jeudi 31 juillet 2008

Mon fantasme de cinéma...

…. C’est de vivre, grandir et mourir dans la famille de The taste of tea (Katsuhito Ishii 2004).


Pourquoi ? Parce que rarement, un film m’aura donné l’impression de conjuguer sur sa simple durée (certes un peu plus longue que la moyenne : 2 heures 20 minutes) autant d’émotions si reconnaissables mais ressenties à divers âges de la vie, émotions totalement « bigger than life » mais pourtant si quotidiennes. Au point de voir le mystère d’une vie, mystère si familier et pourtant si étranger déposé sur quelques bobines et rendu partageable durant la découverte du film.

Comment présenter The taste of tea à ceux qui ne l’auraient jamais vu ? Un film « à vignettes » ? Un film kaléidoscope ? Un film « poético surréaliste » sur le quotidien d’une famille de la classe moyenne japonaise ? Hommage post-moderne à Ozu et à Yi-yi (Edward Yang 2000) mâtiné de Lewis Carroll ? Oui, bien sûr, mais plus que cela, Taste of tea paraît parler directement à un noyau situé à l’exacte intersection de l’imaginaire et de l’expérience, un noyau pétri et modifié par les souvenirs et les affects successifs des différents âges, un noyau qui serait, mieux que notre inconscient, la « boîte noire » de nos sensations et de nos espérances accumulées. Et The taste of tea s’adresse directement à cette « boîte noire ». Plus fort (et plus rapide et moins éprouvant) qu’une psychanalyse ! A tel point que le film lui-même ne dresserait finalement pas le portrait d’une famille où tous les âges doivent coexister, mais plutôt le portrait fragmenté d’une seule et même personne qui poursuit son chemin avec ce qui lui reste de rêves et l’accumulation de son ressenti familial, une seule et même personne qui voit les différents âges de sa vie poursuivre leurs existences simultanées.

Ages de la vie caractérisés par autant de « bulles d’imaginaire » rattachées à chacun des personnages, bulles autarciques que le film explore les unes après les autres. Mais c’est la loi des bulles quand elles sont si légères : elles ne sont pas complètement étanches et en se rapprochant, il leur arrive de fusionner, quitte à redevenir autonomes, mais légèrement modifiées par leurs récents échanges.

Ce mode d’immersion dans une culture familiale se double d’une immersion dans la culture japonaise contemporaine sur le mode d’une revigorante compression de styles et de représentations : haïkus, sketches, clips, blagues mangas, emprunts cinéphiles (Ozu pour les scènes à la gare, mais aussi Kids return pour celles de lycée), moments de burlesque suspendu comme celui-ci :


… qui évoquent les loufoques épiphanies littéraires à l’œuvre dans les romans fragmentés de Haruki Murakami… Et sans doute tant d’autres…

Film ovni ? Oui, sans doute suivant l’expression maintes fois rabâchée mais en même temps pas tant que ça. Car aussi surprenant que cela puisse paraître, il est sans doute possible de rattacher Taste of tea aux films de Wes Anderson voire aux deux derniers Desplechin pour cette façon obsessionnelle, ludique et virtuose (mais je conçois que ces trois cinéastes aient un sens du ludique et du virtuose très différents les uns des autres) d’ausculter les thématiques de l’imaginaire et de la mythologie familiale comme la constitution d’une famille de cœur (avec toute la gamme d’intermittences que le cœur peut permettre).

En plus d’être foncièrement original et débordant de vitalité, le film n’est donc guère orphelin. Bonne nouvelle. Raison de plus pour que chaque spectateur conquis ait envie d’être adopté par cette famille filmée et reconnaisse, dans cette dernière, autant de frères et de parents.

Cette note, postée le dernier jour de juillet, me permet de contribuer, sur le fil, au cycle « cinéma japonais » organisé durant tout ce mois par Wildgrounds. Enfin, je viens de mettre la main sur Funky forest, first contact (2005), le film suivant de Ishii resté inédit sur nos latitudes, ce qui vaudra peut-être un prochain billet.

mardi 29 juillet 2008

S'il n'en reste qu'un...

A mon tour de répondre à ce questionnaire. Ou dit autrement: qu'est-ce qui reste de toutes ces heures de cinéma quand on a tout oublié ?

Un film : Il y en a tellement, mais aujourd’hui disons Adieu Philippine (Jacques Rozier) parce que ce film est tout entier fait de l’humeur la plus estivale qui soit.
Un réalisateur : Il y en a tellement, mais aujourd’hui disons Stanley Donen pour avoir eu la chance, l’honneur, le privilège et le bonheur de diriger Fred Astaire et Audrey Hepburn.
Une histoire d'amour : La garçonnière (Billy Wilder)

Un sourire : A peu près tous ceux d’Audrey Hepburn
Un regard : A peu près tous ceux d’Audrey Hepburn
Une actrice : A votre avis...
Un acteur : Ben tiens, Albert Finney puisqu’il a eu la chance, l’honneur, le privilège et le bonheur d’être marié à Audrey Hepburn dans Voyage à deux (Stanley Donen) et puis Mel Ferrer qui a eu la chance, l’honneur, le privilège et le bonheur d’être marié à Audrey Hepburn, mais pour de vrai, lui qui a dû en faire des jaloux…
Un début : Celui de Huit et Demi (Federico Fellini) – peut concourir aussi dans les catégories « scène clé, rêve, révélation, choc tout court ».
Une fin : La règle du jeu (Jean Renoir), pas spécialement la fin d’ailleurs, mais le mouvement dramatique général du film et son accomplissement.
Un générique : Celui de fin de La splendeur des Amberson: « I wrote the script and I also directed this movie (or something like that). My name is Orson Welles (ça, j’en suis sûr) »
Une révélation : Catherine Mouchet dans Thérèse (Alain Cavalier) et le film lui-même aussi.
Un gag : A peu près tous ceux des Vacances de Monsieur Hulot, Mon oncle et Playtime (Jacques Tati).
Un fou rire : Le rire d’Amadeus (Milos Forman), celui qui sied aussi bien au génie qu’à l’imbécile.
Une mort : Celle que l'on croit voir surgir derrière chaque reflet et chaque éclat de cette séquence

The lady from Shanghai (Orson Welles 1947)

Une rencontre d'acteur (et aussi un générique d’ailleurs) : L’éloge de Michel Simon par Sacha Guitry dans La Poison (1951).


Un baiser : Celui qu’on attend dans tout In the mood for love (Wong Kar Wai) et qui ne vient jamais.
Une scène d'amour: La scène d’amour à trois entre Bo Derek, Dudley Moore et le boléro de Ravel dans Ten (Blake Edwards 1979). A ma connaissance, l’une des seules scènes d’amour comique où le burlesque ne tue pas le désirable. Sinon, celle dans le noir charbonneux de Pola X (Leos Carax 1999) aussi. Incroyable. Elle sauve presque le film à elle toute seule.
Un plan séquence :


Touch of evil (Orson Welles 1958)
Un plan tout court: Tous les plans de Persona (Ingmar Bergman 1966)… sinon ça:I walked with a zombie (Jacques Tourneur 1943)

Un choc plastique en couleurs: les couleurs des fresques qui s’effacent pendant les travaux du métro dans Fellini Roma.
Un choc plastique en noir et blanc : Un chien andalou (Bunuel et Dali)

Un choc tout court: Les sept (huit ? neuf ?) heures de La maison des bois (Maurice Pialat) avalées d’une traite au festival de La Rochelle en 2005.
Un artiste surestimé :
Un traumatisme : Un quart d’heure de Passe ton bac d’abord (Maurice Pialat) vu à la télé, alors que je devais avoir 10 ans. Première expérience du naturalisme frontal. Bien que j’y voie Didier Six marquer au stade Bollaert, j’ai l’impression que tout est laid et déprimant. Oui, du haut de mes dix ans d’enfant bourgeois, je me demande comment on peut faire un film sur un environnement pareil. Quelle honte rétrospective. Je n’étais pas préparé. Toujours pas (re)vu depuis.
Un gâchis : Catherine Mouchet devrait avoir plus de rôles qu’Isabelle Huppert.

Une découverte récente : Les deux films de Jack Hazan : A bigger splash et Rude Boy.

Une bande son :

Le silence (Ingmar Bergman 1963)

Un somnifère : Le regard d'Ulysse (Theo Angelopoulos 1996)

Un monstre : Leopard man (Jacques Tourneur)
Un torrent de larmes : Et la vie continue et Au travers des oliviers (Abbas Kiarostami). Pas de nature très lacrymale au cinéma (mes canaux sont peut-être asséchés) mais ces deux-là m’ont procuré une émotion intense, profonde et incarnée. Sinon After life (Kore-Eda 1998).

Un frisson : La course de Denis Lavant dans Mauvais sang… (mais je ne dois pas être le premier à donner cette réponse)

Un artiste sous-estimé : Au risque de me répéter, Jerzy Skolimowski

Un rêve : Gerry (Gus van Sant)
Un fantasme : Il fera l’objet d’une toute prochaine note, mais je préviens tout de suite, il n’y a rien de polisson là-dedans… Plutôt un fantasme de vie, dans un environnement de cocagne, si loin et si quotidien à la fois, un environnement chimérique que je connais pourtant comme ma poche, proximité rendue possible uniquement par le cinéma.

lundi 28 juillet 2008

Phénomènes : un film défait

On a retrouvé ce beautiful freak, celui qui ornait la pochette de l’album de Eels (1996). Ce gentil monstre, depuis, a grandi et n’est autre que Zooey Deschanel, dont le regard dilaté et écarquillé constitue le meilleur effet spécial (d’ailleurs le seul, puisque le vent produit par des ventilateurs, c’est de la machinerie) de Phénomènes (M. Night Shyamalan 2008).

Sinon, le film… Bizarre, vraiment bizarre. Sans doute pas un grand film, peut-être pas un si bon film, mais un film qui continue à imprimer sa trace dans ma mémoire. Tentative d’explicitation de l’ambivalence de ce film et surtout du sentiment qu’il procure.

Peut-être qu’au fond, Shyamalan vise directement le plus difficile : captiver et faire frissonner avec des coups de ventilateur et une bâche fendue. On salue le challenge, on sent l’intention mais on ne marche pas complètement. Evident constat de défaite de ce film qui aurait pu être formidable, mais qui à l’instar de ses protagonistes se retrouve coincé à la croisée de plusieurs routes, qu’il ne peut plus emprunter. Mais quelque part, Phénomènes, est une accumulation de défaites. C’est paradoxalement ce qui en fait son prix.

Un film symptôme de la défaite du cinéma face à la télévision. Il n’y a qu’à voir comment n’importe quel épisode de Lost paraît nettement plus intense, contemporain et fouillé. Phénomènes, avec son allure d’épisode relifté de La quatrième dimension (les mêmes liminaires scientifiques pour cautionner l’irrationnel) ne fait pas le poids face au déploiement fictionnel de la création de JJ Abrams. D’où aussi, l’impression d’un scénario étriqué, expédié en regard de son pitch si prometteur, pitch dont seule la machine télévisuelle, et plus du tout la série B « à l’ancienne », serait apte à révéler l’ampleur. Mais si déjà, le film nous attrapait par les sentiments ? Par son statut de « blockbuster qui ne serait qu’une toute petite chose » ? Cynisme ? En tout cas, une autre variante du grand film malade.

Un film de la défaite de l’Amérique. Plus que la énième fiction post 9/11 et pro Al Gore, la part la plus intéressante du film tient tout entier dans le parcours de ses protagonistes, qui prend à rebours le parcours fondateur de l’Amérique (des grands espaces jusqu’à la nouvelle frontière), comme sa rencontre originelle (l’homme face à la nature comme chez Walt Whitman ou Thoreau).

Rappelons que les grands parcs urbains (Central Park, les Tuileries ou les Buttes Chaumont) sont dans leur conception même des représentations d’Arcadies concrètes, des maquettes à taille humaine de la représentation d’un territoire, en somme des préfigurations voire des concentrés de l’« aménagement du territoire » du pays dans son ensemble. Central Park, c’est un rectangle d’Eden originel domestiqué au cœur de la cité la plus trépidante des Etats-Unis, les Tuileries, c’est un segment du grand axe royal, une métaphore de la rectitude de la vision étatique à la française. Et dans le film, c’est le nid des phénomènes. On ne peut pas être plus clair. Si le modèle réduit ne fonctionne plus, c’est carrément que le modèle lui-même défaille. Pour survivre à la catastrophe, il faut refaire le parcours inverse de ceux qui ont construit le pays : fuir la cité, s’effrayer des grands espaces, abandonner la maison témoin pour refonder un foyer… dans la maison des esclaves. Ce parcours d’anti-conquérant qui mène tout droit à la réclusion s’accompagne d’un corollaire tout aussi pernicieux : l’exact contraire du « united we stand, divided we fall ». Ici, l’unité amène à la perte de la communauté. C’est le groupe qui doit se diluer, le melting pot qui doit se défaire pour revenir au noyau familial. Enorme ambiguïté de ce « chacun pour soi » salvateur, ambiguïté pourtant excitante et retorse que le film n’a pas le temps de creuser, peut-être effrayé par ses propres présupposés. Dommage parce cette façon de dresser le portrait d’une Amérique recroquevillée, par le biais même de la progression de la fiction, est autrement plus saisissant que le twist final du Village.

Défaite des héros qui s’accompagne de la défaite des corps. Avec quelle résignation, ceux-ci abandonnent la partie et se laissent aller à la mort. Comme nous l’invite le titre original, il y a là quelque chose d’un happening de body-art, qui, au-delà de la « performance » et du « dispositif » transmet quelque chose du mystère de la mort qui vient toujours sans prévenir (il n’y a qu’au cinéma qu’on « prépare » les disparitions), le tout dans un mixte de quiétude et d’effroi qui pourrait s’appeler le début de la sagesse.

Si j’étais sévère, j’irais même jusqu’à dire que le film est une défaite de Shyamalan lui-même qui, quand il doit filmer le vent a quand même du mal à lutter avec ça :




Le vent (Victor Sjöström 1928)

Et quand il veut être sensualiste (même horrifique), il a quand même du mal à lutter avec ça :


Pather Panchali
(Satyajit Ray 1955)

Et pour autant, c’est très étrange, le film reste, obsède, me paraît celui de son auteur pour lequel j’ai le plus d’attachement, le plus de proximité malgré tous ses évidents défauts, malgré son travail à moitié fait. Moi qui considérait Shyamalan comme un cinéaste surfait, je viens vers lui avec son film défait, un film qui ressemble plus que jamais à un beautiful freak.

C’est peut-être dû au sortilège du regard de Zooey. La première apparition des ses yeux globuleux tenant en respect un portable en pleine vibration reste l’image la plus forte du film. Si un battement d’ailes de papillon peut provoquer un ouragan, un seul battement de ses cils peut-elle suffire à faire tenir un film ? Poser la question, c’est déjà apporter un début d’acquiescement.

jeudi 24 juillet 2008

Série noire

Trop moche, ce qui leur arrive à nos amis de Château-Rouge...
Enfin, un rebond, une reconversion est toujours possible :

mercredi 23 juillet 2008

Conte de deux villes

Je ne me lasse pas de cette image, issue d’un plan très court (deux ou trois secondes à peine), tout à la fin de la brillante séquence du meurtre dans L’Ami Américain (Wim Wenders 1977).
Etonnant qu’un plan aussi court renferme une image aussi forte, et surtout aussi emblématique d’une certaine ambivalence de la ville, ambivalence au cœur de nombre de débats actuels sur les transformations parisiennes. Déjà, l’image surprend. Elle montre le quartier de la Défense, comme on ne le voit jamais : par son envers, sa face cachée (et pas très flatteuse) qui vient buter sur les faubourgs si proches de Nanterre.
Presque trop belle pour être vraie, elle a l’évidence théorique d’un photomontage. Serait-elle fabriquée d’ailleurs ? Je ne crois pas, mais on ne peut jurer de rien.`
Cette image montre un rapport de forces. Entre le rouleau compresseur de la Défense et les vieilles pierres de Nanterre. Entre Hilberseimer et Robert Doisneau. A votre avis, qui va gagner ? Paradoxalement, avec trente ans de recul (l’âge du film), le rapport paraît s’être inversé. Aujourd’hui, le faubourg est roi, le volontarisme urbanistique est banni, la méfiance plane sur la performance architecturale et les bâtiments dés de sucre paraissent davantage périmés que les bicoques banlieusardes.
Car plus qu’une image de ville, cet instantané wendersien stigmatise au fond deux désirs contradictoires de ville (désirs partagés aussi bien par les habitants, ceux qui pratiquent la ville que ceux qui visent à la transformer : élus, urbanistes, architectes) qui ne cessent de cohabiter. La pratique de la ville d’aujourd’hui serait quelque part schizophrène. Nous voulons à la fois, une vitrine contemporaine, des bâtiments qui traduisent la performance, le futurisme et l’hyperfonctionnalité des services et nous voulons à la fois la quiétude des « quartiers tranquilles ». Désirs inconciliables ? Irréconciliables ?
Pour autant, l’image appellerait-elle une « ville de la troisième voie », plutôt un interstice où s’immiscer ? C’est qu’il y quelques mots sur cette image. Ceux d’une affiche « la boîte à outils ». Cette « boîte à outils » serait-elle, celle intellectuelle de l’architecte ou de l’urbaniste qui chercherait à prendre acte, de ces deux désirs de ville, condamnés à bricoler avec ces deux antithèses urbaines pour sortir de l’enfer de ces deux paradigmes caricaturaux : celui de l’urbanisme sur dalle et celui d’une reconstruction passéiste.
Poétique et éloquente, cette image si brève reprend finalement au mot le titre d’un ouvrage manifeste Collage city (Colin Rowe 1978). Ça tombe bien. Cet ouvrage développe justement les dialectiques à l’œuvre dans ce plan de Wenders, pour dessiner, dans l’intervalle de ces options volontaristes, une nouvelle « boîte à outils » de la forme urbaine.

dimanche 20 juillet 2008

Etat des lieux

Déménagement oblige, peut-être pas une énorme activité bloguesque ces derniers et ces prochains jours...

En même temps, je ne pas sortir l'habituelle excuse de l'attente d'une nouvelle connexion, la boutique en face de ma nouvelle adresse, assurant les secours pour tous les biens de première nécessité :

mardi 15 juillet 2008

Anthropomorphismes (les visages sont dans la rue)

Vu sur les bords d'une impasse, cette pierre de soutènement sculptée. Stèle ? Totem ? Masque ? J'imagine qu'une histoire se cache derrière cette oeuvre anonyme et brute ? Laquelle serait-ce ?

Me reviennent ces visages que je ne peux m'empêcher de débusquer dans de pourtants anonymes architectures parisiennes :

Ou, dans l'immuabilité de la pierre chercher une trace de la figure humaine.

dimanche 13 juillet 2008

Une affaire de goût

Vu rue des Vignoles, ce joli manifeste pour une gastronomie du verbe.
Ca ressemble à du Miss.Tic, mais ce n'est pas signé, alors...

mercredi 9 juillet 2008

Lost in the supermarket

Comme il avait déjà été dit par David Byrne dans True Stories (1987): "Shopping is a feeling".
Ainsi...

Shopping can be fun
C'est ce qu'affirme ce "merchandising movie" de 1957 ici savamment mixé avec Dawn of the dead (George A. Romero 1978), soit le grand écart entre l'hédonisme consommatoire et "Les morts-vivants vont au shopping mall", meilleur coupe-faim à la frénésie des achats. La thèse et son antithèse, donc. Vraiment ? A y réfléchir, les deux films paraissent-ils finalement si différents que ça ? Car de quoi peuvent naître les zombies ? De ne pas avoir connu d'autre biotope ou éco-système que celui du centre commercial ? De s'être livré à une consommation tellement outrancière qu'elle en est devenue dévitalisante ? Hypothèses acceptables, en tout cas rendues convaincantes par le mash-up ci dessous :




Shopping can be melancholic
C'est ce qui émane de cet autre errance parmi les rayonnages, celle non plus d'un zombie mais d'un fantôme modianesque, plutôt de Modiano lui-même au diapason de ses personnages revenant arpenter les lieux de leur passé, en spectateur de sa propre histoire. Ici, en l'occurrence, un cinéma comme on n'en fait plus.



De ces sentiments, il est permis de s'en souvenir et de les éprouver pendant les soldes...

mardi 8 juillet 2008

A la recherche des anciennes stars

Pas que Julien Doré dans la vie quand même...



Konkurs (Milos Forman 1963)

Et du même, huit ans plus tard, le quasi remake version américaine :


Taking off (Milos Forman 1971)


Qu'est-ce qui rend ces séquences si délicieuses ? Peut-être simplement qu'au-delà de l'ironie (et l'ironie, c'est plutôt facile, c'est aussi là-dessus que Nouvelle Star bâtit une partie de son succès), c'est l'humanité de ce rébus musical qui saute aux yeux : autant de visages scrutés et regardés, restitués dans leurs doutes et leurs élans. Quand bien même, certains ne prononcent que quelques syllabes, ils existent à l'écran. Et puis, au hasard, des vrais visages de stars, entre deux sosies de Joan Baez, de troublantes previews de Björk, Abba ou Amy Winehouse.


Bon, allez, comme on ne s'en lasse pas, encore un extrait :



Pour ceux qui se demandent s'ils ont bien entendu : les paroles (en bas de cette page).

Pour ceux qui se demandent comment d'aussi vilains mots ne parviennent pas à salir un aussi beau visage, disons que c'est là toute l'équilibre de Forman entre innocence et causticité, cynisme madré et idéalisme juvénile. Particulièrement dans Taking off, son premier film américain, "lettre persane" d'un dissident de l'Est qui découvre une autre contestation: celle du flower power. Quand deux dissidences se croisent, croyez-vous qu'elles se dissolvent ? Que nenni ! Elles se diligentent.

dimanche 6 juillet 2008

Villes visibles et invisibles

Le voyageur qui au bout de la route….

atteint la ville de Kiarostami croît devoir y chercher un trésor.

Il ne s’en rend d’abord pas compte, mais la ville de Kiarostami obéit à des agencements des plus logiques. Tout est caché, mais tout est logique. Il suffit de trouver la clef.

Au bout de la route, il y a la colline où est cachée...... la ville, à l'entrée de laquelle, est cachée ...... sa ruelle d'accès, au bout de laquelle est caché un passage secret ...... qui mène directement jusqu’à la chambre du voyageur.

En quelques pas, sans même que le voyageur s’en aperçoive, il passe du paysage le plus vaste à l’espace le plus intime. Et pourtant, le voyageur venait bien pour la toute première fois dans la ville de Kiarostami. Qu’est-ce qui a rendu son trajet si linéaire, si évident ? Qu’est-ce qui lui a fait croire qu’il se sentait presque comme chez soi ? Certes, les habitants (souvent les plus jeunes d’ailleurs) de la ville de Kiarostami sont accueillants et toujours prêts à guider les pas de l’étranger. Mais au-delà de ça, c’est la matière même de la ville de Kiarostami qui la rend si évidente pour celui qui la découvre. La ville de Kiarostami est une sorte de poupée russe en trois dimensions où grands et petits espaces, places publiques et passages secrets trouvent une imbrication miraculeuse.

Pour s’en convaincre, le voyageur retourne sur la place principale de la ville de Kiarostami. Et c’est là qu’il y découvre la singularité de sa matière. La ville de Kiarostami n’a pas de sols, pas de murs, pas de toitures, mais tout cela en même temps, lié par une même matière unique, une sorte de tapis urbain qui d’un même élan fabrique un trottoir, une rue, une place, une terrasse et partant toute l’architecture qui va avec.

Le voyageur avait entendu parler d’une ville pareille. C’était celle qui peuplait le rêve d’un ami architecte : une ville coquille d’escargot, un phantasme constamment poursuivi et jamais concrétisé d’une ville qui s’envelopperait autour des corps de ses habitants et surtout de leurs habitudes, mais sans qu’ils s’en aperçoivent.

Interloqué, le voyageur doit prévenir son ami l’architecte qu’une telle ville existe bel et bien même si personne ne le sait. Mais la ville de Kiarostami trouve ça très bien que personne ne le sache. Elle n’a surtout pas envie de faire parler d’elle.

La preuve, pour parler de la ville de Kiarostami, il faut sortir des ses murs et revenir tout en haut de la colline, là où la ville de Kiarostami n’est pas encore parvenue, là où il n’y a plus que des rochers… et même pas de cavernes. C’est là que le voyageur comprend la singularité de la ville de Kiarostami. Si cette ville est si belle, c’est qu’elle nous accueille à la fois comme une sculpture et un cocon.

Film : Le vent nous emportera (Abbas Kiarostami 1999)

Texte : Chapitre supplémentaire "rajouté aux et à la manière des" Villes Invisibles (Italo Calvino 1974)

***

Livre gigogne, livre talisman, catalogue de villes emblèmes, Les villes invisibles est le plus beau récit de voyage imaginaire. Litanie de récits de parcours et de découvertes de villes phantasmatiques, c’est sans doute la plus belle évocation du sentiment urbain quand il s’émancipe de la description pour atteindre à la cristallisation intime. Récit sans images qui en fait naître de quantité, il méritait bien un petit appendice (cet « à la manière de ») évoquant la magie de Siah Dareh, ce village du Kurdistan iranien, dans lequel je n’ai jamais mis les pieds (à l’avenir peut-être, mais ce voyage en Iran est constamment projeté, constamment repoussé), mais que j’ai l’impression de connaître intimement par la magie des itinéraires kiarostamiens. Si le héros de Kiarostami vient à Siah Dareh pour y trouver un trésor, le trésor du film, je l’ai déjà trouvé, c’est la ville de Siah Dareh elle-même.

jeudi 3 juillet 2008

Bonnes et mauvaises rencontres

Croisé hier une « connaissance » que je n’avais pas franchement envie de retrouver.
Comme nous marchions du même pas, à la même allure, mais dans deux directions opposées, on a dû se reconnaître à peu près au même moment.
Au même moment +1 milliseconde, on a compris qu’on s’était reconnu l’un l’autre.
Au même moment +2 millisecondes, on a pris la (sage) décision de ne pas ralentir notre pas, de continuer comme si de rien n’était, tout en sachant pertinemment chacun que l’autre savait fort bien qu’on faisait semblant de n’avoir rien vu, mais comme ni l’un ni l’autre n’avait envie de faire le moindre effort hypocrite pour l’autre.
Au même moment +3 millisecondes, on a compris réciproquement tout le mécanisme qui en tout n’a donc pas duré plus d’un centième de seconde.
Tout cela aurait pu donner lieu à un poème de Richard Brautigan, comme celui-ci:
IMPASSE
Je lui ai lancé un excellent bonjour, mais elle m'a retourné un au-revoir encore bien meilleur.

Mais quelque part, cette (fausse) rencontre, c’était exactement l’inverse de ce phénomène, tout aussi furtif mais nettement plus souriant :

Sans soleil (Chris Marker 1983)
Et tant qu'à rester dans les rencontres en direct devant la caméra, les rencontres chargés de regards de quelques millisecondes, parfois de biais, parfois par en dessous, parfois de face, mais toujours d'une incroyable densité, ce classique :


To have and have not - Le port de l'angoisse (Howard Hawks 1944)

Sinon, rien à voir (quoique...), j'ai été cordialement convié à cette autre rencontre ( mais plutôt tapi dans le public qu'assis à la table des négociations). Peut-être l'occasion de croiser blogueurs ou lecteurs, à moins qu'on fasse semblant de ne pas se reconnaître tout en sachant très bien que... Ce petit jeu-là est infini.