vendredi 27 novembre 2009

Puisque ces mystères nous dépassent...

Je sais bien qu'il n'y a pas plus tarte-à-la-crème critique que la "youtubisation du monde et du cinéma" et "l'effet de sidération devant ces images". Il n'empêche que je ne résiste pas à ces petits (et anodins) parallèles entre titres SF et captations de phénomènes pourtant tout ce qu'il y a de plus naturel.

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Une météorite passe à 90 kilomètres de la Terre. Suivant le principe inverse du flash autoroutier, cet excès de vitesse dérègle tous les gros pixels des caméras de surveillance. (Afrique du Sud, 21 novembre 2009)


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Un nuage-méduse flotte au dessus de la ville. Un trou dans le ciel, à travers lequel établir les premières rencontres du troisième type ? (Moscou, 6 octobre 2009 vidéo via...)


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La tempête de sable australe déborde. Ne résistant pas à reprendre sa part de désert, la capitale se transforme immédiatement en planète rouge. (Sydney, 23 septembre 2009)

mercredi 25 novembre 2009

Fêtes galantes

Comme quoi, il suffit de deux clics pour que les films se répondent. L'évocation de Mireille Perrier (et la note du Doc) m'ont permis de vérifier que je ne me lassais toujours pas de ça, à la suite de quoi, de lien en lien, je (re)découvre l'extrait qui paraît le parfait contrechamp de cette séquence d'Un monde sans pitié où Hippo décrète que "quand les monuments s'éteignent, il y a des gens (...) qui font la fête", à savoir :


Sauvage innocence (Philippe Garrel 2001)

Dans cette marche héroïque du petit peuple de la nuit et de la fête, ce scopitone dix-huitième siècle, on peut s'amuser à débusquer autant de symboles que dans un Watteau (la parade, le passeur, le départ, l'embarquement vers le trip). Toujours est-il que cet extrait, préfigurant cet autre, démontre que quand il s'agit de coller images et musique, Garrel peut renvoyer plus d'un clippeur à ses bidouilles.

Et tant que nous sommes dans les extraits festifs, j'en profite pour répondre à la question : "quelle est votre scène qui serait à la fois votre scène de pluie préférée, votre scène de douche préférée et votre scène musicale préférée (hors comédies musicales) ?" avec la sensualité de ce syncrétisme spirituel et chorégraphique :


Shara (Naomi Kawase 2003)

mardi 24 novembre 2009

Intimité

D'un bout à l'autre de la chambre...... les parcours sont bien dessinés.Et toute la ville autour de nous...
... serait belle, serait silencieuse..."
Images : Manhattan (Woody Allen 1979)
Texte : Chanson de la ville silencieuse (Dominique A / François Breut 1993)

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A la réponse à la question "Existe-t-il un plan, une séquence ou un film qui aient réussi à vous émoustiller sans avoir été a priori conçu à cet effet ?", je pense à ce court moment du film de Woody Allen, dont la composition graphique et spatiale me paraît parfaite : quelques rares points de lumière qui définissent les bornes du parcours des personnages, pendant qu'un bref moment la symphonie urbaine de la ville-cocon est sur pause. Un mouvement entre l'ampleur du romantisme et l'étriqué des murs de la chambre somme toute comparable à duo Dom. A. / Fr. B. Sans entendre le dialogue de la séquence, la distance qui s'infiltre dans ce couple est déjà manifeste. Plus que de me sentir "émoustillé" par le plan, je ressens tout de même un fort trouble, comme si j'allais moi-même devoir rejoindre et trouver mes mots pour réconforter une odalisque menacée par l'ennui. Et paradoxalement, la largeur du plan nécessaire à l'équilibre de cette sensualité domestique renforce la proximité.

Pour continuer sur les scènes de chambre...

"Vous prenez miraculeusement, au sein d'un film, la place d'un potentiel partenaire sexuel : lequel ?"

Là encore, il ne s'agit pas vraiment de "prendre la place" mais de ressentir une proximité. Et dans cette catégorie, je ne vois pas quel film a donné plus l'impression "d'y être" que les scènes dans et autour du lit de La maman et la putain (Jean Eustache 1973).



"Quel est pour vous le plus beau plan d'homme ou de femme endormi ?"


Théorème : Pour qu'un plan d'homme endormi soit réussi, il faut un plan d'une femme qui vient de se réveiller à côté.

Démonstration :


Les amours d'une blonde
(Milos Forman 1965)

Sachant qu'il y a sans doute autant voire plus difficile à filmer qu'une scène d'amour : une scène de réveil amoureux.

lundi 23 novembre 2009

Il y a 20 ans...

... je me disais que ça allait être super d'avoir 20 ans :



Aujourd'hui, je n'irais pas jusqu'à faire mon Nizan en disant à peu près le contraire, je me demanderais juste s'il faut revoir ses amours de jeunesse, tel ce film de Rochant. Et puis, en fait, après l'adoration puis le rejet de ce film, après avoir débusqué derrière le charme, ses emprunts et sa pose, après l'avoir accusé, au fil des années, du mortel péché de n'être pas si novateur que ça, on la (re)trouve pas mal cette scène, on trouve que sa douceur n'est pas feinte, on trouve que la madeleine n'est pas si fade et par ricochet, le souvenir du film ne réapparaît pas tant d'une intense justesse que juste honnête.

Tout cela pour dire que "si, comme dans La rose pourpre du Caire, un personnage devait sortir de l'écran et vous accompagner quelques jours, avant de disparaître à jamais", je choisirais comme ça, l'égérie de Carax, Rochant, Garrel, la Mireille Perrier des années 80.

(En souvenir d'Un monde sans pitié sorti le 22 novembre 1989).

dimanche 22 novembre 2009

Préliminaires (à une exploration érotique de ma cinéphilie)

Possible que grâce à (ou à cause de) l'imposant questionnaire de Ludovic "Erotisme et cinéma", ce présent blog se transforme dans ses prochaines notes en cabine de chauffeur routier cinéphile à coups d'extraits aguicheurs et de photos courtes vêtues. Je ne dis pas ça pour appâter le chaland, mais aussi comme un challenge pour moi-même : ne pas s'en tirer trop systématiquement à bon compte à coups d'exclamations bateau du style : "oh, je ne connais rien de plus troublant que l'irisation d'un rayon de soleil filmé à travers un feuillage"... L'heure des aveux approche et il va enfin être temps d'arriver à parler de références plus ou moins (re)connues, plus ou moins avouables, mais pas moins estimables...

Bon, pour commencer, à la première question "Quel est votre plus ancien souvenir d'émoi érotique ayant un lien avec le cinéma ", je renvoie à cette note où j'évoquais, entre autres souvenirs, ma juvénile passion pour Bo D. et Ornella M.... et pour rester avec cette dernière, je me souviens également de la belle affiche et surtout de la bande-annonce de Contes de la folie ordinaire (Marco Ferreri 1981, pas vu mais lu trop tard -ça m'aurait fait plus d'effet à 17 ans qu'à 27), ce moment où elle s'enfonçait une épingle à nourrice dans les joues et en tirait un petit plaisir, souvenir marquant quand on a 8 ans et qui devait être ma première rencontre avec disons la déviance.

Sur ce, je passe directement aux questions 14 "Vous êtes enfermé jusqu'au matin avec le partenaire de jeu de votre choix dans un musée berlinois qui a reconstitué des centaines de décors de films. Lequel choisissez-vous pour votre nuit ?" et 24 "Quelle est votre scène muette entre deux amants préférés", je réponds que je veux revenir une nuit au Salon de l'auto à Bruxelles en 1967 pour vivre ça :


Le départ (Jerzy Skolimowski 1967)

Tout cela reste très chaste, mais le bref moment où les deux mains se tendent quand la voiture ne fait plus qu'un reste quand même un sommet de fusion charnelle où le minimalisme de la forme n'empêche pas l'intensité. Promesse de l'instant, magie de la rencontre, magnifiée par la chanson (d'ailleurs, quelqu'un sait qui chante et quel titre ?) et en même temps tempérée par la douce inquiétude des paroles.

dimanche 15 novembre 2009

Films éducatifs

La prise de pouvoir par les mioches, en deux temps, trois mouvements.

Premier temps, premier mouvement : Un enfant refuse de remettre les pieds à l'école parce qu'on y apprend "que des choses qu'[il] ne sait pas" :

En râchachant (Straub et Huillet 1982)

Deuxième temps, deuxième et troisième mouvement : Ce que les enfants apprennent à leurs parents, c'est la comédie :

Peau de cochon (Philippe Katerine 2005)

Face à un cinéma largement infantilisé et à la plaie des mômes au cinéma, je repense souvent à ces deux bouts de films qui me paraissent de parfaits antidotes. Outre leur héritage commun du Vigo de Zéro de conduite (1933), j'aime leur ambivalence dans leur façon de se placer à hauteur d'enfant, mais sans mièvrerie et d'interroger cette position de manière philosophique. Délice de ces petites fables sur la transmission des savoirs et leurs pertinences. Délice aussi de voir que ce sont les enfants qui nous éduquent, i-né-vi-ta-ble-ment !

dimanche 8 novembre 2009

Let's dance

Le documentaire :

La fiction :

Ô madness... Deux extraits du même auteur, Joao Nicolau. Le premier extrait, un montage d'images documentaires, lui aurait donc permis de préparer le second : la danse de Rapace, son court-métrage de 2006 qui avait fait pas mal parler de lui à l'époque. Certes unis par la musique et le rythme, les deux extraits restent assez dissemblables et sont le prétexte rêvé pour s'amuser à pointer les différences et ressemblances dans les gestes et attitudes des danseurs.
Aussi conceptuelle que paraisse la "rapace dance" (entre ses ailes le souffle et l'esprit d'Hal Hartley battraient-ils ?), elle ne sort donc pas tout à fait de nulle part. Quelque chose de pédagogique se joue aussi entre ces deux extraits. Comme si les danseurs du second montraient ce qu'ils avaient retenu des images du premier. C'est moins habile, moins vif mais pas moins entraînant. Il y a là des danseurs ordinaires, pas des virtuoses qui donnent naissance à une danse conceptuelle mais pas abstraite de fondement. Leurs gestes sont répétitifs et minimaux mais personnalisés, juste ce qu'il faut pour qu'ils n'appartiennent qu'à eux. L'exact intermédiaire entre la chorégraphie de troupe amatrice et la "captation de soirée" -mais dénuée de tout naturalisme- où chacun danse comme il peut. Et quand on sait que les ambiances de fêtes demeurent l'une des choses les plus difficiles à saisir au cinéma... sauf, entre autres dans ce montage de -triste- circonstance :

mercredi 4 novembre 2009

Si vous voulez lire...



... une percutante analyse de ces deux vidéos, rendez-vous à la page 66 de cette modeste publication (ou si vous utilisez le lien, rendez-vous plutôt à la page 70 du feuilleteur, parce qu'ils ont rajouté de la pub dans la version numérique, mais c'est écrit tellement petit, encore plus petit que ça que vous serez obligés d'acheter le journal donc de revenir à la page 66, hi, hi,hi).

dimanche 1 novembre 2009

Les lieux

Chaque fois que dans un monastère de Kyoto ou de Nara, l’on me montre le chemin des lieux d’aisance construits à la manière de jadis, semi-obscurs et pourtant d’une propreté méticuleuse, je ressens intensément la qualité rare de l’architecture japonaise.
(…)
Au nombre des agréments de l’existence, le maître Sôséki comptait, paraît-il, le fait d’aller chaque matin se soulager, tout en précisant que c’était une satisfaction d’ordre essentiellement physiologique ; or, il n’est pour apprécier pleinement cet agrément d’endroit plus adéquat que des lieux d’aisance de style japonais d’où l’on peut, à l’abri de murs tout simples, à la surface nette, contempler l’azur du ciel et le vert du feuillage.
(…)
En vérité, ces lieux conviennent au cri des insectes, au chant des oiseaux, aux nuits de lune aussi ; c’est l’endroit le mieux fait pour goûter la poignante mélancolie des choses en chacune des quatre saisons, et les anciens poètes de haïkaï ont dû trouver là des thèmes innombrables. Nos ancêtres qui poétisaient toute chose avaient réussi paradoxalement à transmuer en un lieu d’ultime bon goût l’endroit qui, de toute la demeure, devait par destination être le plus sordide et, par une étroite association avec la nature, à l’estomper dans un réseau de délicates associations d’images. Comparée à l’attitude des Occidentaux qui, de propos délibéré, décidèrent que ce lieu était malpropre et qu’il fallait se garder d’y faire la moindre allusion, infiniment plus sage est la nôtre, car nous avons pénétré là, en vérité, jusqu’à la mœlle du raffinement."




Texte : Eloge de l'ombre (Tanizaki Junichiro 1933)
Film : Lieux saints (Alain Cavalier 2007) Et si ça vous a plu, la suite est , et encore .

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Malgré la (grande) réputation de son auteur, je me sens tout gêné de conseiller la découverte des Lieux saints d’Alain Cavalier, même plus « un film de chambre » mais carrément « un film de chiottes ». Un siècle de progrès techniques et de glorification de l’auteur au cinéma pour en arriver là : un cinéaste à la mini-caméra qui filme des toilettes dans leurs moindres détails (mais quand même pas en fonctionnement) pendant une demi-heure, prétexte au déballage intime sur la perte et le dépérissement ! Je me sens tout gêné et je me dis que j’ai tort car cet opus, volontairement ingrat et racorni, n’est pas si négligeable que ça et condense même le cœur de la démarche de Cavalier : assumer l’obscénité du nombrilisme, assumer la crudité de l’image DV brute de décoffrage pour conjurer une obscénité et une crudité encore plus imposantes : celles de l’oubli, de l’asthénie du souvenir et des sentiments fanés. La gêne de montrer plutôt que la honte (et la peur) d’oublier. A la réflexion, il n’y a que deux endroits où l'humain se retrouve seul, totalement seul : les toilettes... et le tombeau. Et oser franchir la bienséance, filmer dans la pièce interdite, c’est aussi, quelque part, parler depuis l’autre côté ou tout au moins le regarder avec sérénité (à cet égard, le panoramique à 3:05 est éloquent).

Quelque part, même si le cinéma n’a pas de frontières, Cavalier s’est peut-être trompé de continent. Serait-il un cinéaste japonais qui s’ignore : goût du haïku, conscience de l’éphémère, inclinaison vers le périssable, transfiguration de la trivialité, sérénité retrouvée au cœur du sordide ? Je dis cela, mais je me rends compte que je ne balance que des conventions sur la culture japonaise. L’éloge de l’ombre, la civilisation qui a fait le choix d’inverser les valeurs : les douces ténèbres contre les éclats des lumières. Clichés, pas clichés ? Au fond, je ne le saurai jamais. Et puis je me souviens de cette photographe Rinko Kawauchi dont les formats carrés évoquent les natures mortes du même Cavalier, qui est capable de figer, au-delà de ses gros plans de purs crépitements de lumière (la naissance d’une constellation ? ) voisins de ceux que je crois voir surgir dans le dernier plan de Lieux saints, s’échappant d’une simple ampoule de 100 watts.



J’utilise les arguments humanistes comme autant de défenses au malaise initial devant ces images et je revois le début du film. J’y reconnais aussi de l’humour et de la légèreté, mais les mots et références culturelles que j’employais pour en parler me paraissent de confortables paravents. La gêne n’a pas disparu. Bien au contraire, elle me paraît constitutive du film. Il y a un nœud psychanalytique voire psychotique qui résiste… et c’est bien entendu lui qui fait tout tenir.

Pour en rester au Japon, ce film de Cavalier me rappelle un documentaire de Naomi Kawase La danse des souvenirs (2002 - pour les plus téméraires, un extrait sur le beau site de la réalisatrice), portrait frontal d'un proche en fin de vie tandis que le cycle de la vie, lui, perdure, documentaire qui m’a d’abord subjugué par sa plasticité hyperréaliste mais que je n’ai pas réussi à voir en entier, peut-être parce qu’au bout d’un moment, je me sentais paradoxalement envahi par ma lutte contre mes propres mécanismes de défense, par ma propre voix intérieure me sommant de trouver ça sensible et de me battre contre ces images.

Irais-je jusqu’à dire que la délicatesse extrême de Cavalier et Kawase irait se muer en délicat extrémisme ?... Je ne sais pas. D'en arriver là, je me sens tout gêné.