mardi 20 juillet 2010

Taking off, une belle au bois dormant et des faux jumeaux

(Re)voir aujourd’hui Taking off (Milos Forman 1971), c’est éprouver le plaisir de se retrouver face à une Belle au bois dormant cinématographique. Inconnu, oublié, injustement évidemment mais qui, pour toute revanche choisit le plus beau des cadeaux que l’on puisse faire à un spectateur : délivrer de manière intacte les charmes de son époque. Combien y en a-t-il eu de films courant après l’air de leur temps, après les modes, les musiques et les looks ? Un paquet. Combien y en a-t-il eu pour se mettre à faner, à peine la pellicule impressionnée ? Un grand nombre. Et face à cet océan de films sinistrés, combien y en a-t-il eu pour restituer cette écume du temps, avec une grâce et une bienveillance intacte qui immunisent contre tout effet de péremption ? Il y a Taking off et il ne doit pas y en avoir beaucoup d’autres. Et pourtant, des choses datées, il y en a aussi beaucoup dans Taking off. Et pourtant, au niveau du récit, il y a aussi des grosses ficelles dans Taking off, un scénario somme toute assez théâtral voire un peu boulevardier, quelque chose qui, en purs termes de narration ou d’écriture, ne fait pas le poids face aux assauts de la « modernité cinématographique » qui a fleuri dans les années 70. Et pourtant, malgré ces faiblesses objectives, Taking off demeure d’une force rare. Si le film dégage autant de sympathie, c’est aussi parce qu’il ressemble à ses héros (des ados en fuite trouvant refuge dans une improbable « république en-chantée » où l’agora a été investie par le radio-crochet permanent) : généreux, volubile, éphémère, conscient de vivre un moment d’exception. Et comme ses héros, le film a finalement l’allure d’un jeune orphelin cherchant son frère dans la foule.

A propos de foule, vous vous souvenez du magnifique générique de Zabriskie Point (Michelangelo Antonioni 1970) : ces profils perdus de visages et de poings levés qui émergent du flou, dessinant le portrait impressionniste d’une contestation peut-être imprécise mais aux contours saillants.

Taking off, c’est le reflet rieur et prolixe de cette séquence : la plongée au cœur d’une nuée protestataire qui, aujourd’hui résonne plus qu’étrangement avec les bataillons de velléitaires nouvelles stars. Le film se délecte de ces visages et de ces attitudes brièvement extraits de l’anonymat le temps d’un couplet, d’un refrain voire encore moins que ça.



Offrir l’écran de cette façon, c’est indéniablement généreux mais le geste a aussi quelque chose de plus ironique : en se laissant déborder par cette profusion d’attitudes, en ne choisissant pas parmi elles (et en choisissant, a contrario, de raconter l’histoire de la plus timide d’entre elles), il y a aussi une façon de faire naître du regret. Contre le cynisme du « quart d’heure de célébrité », Forman fait éclore la joie d’aussi brèves rencontres immédiatement suivie de la mélancolie de ne pas poursuivre plus avant la rencontre. Mais si regret il y a, c’est un regret heureux, celui qui nous étreint parfois quand nous prenons conscience de la masse de livres ou de musiques à côté desquelles nous passons et que, quand bien même, il y aura encore des découvertes, celles-ci resteront infimes face à l’infini réservoir d’émotions inexplorées.

Œuvre d’un saltimbanque qui vient de poser le pied sur le continent américain, Taking off peut se targuer d’entretenir des accointances de regard avec Sirk ou Wilder pour ce regard aiguisé et critique sur l’american way of life. S’appuyant sur sa conjonction d’ironies (l’absurde de l’Est rencontre la contestation de l’Ouest pour aller très, très, très vite), le film carbure à un renversement des valeurs d’autant plus étonnant qu’il advient sans forcer : le cocon musical où se lovent les hippies fait finalement le nid de l’individualisme ; les parents éprouvent la liberté en partant à la recherche de leurs enfants fugueurs ; lesquels enfants portent finalement un regard de moraliste sur leurs aînés.

Le cœur de cette ironie se noue dans l’une des plus touchantes relations père-fille qui soit (quand bien même celle-ci reste très esquissée) où là encore l’effet de « fausse gémellité » se révèle saisissant. Pris dans les mêmes affres de la « midlife crisis », le père (Buck Henry) a des faux airs de Jack Lemmon quand la timide et charmante Linnea Heacock (qui ne fera plus jamais de cinéma) évoque, comme deux gouttes d’eau, la fragilité magnétique de Sissy Spacek (qui à l’époque n’avait pas encore eu de grand rôle). Que l’alter ego de Billy Wilder chaperonne l’une des futures égéries du Nouvel Hollywood, voilà encore un pur fantasme de cinéma : celui qui fait dialoguer des personnages adorés mais issues de galaxies trop éloignées pour se rencontrer ! Fort de toutes ces connexions inattendues (entre comédie acide 50-60’s et déflagration libertaire 70’s), pourrait-on s’autoriser à dire que Taking off est, pour le coup, un vrai film socialiste ? Connaissant les difficultés de Forman avec le régime de Prague, c’est sans doute osé, mais son cinéma finalement plus ironique que ravageur, plus réformiste que révolutionnaire, trouve sur le continent américain, de quoi affirmer son vrai credo d’une contestation guidée par le désir et la malice : à visage humain.

Et puis, j'avais déjà écrit ça (avec d'autres extraits)...

mercredi 14 juillet 2010

Quand l'Espagne joue, le foot devient de l'art...


"Très cher René, Merci de ton mot. Tu es un ange comme les gars qui jouent au Parc des Princes la nuit. (...) Quand tu reviendras, on ira voir des matchs ensemble. C'est absolument merveilleux. Personne là-bas ne joue pour gagner, si ce n'est à de rares moments de nerfs, où l'on se blesse. Entre ciel et terre sur l'herbe rouge ou bleue, une tonne de muscles voltige en plein oubli de soi avec toute la présence que cela requiert en toute invraisemblance. Quelle joie ! René, quelle joie ! Alors j'ai mis en chantier toute l'équipe de France, de Suède et cela commence à se mouvoir un temps soit peu, si je trouvais un local grand comme la rue Gauchet, je mettrai 200 petits tableaux en route pour que la couleur sonne comme les affiches sur la nationale au départ de Paris..."

Nicolas de Staël - Lettre à René Char (10 avril 1952 - au lendemain de France-Suède donc)

Images du haut : Bribes d'Espagne - Allemagne (7 juillet 2010)
Images du bas : Les footballeurs (série de Nicolas de Staël 1952)


Près de 60 ans après cette nuit où Nicolas de Staël connut son épiphanie plastique , le foot a bien changé mais nul doute que s'il avait vu cette finale de la Coupe du Monde (édifiante dans son opposition de style), le peintre aurait été conforté dans son appréciation.
En attendant, il suffit d'un téléviseur mal réglé pour poursuivre, sur un mode pixelisé cette série de 25 toiles tentant de capturer l'intensité des muscles et des couleurs en mouvement.

Et pour ceux qui ont vu le dernier Godard, une excellente variante de montage à voir ici.

dimanche 4 juillet 2010

Will the show go on ?

Cassavetes, Rozier, Fellini (voire Russ Meyer ?)... Les références glorieuses ne cessent de revenir au sujet du Tournée d'Amalric, mais sans doute le film peut-il se targuer d'un voisinage (volontaire ? involontaire ?) encore plus net avec deux films américains à peine vus et presque invisibles aujourd'hui.

Celui-là de 2007 jamais sorti chez nous (Go go tales d'Abel Ferrara) :




Et celui-là de 1981 rarement visible (Deux filles au tapis - ... All the marbles de Robert Aldrich) :



Disons qu'on y retrouve une commune façon de frôler la vulgarité (vulgarité franchie par la traduction française du titre d'Aldrich - Deux filles au tapis - quand le titre original signifie plus simplement "... le tout pour le tout"), de réinventer un rapport entre des hommes et des femmes (voire un seul homme et beaucoup de femmes) qui ont déjà vécu et pas mal encaissé, de transformer le Damoclès de l'échec en carburant pour alimenter l'impératif du "show must go on", de réinventer celui-ci en commedia dell'arte, de redonner vigueur à des désabusés rêves de gloire, de montrer le spectacle côté coulisses avec un oeil couvant... Mais il est aussi une différence notable entre ces deux films (malheureusement quasi impossibles à voir par des moyens légaux, vous savez ce qui vous reste à faire) et celui d'Amalric. Les deux opus américains sont pris dans un élan et une coulée de pur présent, quand la fragmentation de Tournée fait revenir, dans sa partie parisienne, des spectres du passé dessinant une ribambelle périphérique dont on attend qu'elle interagisse avec la ronde de la tournée, mais un peu en vain... Disons donc que Tournée, au-delà de sa franche séduction, contredit quelque peu son titre, en révélant parfois de coupables moments d'inertie... totalement absents des oeuvres d'Aldrich et de Ferrara.


Mais quoi qu'il en soit, là où, au final, les trois titres convergent, c'est dans l'invention d'une utopie saltimbanque . Mais toujours sur le fil, cette façon de revendiquer un spectacle fait main et hors des standards se révèle au final soit condamnée à l'entre-soi (le dénouement reclus de Tournée, assez proche de l'Etat des choses de Wenders, film où la "mort du cinéma" mutait en petite mort créatrice), soit prend le pari du "biggest show on earth" (le combat final du film d'Aldrich, et surtout ses prémisses, la montée de l'attente, le match -attention spoiler : gagné ou perdu à votre avis ?- avant même d'être rentré sur le ring). Face à ces deux conceptions (le repli ou la conquête), le Ferrara me paraît entre les deux : en perpétuelle répétition (à tous les sens du terme), à composer avec le sursis, à dompter la menace à coups de chance... jusqu'à la prochaine fois... Prochaine fois qui tarde à venir puisqu'il s'agit là du dernier film de fiction de Ferrara (même si imdb annonce un Jekyll and Hyde en projet).