jeudi 24 septembre 2009

L'amour persiste

Pour ceux que ça intéresse, vous pourrez retrouver ma prose (aussi bien que les dessins de ce blogueur-ci et les cartes postales de ce blogueur-là) au sommaire du numéro 4 de Criticat, une revue d'architecture "qui ne s'adresse pas qu'aux architectes".

La preuve, c'est que j'y parle essentiellement de cinéma, plutôt d'un film de seulement 20 minutes que j'ai dû voir sept, huit, dix fois et qui à chaque fois, me met par terre : L'amour existe (Maurice Pialat 1961), cartographie sensible et rageuse de la banlieue parisienne. Si vous ne l’avez pas vu, c’est , toutes affaires cessantes. Pourquoi l'envie de reparler d'un tel film aujourd'hui ? Parce qu'à l'heure où les plus éminents architectes, urbanistes et penseurs sont invités à penser le Grand Paris, le film de Pialat rappelle que le développement de cette métropole capitale de plus de 10 millions d’habitants est une vieille histoire et que le manque de partage entre le centre et sa périphérie est tel que ce n’est pas tout de suite que le retard sera comblé. L’ingratitude des relations ! Grand thème de Pialat, ici brillamment abordé pour la première fois. Reste qu’avant d’ausculter ces nœuds relationnels au sein des couples et des familles, Pialat savait les mettre à jour entre les villes. Prophétique et atemporel, le film n’a rien perdu de sa force.

Autre détail troublant (que je ne suis pas le premier à remarquer), ce raccord mental entre les derniers plans du film et l’image la plus fameuse de Pialat, il y a une vingtaine d’années dans un certain palais des congrès du Sud de la France :



« La main de la gloire qui ordonne et dirige, elle aussi peut implorer. Un simple changement d’angle y suffit. » Ce sont les derniers mots de L’amour existe, révélant la polysémie des attitudes apparemment figées dans la pierre : pitié et douleur derrière la gloire, mais aussi élans d’insurrection derrière le figé du monumental. Pour Pialat cinéaste, derrière les honneurs, la persistance de l’intranquillité. Derrière la grisaille de son court-métrage, l’amour persiste et les élans demeurent vifs. Forza !

jeudi 17 septembre 2009

L'angoisse de la page blanche

Bon, le rythme de ce blog (et l’enthousiasme de son tenancier) semblant diminuer, on en vient, quand on n’a plus d’idées, à bavasser sur le sujet fort tentant de l’éternelle angoisse de la page blanche. Deux exemples.

Paris - when it sizzles (Deux têtes folles, Richard Quine 1964) est l’un de ces miracles de la comédie américaine qui, tel Un jour sans fin (Harold Ramis 1993) arrive à concilier pur plaisir de la comédie au premier degré et arrière-plan conceptuel appelant par là même un autre plaisir, plus cérébral, celui de l’exégèse sans fin.

Pitch simplissime qui appelle la littérale mise en abyme : un scénariste et sa secrétaire n’ont plus que quelques heures pour livrer le script toujours vierge d’un film commandé il y a déjà des mois. Conséquence formelle : le film qui n’arrive pas à s’écrire est celui qui se déroule sous nos yeux, work in progress perpétuellement repris, perturbé, raturé par les repentirs de ses scénaristes. Exégèse « critique littéraire oulipienne » : le film comme adaptation involontaire et par anticipation du vertigineux Si par une nuit d’hiver, un voyageur (Italo Calvino 1979) ? Exégèse « UFR de sémiologie du cinéma à Paris 8 » : le film comme manifeste d’un cinéma performatif, celui d’un cinéma où la parole dicte l’action ? Exégèse « Nouvel Hollywood » : Milieu des années 60, crise de confiance des studios, incompréhension face à la Nouvelle Vague (attaquée, pas de manière très fine dans le film) et à la « modernité cinématographique », d’où mise en crise et (dernier ?) inventaire de toutes les fictions possibles, aussi bien baroud d’honneur que joyeuse déconstruction. Le plus étonnant est que cette célébration de l’artisanat hollywoodien casse en même temps ses propres règles. A force de coq-à-l’âne et d’auto-remixes, c’est le dadaïsme s’invite à la table du storytelling. L’enjeu du film étant bien sûr de garder une cohérence scénaristique à cette pièce montée dont on se demande à chaque instant comment elle peut encore tenir. Mille-feuilles, passage en revue, revue tout court, pulp (« matière molle, informe ») fiction ? Euuhhh… Oui, peut-être.

Bon, allez, un petit extrait, le moment « comédie musicale » (au réveil après une longue nuit d’écriture). Et comme pour tout le reste du film, le charme vient aussi de la miniaturisation du genre et des morceaux de bravoure presque réduits à l’état de maquette :


Tout autre genre mais tout aussi créatif à partir de l’impuissance créatrice : ce courte lettre filmée d’Alain Cavalier pour l’émission Cinéma-Cinémas, durant l’écriture apparemment douloureuse de Thérèse (1986) :



Assez impressionnant moment de cinéma « brut de décoffrage » (pas un gramme de montage, dit la légende, que je veux bien croire) qui transfigure l’impuissance d’un « cinéaste » qui ne sait peut-être pas quoi dire (ou plutôt écrire) mais sait filmer. Pour qui s’intéresse au cinéma de Cavalier, on peut y voir, avant même La rencontre (1996), son manifeste de la nature morte où la figure humaine (encore présente, même sur le mode du négatif et de la noirceur dans Ce répondeur ne prend pas de messages 1979) s’efface derrière le parti pris des choses. Et en jouant carrément (et dès l'entame du film) l’analogie entre la page blanche et l’écran de cinéma, Cavalier ne formule-t-il pas à sa façon l’interrogation essentielle de Robert Bresson : "Comment se dissimuler que tout finit sur un rectangle de toile blanche suspendu à un mur ? (Vois ton film comme une surface à couvrir.)"

Sinon, dernier point commun entre ces deux extraits : le surgissement du visage filmé dans toute sa majesté (celui d’Audrey H. chez Quine ; celui d’une timide inconnue castée par Cavalier à la fin de son film). Quand on ne trouve rien à dire (ou du moins, le croît-on), autant s’appliquer à de beaux portraits ? Nous disent-ils cela, ces deux cinéastes ?

Devoir de grisaille

Là où Jaques Audiard passe...... l'herbe ne repousse plus.

Le décor (disons plutôt les lieux de tournage) du Prophète, avant / après. Images extraites de cet assez instructif sujet dans lequel on s'aperçoit que le décor - morceau de bravoure du film va bien au-delà d'un simple travail de construction et s'affirme comme une véritable réinterprétation de l'architecture contemporaine ordinaire (et de son devenir carcéral ?).

vendredi 11 septembre 2009

Compact-film et Compact-architecture

A quelques jours d'écart, je découvre le travail du photographe Michael Wolf, ou comment compacter l'architecture pour ne plus en retenir que la déclinaison chromatique d'une trame textile (ou le gratte-ciel revenu à l'état de tissu) :
Et je découvre également le Cinema Redux de Brendan Dawes (un photogramme par seconde, une ligne égale une minute), ou comment compacter un long-métrage pour ne plus en retenir que la déclinaison chromatique d'une trame lumineuse (ou le film - Vertigo- revenu à l'état de spectre lumineux).
On voit mieux ...

Alors, est-ce que Michael Wolf et Brendan Dawes font la même chose ? Je ne saurais répondre, mais, placé devant leurs oeuvres, je vois au moins une autre conjonction : la nécessité d'aller fouiller du regard les moindres cases de ces compressions monolithiques, pour y dénicher des émotions derrière ces images ramenées à l'état de pixel, qu'elles proviennent des films (où est ma scène préférée ?) ...... ou du quotidien de la ville. Cf ce genre de vues où l'oeil commence à rentrer dans les appartements : ou encore plus explicite les zooms de la série Transparent city details.

Effroi du monumental et frisson du voyeurisme. Face aux images de Michael Wolf ou de Brendan Dawes, c'est le spectateur qui agit comme ses frères photographes, ceux de Fenêtre sur cour (Alfred Hitchcock 1955) et de Blow up (Michelangelo Antonioni 1966).

Exposition Michael Wolf, jusqu'au 26 septembre, à cette adresse.

mardi 8 septembre 2009

Géomètres

« [Pour mon film], le schéma d’une mégalopole beaucoup plus vaste que celle que nous connaissons actuellement sera réalisée par Rem Koolhaas qui se charge de sa conception ; le travail est en cours et sera documenté ici au fur et à mesure de son avancement. »

Michel Houellebecq (propos tenus à la Biennale d’art contemporain de Lyon 2007)

Si j’avais entendu ces propos à l’époque, j’aurais tremblé en attendant l’adaptation filmique de La possibilité d’une île. Pensez donc ! Koolhaas et Houellebecq, main dans la main, pour designer la « métropole post-humaine ». Deux regards qui savent non seulement décrypter l’anonyme environnement globalisé du commerce et du loisir dans lequel nous baignons, mais aussi le détourner au service de leurs propres inspirations, de leurs voix qui parviennent à faire rimer clubs et hubs, playa bianca, Prada et Lufthansa. Deux regards où derrière le masque du provocateur perce, somme toute, l’œil du moraliste. Trop belle conjonction ? Attente forcément déçue d’un nouveau jalon dans la représentation de la ville contemporaine ? Résultat de la rencontre des deux titans : rien d’autre que ce morphing qui nous laisse à la fois sur notre faim et à la porte de la dite mégalopole :






Plutôt qu’une mégalopole visionnaire (qui sonne de toute façon inachevée), ce schéma n’évoque rien d’autre qu’un circuit imprimé en trois dimensions voire, pour ramener des références, un plagiat du déjà effrayant Plan Voisin de Le Corbusier en 1925. Je ne dis pas cela pour tirer sur l’ambulance d’un film décrié (et d’ailleurs pas si pire qu’on ne l’a dit). J’irais presque jusqu’à penser que l’échec du film rend presque la voix de son auteur plus émouvante, ou plutôt il est intéressant de voir, en passant de support en support, les inflexions de la voix houellebecquienne : incantatoire à l’écrit, ironiquement chuchotée en chansons, essoufflée au cinéma.

Non, je ne dis pas cela juste pour me moquer mais pour montrer que filmer de la pure géométrie peut aussi donner des résultats éminemment sensibles et surprenants. La preuve :


Performance de 555 Kubik - How it would be if a house was dreaming - 2009

Performance tout à fait à la hauteur des intentions de Khooellebecq et du fantasme du "bâtiment à respiration exacte" qui hantait les jours et les nuits de Le Corbusieur. Performance qui délivre surtout la preuve que l'on peut arriver à faire danser l’architecture (qui plus est celle particulièrement austère dans le cas présent de la Kunsthalle de Hambourg - Oswald Mathias Ungers, architecte 2001), que l’on peut doter une façade rigoriste d’une troisième dimension nettement plus malicieuse, la preuve surtout que la géométrie la plus rigide peut se révéler d’une sensuelle malléabilité. Bel hommage, en tout cas, que la fantaisie rend à la rigueur.

lundi 7 septembre 2009

Les ruines

" Voici Tobacco Road aujourd’hui, mais il y a un siècle, lorsque les premiers Lester arrivèrent en Géorgie, c’était différent.
Elle parcourait 24 kilomètres jusqu’à la rivière Savannah, jusqu’à Savannakhet. Au Laos ? Oui. Elle traversait les plus riches plantations de coton et de tabac de tout le Sud. Elle longeait les magnifiques demeures construites par les Lester.
Elle longeait l’ambassade de France aux Indes. Mais c’était il y a un siècle.
C’était pendant les mêmes années. Il l’avait suivi aux Indes. Oui. Pour elle, il avait tout quitté. En une nuit, la nuit du bal. Oui. Michael Richardson était fiancé à une jeune fille de S. Thala, Lola Valérie Stein. Le mariage devait avoir lieu à l’automne. Puis il y a eu ce bal, ce bal de S. Thala. Elle était arrivée tard à ce bal, au milieu de la nuit, habillée de noir. Que d’amour à ce bal ! Que de désir !
Vint alors un temps où la terre tomba en jachère, de plus en plus longtemps. Croyez-vous que les Lester seraient partis ? Ah ça non. Ils restèrent, mais tout ce qu’ils possédaient, ce qu’ils étaient, avait été emporté par le vent, la poussière.
Cette lumière ? La mousson. Cette poussière ? Calcutta central. Il y a comme une odeur de fleurs. La lèpre. Où est-on ? L’ambassade de France aux Indes. Cette rumeur ? Le Gange. Sur quoi pleurez-vous ?"

Texte et images : mix Tobacco road (John Ford 1941) - India song (Marguerite Duras 1975)

***

Certes, selon les mots d'Auguste Perret, "l'architecture, c'est ce qui fait de belles ruines", mais en plus de servir avec envoûtement ce propos, les introductions cinématographiques des films de Ford et de Duras disent encore mieux que l'architecture génère ses propres fantômes. Rarement, deux débuts de films auront aussi bien saisi le travail du temps, figé aussi nettement le passé dans sa propre épaisseur, dans sa pulsation ralentie, le rendant par là même parfaitement présent et encore vivant, cristallisé en une matière insaisissable mais parfaitement palpable dans les bourrasques de vent, les fissures de la pierre, les effluves des parfums et les moires des étoffes.