jeudi 29 avril 2010

La forme d'une ville

Qu'est-ce qui fait que l'on passe de l'agglomérat à l'agglomération, que dans un amoncellement de volumes sans échelle, on puisse penser reconnaître une ville ?

Embankment (installation de Rachel Whiteread à la Tate Modern 2005)

Qu'est-ce qui fait que dans le dénouement de Citizen Kane (Orson Welles 1941), on croit deviner, de toute cette accumulation de richesses une organisation secrète ?

On pense à un possible survol de Manhattan vu d'avion (disons entre 0:50 et 1:25 dans l'extrait à voir là), et puis cette impression s'évanouit quand on en revient à reconnaître à nouveau des objets derrière les volumes abstraits, une fonctionnalité derrière une masse. Derrière la brillante métaphore du vertige urbain, une pure vanité réalisée avec les moyens du cinéma : l'empire n'aura pu être qu'éphémère, il est redevenu grenier.


Jusqu'à quel point réduire la forme d'une ville pour atteindre son plus petit point de reconnaissance ? Le générique de West Side Story (Saul Bass & Robert Wise 1961) jouant la carte de la pure abstraction (au point qu'avec près de 30 ans d'avance, il paraît même dialoguer avec les oeuvres de James Turrell ou Olafur Eliasson) titille là aussi brillamment notre mémoire urbaine. Cette proue de Manhattan réduite en forêt de segments, ce ne serait pas l'équivalent visuel du mot sur le bout de la langue ? Cette chose que l'on est sûr de connaître, mais que l'on n'identifie pas immédiatement ? Cette ville que nous n'avons que peu (voire pas du tout) pratiquée et que, grâce au cinéma, nous pensons bien connaître, comme si nous l'habitions.

vendredi 16 avril 2010

Je défie Oliver Stone...

... qui nous assène avec la suite de Wall Street que "l'argent ne dort jamais", de faire aussi bien que ce mix (à voir là) sur le cycle infini des billets.

Avant même d'être mis côte à côte, chacun de ces deux extraits, la bande-annonce de L'argent (Robert Bresson 1983) et un passage de Temps / Travail (Johan van der Keuken, court-métrage de 1999) génèrent déjà, bien aidés par leur bande sonore mécanique, leur propre musique sérielle, sans début ni fin. C'est une sorte de cinéma techno, scandé, séquencé par la répétition et d’infimes variations de gestes comparables mais déclinés dans des contextes et à des échelles différentes.



Mais plus que tout, ce que j'aime dans ces deux extraits, c'est la façon dont ils prennent le contre-pied des discours habituels sur la folie spéculative ("tout cela, c'est à cause de la dématérialisation des flux") en montrant justement que certes, l'argent n'a pas d'odeur et pas sommeil (bonjour truismes), mais a quand même une matérialité, sa matérialité ambiguë que ces deux extraits parviennent à saisir. Cet argent qui file de mains en mains est-il à l’état solide ou déjà liquide ? Est-il un fluide qui brûle les doigts ou un solide qui se dégrade, à l’instar du mercure, ce métal à l’état intermédiaire entre solide et liquide et déjà dénommé « vif argent » ? Une honte ou un trophée ? Sans doute tout cela à la fois. Si le dire n’a rien de particulièrement original, le montrer en images sans paroles est une autre paire de manches, un défi aussi chimérique que celui auquel travaillent le ballet des mains dans ces extraits : caresser l’insaisissable.


mardi 13 avril 2010

Nouvelle dimension

La campagne d'affichage pour les téléviseurs 3D crée à la station Tuileries un effet de collage qui m'interpelle visuellement, mais sur lequel j'ai du mal à mettre des mots. Pour les non-Parisiens, rappelons que cette station est animée par une fresque photographique autour d'images emblématiques des cinquante dernières années. Et donc, collé à un panneau d'affichage, nous avons le premier homme sur la lune, soit un scaphandre à côté d'une paire de lunettes et les mêmes reflets dorés (ce qu'ils voient, c'est un trésor ?) sur leurs visières. A 40 ans d'écart, deux avancées technologiques qui produisent des images comparables mais avec des visées totalement antagonistes : l'exploration de l'infini contre le repli domestique, l'odyssée de l'espace contre l'affalement dans le salon.
Plus simplement, ne m'étant pas renseigné sur les télés 3D, je me demande réellement quelle en serait leur finalité. Uniquement pour (re)voir les blockbusters en relief ? Ou alors, allant de pair avec de nouveaux modes de filmage, travailler à une plus grande immersion Comme pour la Formule 1, pourrait-on imaginer des caméras embarquées sur chacun des participants à un match de foot ou de rugby pour les transformer en épopées subjectives ? A terme, avec une "3D-isation" appliquée à l'ensemble d'une grille de programmes, pourra-t-on réellement avoir l'impression de dîner avec Claire Chazal, s'asseoir sur le banc de touche pour raisonner Domenech (ou lui dire plus calmement que la 75e minute approche et qu'il serait temps de faire rentrer Govou) ? Quoi qu'il en soit, cette avancée (???) me permet de verbaliser mon allergie au flux télévisuel, parce que j'y sens que les dispositifs de pseudo-convivialité (les toc-shows) ou de fausse immersion (la télé-réalité) qui paraissent intégrer le spectateur se révèlent au final très excluants. S'il y a une bien une cloison à faire sauter, une nouvelle dimension à conquérir, c'est bien celle-là, celle de la vraie invitation adressée au spectateur.

vendredi 2 avril 2010

Kung fu claquettes

"For me there are what I call essential films : kung fu, Fred Astaire, porno. (...) It is the moving image per se that is the message in this kind of films, the way that the films simply moves on the screen without asking you questions."

Werner H. in Herzog by Herzog, 2002

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Découvert ces propos d'Herzog (avec une pique collatérale à Godard), il y a deux jours via Wildgrounds. Ils me séduisent, en même temps qu'ils me paraissent réducteurs (mais sans doute devrais-je lire l'ouvrage en entier pour m'en faire une idée plus précise). Ils me séduisent parce qu'au fond, je me demande encore et toujours quel est le degré d'innocence des images au cinéma, s'il est encore possible que des films (ou simplement des séquences) tiennent absolument toutes seules sur l'écran, sans référent, sans discours, sans effet rhétorique. Cette idée de revenir à l'image se justifie pour et par elle-même dans le simple enregistrement de son mouvement, c'est toujours excitant. En même temps, je ne vois pas très bien en quoi il faudrait limiter ce type d'émotions à des (sous-) genres particuliers, qui plus est, des genres disparus ou ayant mauvaise réputation, présentant donc l'immense avantage de ne pas être investi (voire pollué) par la glose cinéphilique. Je suis assez perplexe devant ce discours militant pour le non-discours, mais sans doute faudrait-il que je m'aventure un peu plus dans les propos (et la filmo) d'Herzog pour les faire mieux résonner.

En attendant, ces propos (qui m'ont aussi rappelé la quête de Tsaï Ming-Liang dont le mix burlesque, porno, comédie musicale de La saveur de la pastèque cherche à revenir à une essence des corps au cinéma) ont fait naître dans mon esprit l'envie d'un beau duo - duel :


... comme ils m'ont rappelé le beau final en claquettes d'un film d'art martiaux :



Zatoichi (Takeshi Kitano 2003)

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Rajout : Sur Facebook, un habitué de HK Cinemagic (que je remercie chaleureusement) me fait découvrir cet extrait de kung-fu (qui évite malicieusement d'être) classé X :



Chinese torture chamber story (Bosco Lam 1994)

Reste que le fantasme ultime du film kung-fu, sexe, claquettes devant lequel Werner Herzog déposera les armes, reste toujours à concrétiser. Avis aux téméraires qui voudraient relever le défi.