang, elle aussi fuit la netteté. Juliette qui court, qui court et la caméra qui paraît ne plus pouvoir enregistrer son mouvement. Elan qui se consume, envol, saut de l’ange, film qui s’accélère et sort de ses gonds. Pellicule non plus impressionnée par la lumière mais par l’élan romantique qui se consume là sous nos yeux. Un réalisateur qui filme en face l’amour qu’il a pour son actrice, ça fait plus que « cramer la pelloche », carrément dérailler le film. Finir sur un tel dérèglement, un amour tellement fou qu’il devient flou… Damned! Ca vaut tous les poèmes!
Bienheureux les myopes du pays du cinéma ! Pour une perte de (quelques points de) vue, quel gain en lyrisme ! Pas pressé de se remettre aux lunettes.
jeudi 18 octobre 2007
Natures mortes
… c’est sans doute qu’on va avoir affaire à une œuvre qui n’a pas besoin de beaucoup pour faire surgir la poésie à partir de la trivialité du quotidien.
Cet écho minimal et essentiel des formes dans le paysage, cette résonance discrète et ironique entre le proche et le lointain, entre l’éphémère et le permanent, entre le quotidien et le monumental, je le retrouve dans ce lieu qui m’a toujours fait rêver, malheureusement disparu depuis plus de cinquante ans :
Deux images haiku sur lesquelles je n’ai pas fini de rêver.
Le film, c’est Herbes Flottantes (Yasujiro Ozu 1959)
Le lieu, c’est la terrasse de l’appartement de Charles de Beistegui sur les Champs-Elysées (Le Corbusier architecte 1929-31).
mardi 16 octobre 2007
jeudi 11 octobre 2007
Enter the "CASA"
Si « l’architecture, c’est de la musique pétrifiée » (idée reçue n° 471) et si nombre de bâtiments dévoués à la musique jouent avec l’analogie de la grande forme symphonique (la Cité de la Musique comme illustration contemporaine à Paris), s’il faut donc trouver une analogie pour la Casa da Musica, elle serait donc plutôt à chercher du côté d’une dissonance stravinskienne qui rend tout grincement harmonieux.
La Casa de Musica ne cherche pas à ménager de transition polie. Comme Beaubourg, elle toise la ville historique en même temps qu’elle lui offre un miroir de son temps : à la fois un écrin et un défi. Comme Beaubourg encore, elle fait place nette autour d’elle, mais ne propose comme entrée qu’un trou de souris. Le piéton qui s’y aventure découvre un espace d’accueil vertical et introverti. Tout cela tient on ne sait trop comment, maintenu par de guingois piliers. Dimensions de cathédrale, mais pas vraiment de recherche de sérénité, d’autant plus que cet espace est sciemment perturbé par (ce que l’on devine être) une boîte opaque.
Cette boîte flottante, c’est la salle de concert, seul espace régulier du bâtiment, grand vaisseau coloré et (blasphème pour une salle de spectacles !) ouvert et largement translucide (mais le degré d’occultation reste évidemment modulable). Belle salle, mais pas super peuplée !
Mais dans le cours du bâtiment, la salle et sa régularité sont presque traités comme un corps étranger qu’il s’agit de contourner ou découvrir par des vues biaises avant d’y entrer. L’attention est portée sur les espaces de transition. Géométries et ambiances toujours surprenantes, larges ouvertures, véritables loges sur la ville. Exemple de cet espace acoustique accueillant des installations ou des mini-concerts. Pour voir la vidéo dans le bon sens, il vous faudra mettre l’écran de votre ordi à la verticale ou plus douloureusement tordre la tête.
Le mouvement d’ascension qui semble générer tout le bâtiment prend fin avec l’arrivée vers cet espace énigmatique, sorte d’amphithéâtre informel sous les combles, face au ciel. Là, le pliage semble se dilater, les austères parois de la Casa semblent, sous la force de la lumière, se déplier comme une corolle.
Mais connaissant la constante volonté de Koolhaas de sortir de la stricte rhétorique de l’architecture, ne pourrait-on pas établir une nouvelle proximité avec un autre artiste adepte des assemblages bringuebalants et du hors-piste : Kurt Schwitters , inclassable touche-à-tout (peinture, architecture, poésie orale), DJ avant l’heure, soigneusement à l’écart de Dada et du cubisme, tout en jetant des ponts inédits entre ces deux avant-gardes ? Tout comme Schwitters, Koolhaas aime varier les pratiques (écriture, architecture, journalisme quitte à s’improviser sociologue mondial), rêve de se situer à la jonction des avant-gardes de son temps tout en revendiquant de rester totalement irrécupérable. Et peu importe, si comme avec Schwitters, il en reste beaucoup pour le traiter de cynique et de mégalo. Pour preuve de ce rapprochement, les espaces de la Casa da Musica ne ressemblent à rien de connu, sauf peut-être au...
Devant la Casa da Musica, peu importent finalement les appréciations subjectives, car, à la visite de ce bâtiment, se révèle enfin le projet global de Koolhaas (qu’il poursuit aussi bien dans ses projets, ses écrits que dans sa compulsion de données socio-économiques) : dans un monde marqué du signe de l’incertitude, trouver l’équilibre dans l’instabilité, rendre l’inconfortable accueillant.
mercredi 10 octobre 2007
dimanche 7 octobre 2007
Musée d'art moderne
1 : cette collaboration inédite entre Piet Mondrian et Edward Hopper: Herbes flottantes (Yasujiro Ozu)
2 : ce ready-made cruel : La collectionneuse (Eric Rohmer)
3 : cette toile de Miro (période gore) : PTU (Johnnie To)
4 : cette esquisse inédite et enfumée d’un dripping de Jackson Pollock : 2001 (Kubrick)
5 : et enfin cette sculpture installation pop disposée en milieu urbain ? (Elle était peut-être aussi à la Nuit Blanche, celle-là d’ailleurs…): Jackass the movie (peu importe le réalisateur)
samedi 6 octobre 2007
Cinéma vérité et navet génial
… La grande casse (Gone in 60 seconds – H.B Halicki 1974) vu hier soir , comme l’atteste le rapprochement de ces attitudes, de ces moustaches et perruques poivre et sel.
On sent bien que dans ce film « écrit, produit, réalisé et interprété » par un roi de la cascade, le plus dur n’a pas été pour lui de régler les poursuites, mais bien d’écrire un dialogue, savoir placer sa caméra et diriger les acteurs.
Mais même avec une caméra toujours placée au plus mauvais endroit et des dialogues indigents, on peut toujours produire de beaux moments de cinéma, mais ô surprise, pas spécialement dans les poursuites. Ainsi, dans la première moitié du film, quasiment pas une seule vraie scène jouée, mais des fragments documentaires sur lesquels viennent se surajouter des dialogues en off. Suite de tableaux : le travail des mains sur le désossage d’une voiture, un mariage polonais, le backstage d’Indianapolis, le garage d’entretien d’une Formule 1, la pose de la première pierre d'un commissariat en présence de tout le conseil municipal. Toutes proportions évidemment et précautionneusement gardées, cette façon intrusive d’explorer les différents lieux du film, de filmer au vol et de se raccrocher aux gestes qui me rappelle incroyablement celle de Van der Keuken dans Amsterdam global village (1996).
Intrusion tout à fait naïve et inattendue du cinéma vérité dans la série Z. Rien que pour ça, Gone in 60 seconds postule au titre envié de « navet génial », catégorie que je n’ai pas fini d’explorer et dont j’espère bientôt dresser une esquisse de typologie.
mercredi 3 octobre 2007
Soumis à la question
Récemment, les chansons années 80 (« Pop ! goes my heart ») et quelques (très bons) dialogues dans Le come-back.
Déjà fait mon coming out sur Planète terreur (Robert Rodriguez). Dois dire que depuis que j’ai appris que Rodriguez a un projet de remake de Barbarella, j’attends cela avec une certaine curiosité, si ce n’est impatience. Et en bons ( ?) futurs parents, allons-nous nous précipiter sur En cloque mode d’emploi ?
Sinon, j’aime vraiment beaucoup la façon dont ma copine me vante Spiceworld. Plutôt que de voir le film, je préfère l’imaginer comme une folie baroque à la gloire des Spice Girls doublée d’un pur esprit british, ce qu’il n’est sans doute pas.
Tout le monde les as vus entre 11 et 16 ans, sauf moi et toujours pas rattrapé depuis : Breakfast Club (John Hughes) et tous les Die Hard
Dans le même cycle de la Cinémathèque en 1999 (sur les productions Corman des années 70-80), vu Rock n’ roll high school (Alan Arkush 1979) sorte de sous-doués américains avec les Ramones dans leur propre rôle. Mal écrit, mal joué, mal éclairé, mal réalisé, mais l’énergie rock binaire fait le reste, comme pour les films avec Elvis.
Sinon, les Russ Meyer doivent rentrer à l’aise dans cette catégorie, mais je crois aussi n’en avoir jamais vu un seul en entier.
Femme Fatale (Brian de Palma) : scénar et propos de série Z mais débauche de mise en scène ostentatoire et virtuose qui n’a jamais paru aussi inutile.
Enfin, Sauve qui peut (la vie) (Jean-Luc Godard) ou Labyrinthe des passions (Almodovar), ces films faits « sans filet » qui alternent les moments de génie et les plats ventres cruels sur l’asphalte peuvent-ils être considérés comme des navets géniaux ? Un navet génial est-il le mauvais film d’un cinéaste d’abord inspiré ou une suite de fulgurances produite en toute inconscience par un faiseur ? Vaste débat.
Sinon, on peut toujours aller faire un tour dans la caverne d'Ali Baba .
Merci la vie (Bertrand Blier) pour son infâme parallèle sida - Shoah et sa confusion de sens masquée derrière un godardisme de façade.
HUMEURS ET EMOTIONS
Annie Hall et Broadway Danny Rose (Woody Allen). Pas vraiment mdr, mais plutôt un sourire et un entrain égal qui ne se fane pas vision après vision.
Etre émoustillé à chaque fois : Deborah Unger dans Crash (Cronenberg). Mais qu’est devenue cette actrice belle comme une sainte ?
Les scènes d’amour saphique dans Mulholland Drive (Lynch). Mais qu’est devenue Laura Elena Harring ? Sans doute devrais-je écrire pour ces deux actrices et organiser leur come-back dans « the most emoustilling movie ever made in Hollywood».
Il était une fois un merle chanteur (Otar Iosseliani) : Le musicien en retard qui arrive juste à temps pour placer son coup de cymbale.
Conversation Secrète (Coppola) : La filature sonore.
Le vent nous emportera (Abbas Kiarostami) : L’arrivée dans le village.
Uzak (Nuri Bilge Ceylan) : Le départ du village et la traversée du paysage.
Pickpocket (Robert Bresson) : « Jeanne, pour aller jusqu’à toi, quel drôle de chemin, il m’a fallu prendre ».
Gens de Dublin (John Huston) : la confession finale et les plans sous la neige.
Tropical Malady (Apichatpong Weerasethakul) : la marche vers le tigre et le face-à-face avec le fauve
Sinon aujourd’hui, Hou Hsiao Hsien me semble vraiment sur la mauvaise pente. Depuis le sommet des Fleurs de Shanghai (1996), chacun de ces films est bien moins bon que le précédent.
Les films de Rivette me demandent à chaque fois de gros efforts, mais ils restent fermement dans ma mémoire.
Sinon, ouvrons le lourd dossier du cinéma français. Benoît Jacquot fait des navets loués par la critique. Comment peut-on rater à ce point un film comme A tout de suite avec un point de départ en or et un sujet magnifique ? Je me perds en conjectures sur Brisseau, dont le seul film vraiment réussi est à mes yeux, De bruit et de fureur. Mais est-il un cinéaste si vanté que ça ? Quant au délire sur Lady Chatterley, pas trop compris cet enthousiasme général, alors que le film me paraît juste honnête. Des adaptations de bonne tenue comme celle-là, il devrait y en avoir cinq par an. Ce devrait être la norme et pas l’exception. Trouble every day me semble un film d’étudiant en école d’art, mais ce que j’ai vu d’autre de Claire Denis, c’était plutôt bien.
Pour la « modernité cinématographique » : Bresson / Resnais / Pasolini (Godard est jaloux comme un pou de ne pas être dans la liste, mais il est un peu un mélange des trois et il a bien emprunté à chacun d’entre eux).