vendredi 29 juin 2007

Journal filmé et roman familial

Empty Quarter, une femme en Afrique (Raymond Depardon 1985) est un film rare à tous les sens du terme. Rare parce que première tentative « très légèrement scénarisée » dans la filmographie du célèbre documentariste. Rare parce qu’il travaille la matière intime en réussissant le fragile alliage entre le journal filmé, la fiction ténue et le documentaire. Rare enfin, parce que j’y retrouve des résonances très personnelles, mais pas là où le film me les propose. L’identification subjective ne s’est pas faite là où elle était attendue. Ce qui me touche le plus directement, ce n’est pas tant le récit du film (même si la fragile rencontre amoureuse et les sentiments en sourdine peints par le film sont très émouvants), que le regard qu’il porte sur une ville : Alexandrie, ville où se déroulent les dernières séquences du film et surtout ville où ont vécu mes grands-parents, mon père et mon oncle (encore enfants) jusqu’en 1954.
De cette ville, je n’avais qu’une connaissance littéraire, jusqu'à l’été 2002, où je m'y rendais pour la première fois. Une expérience étrange : se sentir à ce point et simultanément « étranger » (c’était mon premier « voyage en Orient ») et « familier » avec une ville. Je n’y avais plus guère d’attaches, mais je ne pouvais pas m’empêcher de débusquer des indices ténus sur la présence familiale ou plutôt ses "fantômes".
Ce sentiment d’être à la fois si « familier » et si « étranger », je l’ai ressenti très fortement dans le regard que Depardon pose sur cette ville.

Ainsi, dans plusieurs des lieux traversés dans le film, je ne peux pas m’empêcher d’y voir évoluer ma famille. J’essaye de me placer cinquante ans en arrière et de coller sur les images du film des souvenirs familiaux, quand bien même ils demeurent fortement fantasmés.
Cette vue...


... ce ne serait-elle pas celle de l’appartement familial ? Ce qu’il y a de bien dans cette ville, c’est qu’où l’on se trouve, la mer n’est jamais loin et que vues souvent dégagées.

Et là je jurerais que plus d’une sortie du dimanche après-midi s’est déroulée entre ces murs :




Et là, en me baladant le long de cette corniche curviligne....

... je compris pourquoi ma grand-mère tenait tellement à passer tous ses étés au Lavandou , station varoise dont le bord de mer reproduit exactement la même incurvation. En même temps, elle aurait pu tout aussi bien aller à la villégiature à La Baule , qui pour la courbe n’est pas mal non plus. Mais il paraît qu’il y a moins de soleil et qu’on entre moins facilement dans l’eau.

Voilà pour les images qui me permettent de me la jouer petit Modiano.

Mais au-delà de toutes ces correspondances, le film de Depardon est rempli de moments « en creux », qui pourtant impriment durablement la mémoire, type de moments que l’on ressent préférentiellement en voyage. Comme ces moments où, au réveil, l’on observe depuis sa chambre d’hôtel le mouvement de la ville.


Etre ailleurs a pour vertu de transformer le quotidien en un spectacle dont l’œil du voyageur ne se lasse pas. On est l’abri, quelques étages au-dessus du trottoir. Encore quelques petits instants de contemplation, de découverte avant de se devoir se lancer dans le grand bain de la ville, au ras du bitume.

Les fashion victims sont à la rue

Ils avaient beau être fashion tout comme il faut...

Ils n'avaient pas de carton....
Alors, c'est à travers le porche....

... qu'ils ont dû regarder le défilé de Kris van Assche.

lundi 25 juin 2007

Teenage Angst

A la fin de La vie aquatique (Wes Anderson 2005), il est conclu que «11 ans et demi est le plus bel âge de la vie ». Dans l’autoportrait qui figure dans le DVD de ses clips, Michel Gondry clame « I’ve been 12 forever ». La vie de Daniel Johnston telle que narrée dans The devil and Daniel Johnston (Jeff Feuerzeig 2005) ressemble à un jour sans fin où il serait condamné à parcourir éternellement l’imaginaire de ses 15 ans trois quarts. Et ça n'a rien d'une balade dans le paradis perdu de l'enfance. Plutôt un itinéraire flippant, mais traversé par de rares moments d’innocence. Une vie qui serait un disque continuellement rayé, renvoyant une mélodie sourde et désaccordée, mais dont chaque saute subjuguerait.

Quand on avait quinze ans et qu’on allait vers seize, on est tous tombé amoureux d’une fille au collège qui en préférait un autre. On a tous cru naïvement qu’en lui écrivant une chanson ou un poème, cela allait rétablir la situation. On a tous mis tout notre cœur dans cette fameuse œuvre ou chanson. Un (très court) moment, on a cru que rien de plus beau n’avait été écrit… et puis on est vite retombé sur terre. Ce n’est pas le cas de Daniel Johnston car en écrivant plus d’une centaine de chansons pour la fameuse Laurie, son premier amour de collège, il a trouvé le secret des chansons griffonnées, des complaintes dissonantes qui touchent droit au cœur. Pour preuve, Beck, Dominique A, Palace Brothers, Yo la Tengo et autres héros low fi ont tous cherché leur inspiration du côté de Johnston, quand ils n’ont pas carrément enregistré quelques magnifiques duos (Speeding Motorcycle avec Yo La Tengo).

Et pourtant aujourd’hui, Daniel Johnston vit toujours chez ses parents, reste toujours amoureux fou de son premier béguin de collège, gratte toujours aussi mal sa vieille guitare et poursuit une abondante production de dessins (dont certains valent chers sur e-Bay ) d’une inspiration monstrueuse et naïve, inchangée depuis l’adolescence.
C’est parce qu’en même temps qu’il a trouvé le secret de ses chansons, Daniel Johnston est devenu véritablement fou, possédé et irresponsable au point d’avoir poussé sa logeuse par la fenêtre et fini en HP, où inlassablement, il a continué à composer et à enregistrer ses chansons sur son magnétophone.

Le plus beau du documentaire The devil and Daniel Johnston est de parvenir, sans éluder la douleur et le tragique que Johnston a répandu autour de lui, à montrer comment sa musique est encore plus qu’un « rock art brut », encore plus qu’une thérapie, encore plus qu’une échappée hors de la lourdeur de son background psychiatrique. Car quand DJ chante, il s’octroie une pause dans le cours de sa vie enrayée. Enfin, tout tourne rond chez lui. Enfin, son esprit devient simple, va droit au but, et son but, ce n’est pas autre chose que de s’octroyer des capsules d’innocence. Ses chansons dénudées ne visent pas autre chose, mais c’est déjà immense.

La valeur du documentaire vient aussi de la qualité de sa matière première : super 8 (mais des tentatives scénarisées), bandes vidéo, passages en contrebande sur MTV (là une sorte de radio-crochet, là Kurt Cobain qui lui rend hommage) et surtout K7 audios directement imprimés par l’esprit de Johnston, fragments qui ne livreront jamais l’énigme de l’esprit de son auteur, fragments à mettre en regard de la dévotion, l’inquiétude et/ou l’incompréhension manifestée par l’entourage du chanteur. Cette précarité du matériau intime et ces échos de comptines discordantes, sans doute ce qui restera comme traces de la vie de DJ, une vie qu’on ne souhaite à personne, une vie gribouillée, mais qui vaut bien quantité de vocations tracées à la règle.


Une autre critique et description assez précise du film sur ce blog

Site officiel du film et www.hihowareyou.com le site de Daniel Johnston où l'on peut commander plein de K7 faites à la main

jeudi 21 juin 2007

25 ans de cacophonie

21 juin, jour béni de l’été et jour honni de la Fête de la Musique.

Malgré la quasi-certitude d’en repartir déçu, qu’est-ce qui nous fait quand même traînailler derrière les décibels et les larsens ? Est-ce l’espoir de croiser, au coin de la rue, un moment aussi magique que celui-là :

Un moment qui nous transporte au point de continuer à danser comme des fous même sous la pluie.

Ce syncrétisme entre le carnaval, le défilé, la fanfare et la rave-party, c’est dans Shara (Naomi Kawase 2003) et en 25 ans de la Fête de la Musique, des moments comme ça, on n’a pas dû en vivre beaucoup sur le trottoir parisien.
Pour donner une idée de la bande son qui accompagne ces danses, disons que nous entendons là une sorte de conciliation entre des « Aaaah !......... Aaaah !............ Aaaaah !................ » séraphiques murmurés par une chorale de sirènes japonaises et des « Hey ! Hey ! Hey » bien plus secs et nerveux, pas si éloignés des Gabba Gabba Hey scandés par les Ramones. Espérons que ça parle aux connaisseurs !

mercredi 20 juin 2007

Dernières lueurs de printemps

Dans quelques heures, l’été….

Pour fêter dignement son arrivée et pour souhaiter à chacun, durant les trois prochains mois, des heures radieuses, des siestes réparatrices et des moments de pur rafraîchissement, trois réminiscences cinématographiques pleines de chaleur, trois films impressionnés par la lumière d’été et les regards gourmands de leurs auteurs :
La Collectionneuse (Eric Rohmer 1966)
Empty Quarter, une femme en Afrique (Raymond Depardon 1985)
Va et Vient (Joao Cesar Monteiro 2002)

Surtout trois films célébrant la lumière et les mots comme premiers matériaux de l’érotisme.

mardi 19 juin 2007

Que c'est triste d'être star

Les yeux de Julie et de Tigane quand ils apprennent qu’ils ne le seront pas. Ceux de Julien quand il sait qu’il est la nouvelle star.

Cache bien sa joie, le Julien ! Le nombre de pensées qui doivent se bousculer dans sa tête : le plus dur commence, mon gars, va falloir tenir la posture arty, comment ne pas se faire récupérer par le système, mais ça c’est pas déjà fait, mon gars, et puis Alizée, elle va me coller un procès, ou alors si c'est pas elle, ce sera Sabine Paturel, et on va pas arrêter de me comparer à Christophe Willem, c’est sûr on va me traiter de sous Katerine, et Bashung et Tom Waits qui voudront jamais faire de duo, et puis admettons que le premier disque, ça se passe trop mal, mais après, pour le deuxième, c’est l’inévitable retour de bâton critique et public, et l’arty d’aujourd’hui, c’est le ringue de demain, sans compter les tournées épuisantes, les chambres d’hôtel où on cafarde, les minettes hystériques qui croient que Duchamp, c’était le capitaine de l’équipe de France de 98, et le tube de l’été « ukulélé mania » qu'on m'obligera à chanter pour mon come-back en 2013, et puis ce public qui attend, la télé qui attend, Marianne James qui attend, Libé qui attend, Voici qui attend, BMG qui attend, le comptable qui attend….

La tristesse d’être star, l’infinie tristesse de se retrouver pris entre un fan idiot et une muse qui n’en a rien à foutre, c’est ce qu’éprouve Ray, l’un des héros de Derniers Rappels, l’impeccable bédé feuilleton caramel d’Alex Robinson dont je suis encore en pleine dégustation. Ce mille-feuilles dessiné qui se sirote à petites doses est si voluptueusement triste, mélancolique, drôle et rempli d'empathie que je ne suis pas pressé d'en finir la lecture.

lundi 18 juin 2007

Les photomontages sont dans la rue

Découverte d'un photographe urbain, farceur et poétique : Simon Boudvin

dimanche 17 juin 2007

Les Shamallows sont dans la rue

Les photos ne sont pas déformées. Il s’agit d’une bâche masquant le ravalement et les travaux d’un immeuble de bureaux avenue George V. La bâche n’est pas seulement peinte. On y adjoint quelques éléments en relief (corniche, pierres d’angle) pour donner à cet immeuble « passé au miroir déformant » la matérialité et la troisième dimension qui lui manquaient.
Collision (collusion ?) de Frank Gehry (qui sans avoir besoin d’être l’architecte de cette opération reste bien l’inspirateur de ces formes molles) et du Baron Haussmann, sous le parrainage de la promotion immobilière parisienne.
Où il se confirme qu’après le drugstore Publicis et son plagiat peu inspiré de la façade du Guggenheim, « l’effet Bilbao » - l’opération qui a fait le plus monter le prix du mètre carré dans une ville qui n’intéressait personne - hante encore et toujours le triangle d’or parisien.

samedi 16 juin 2007

Quand on est fétichiste....

... il faut l'être vraiment et ne pas se laisser aller aux approximations.
Car contrairement à ce qu'indique le haut de la page 18 des derniers Cahiers du Cinéma
Ces pieds....

... que l'on voit apparaître sous toutes les coutures à la sixième minute de Jackie Brown...

... n'appartiennent pas à Pam Grier mais à Bridget Fonda ou plus vraisemblablement à sa doublure, puisque dans la suite de la scène...

... pas moyen d'apercevoir aussi nettement ses orteils.

vendredi 15 juin 2007

Regarde un peu la France

Opportune ressortie de Maine Océan (Jacques Rozier 1986)

Ça commence à la gare Montparnasse, « pôle d’échange multimodal où se croisent chaque jour près d’un million de voyageurs » et ça se termine sur les récifs de l’île d’Yeu, bords quasi déserts de l’ultime confetti de notre territoire. C’est Maine Océan, un film qui bat la campagne, mais bien mieux que ne l’ont jamais fait tous les candidats aux élections, car durant les quelques deux heures et dix minutes que dure ce film voyage, la France n’a jamais parue aussi bien regardée.

Car même si Maine Océan n’a pas l’ambition d’une fresque sociale, tous les personnages du film sont présentés par la pratique de leurs métiers (contrôleurs SNCF, avocats, pécheurs, danseurs, hôteliers…). Et c’est justement quand un contrôleur n’a plus envie de contrôler, quand un fonctionnaire n’a plus envie de fonctionner que s’embraye la mécanique de la comédie.

En cela, la traversée du territoire se double d’une traversée des apparences sociales, car chacun va peu à peu sortir de ses propres rails, de son rôle et de ses pratiques pour s'essayer une autre activité. Ainsi, l’avocate préfèrera plaider dans le train que d’attendre l’arrivée au palais de justice, le pêcheur de haute mer va s’improviser avocat le long d’une mémorable plaidoirie à la mode vendéenne et le contrôleur se rêvera, pour un moment, juste une fois, « le roi de la samba ».

« On arrête tout, on fait un pas de côté » prônaient les tenants de l'An 01 (qui a aussi été un film), ceux qui avaient remis les compteurs à zéro durant le joli moi de Mai. Sans discours, sans volonté sociologisante, Maine Océan réussit bien mieux son pas de côté, tant son léger décadrage, son léger regard oblique dresse le meilleur portrait d’une France a priori ressemblante, mais tout de même pas tout à fait comme on a l’habitude de la voir : une France teintée d’un désir libertaire en sourdine. Maine Océan reste cependant à mille lieux du film militant. Maine Océan date bien de 1986, année du retour de la droite aux affaires, et pourtant on a l’impression que Maine Océan reste le film le plus heureusement soixante-huitard du cinéma français : un film démocratique, un film qui s’amuse et rebondit sur le langage, un film qui prend le temps, un film à l’image d’un pays idéal : un territoire de croisements et de rencontres.
Dans son naturel, dans sa nonchalance même, Maine Océan paraît même ne rien vouloir remettre directement en cause, et pourtant, il affirme la force d’une utopie : celle d’une société française qui aurait cultivé la libération de la parole, d’un pays qui poursuivrait le rêve commun de Jean Renoir et de Mai 68 : une société « où tout le monde parlerait avec tout le monde ».

mardi 12 juin 2007

Débouchage d'yeux

Non, je n’avais rien vu au romantisme de Boulevard de la mort. La faute à la Croisette de la mort ?... Repentir immédiat !

La lumière se rallume et tout penaud, je m’incline : « ben, oui, finalement, il est bien ce film ». Comment se fait-il qu’en deux semaines et deux visions, mon avis sur un film fluctue-t-il à ce point ? Pourquoi ai-je pris énormément de plaisir à la deuxième vision de Boulevard de la mort alors que la première m’avait ennuyée à mourir ? Etait-ce ma recherche d’antidote à l’hystérie cannoise qui me faisait élire d’emblée les films calmes et déprécier les films « tapageurs » ? La faute à la rallonge de 17 minutes de la version cannoise qui aurait suffi à délayer le film ? Avais-je cédé trop vite à la périlleuse tentation de brûler ce que j’avais précédemment adoré ?
Comme il était quand même impossible d’en vouloir à Quentin, je me raccrochais à l’incontestable : une super BO (mais ne serait-ce pas la moindre des choses, maintenant que nous nous y sommes habitués, cher Quentin), les génériques de début et de fin fétichistes, sensuels et malicieux et le morceau de bravoure de la poursuite finale, le meilleur moyen de ressentir le frisson d’expériences fort enivrantes, fort tentantes mais jamais reportées, suite à leur haut degré de risque : chute libre avec oubli de parachute ou sniffage de douze lignes de coke consécutives. Certes, tout cela, c’est déjà pas mal, mais ça ne suffit pas à faire un film. Telle était ma ligne de défense…
Spontanément, mes deux moments préférés de tous les Tarantino sont parmi les moins spectaculaires de sa filmo : le tout début et la toute fin de Jackie Brown. Le visage de Pam Grier, une fois de profil, une fois de face, une fois muette, une fois qui chantonne, et deux fois la même chanson (Across 110th street de Bobby Womack).

Un visage et une chanson, rendus dans toute leur rondeur et leur plénitude, et ça suffit à ressentir toute l’intensité d’un regard amoureux du réalisateur pour son actrice.
Et des moments comme ça, Boulevard de la mort en est rempli à ras bord et aucun de ces moments n’avaient imprimé ma mémoire. J’avais les yeux bouchés ou quoi pour ne pas apprécier :

Les plantes des pieds de Rosario Dawson qui ne demandent qu’à être chatouillées.
Le regard médusé de Vanessa Ferlito devant les phares éblouis et qu'elle comprend que la mort va lui surgir dans la gueule.
Les « I’m soooo sooooorrrryyyy » susurrés par Lee, la pom-pom girl en chef,
La prière « Don’t finish in dead end » psalmodiée par Tracy Thoms au volant.
Le « or something » lâché laid back pour toute réponse de Jungle Julia à la réponse « Are you famous or someting ? ».
And above all, her majesty Zoë Bell « as herself », en amazone rugissante sur le capot de la Dodge Challenger. Et puis ce geste incroyable de la part de Quentin : offrir un tel rôle à Zoë Bell, starifier la doublure d’Uma dans Kill Bill, et remettre la travailleuse de l’ombre en pleine lumière. Un geste d’amour incroyable, si godardoannakarinien, un geste qui à lui seul vaut bien un film.

And so on… On pourrait multiplier les exemples à l’envie tant chaque membre du posse féminin est bien servi par le regard du réalisateur, suivant sans doute le souhait fantasmatique de Tarantino qui voudrait que chaque scène, chaque réplique, chaque seconde de son œuvre soit culte. Mais tous ces petits moments, fétichisés à l’extrême, dessinent derrière le blockbuster d’action, un monument fleur bleue, un précis de romantisme contemporain, une sorte de carte du tendre de l’ère pop.

Cher Quentin, peut-être ton film vient-il trop tard pour moi. L’aurais-je vu à 14 ans, il m’aurait fait gagner du temps. J’aurais enfin su de quoi parlent les filles entre elles, pendant que nous autres, idiots de garçons, nous autres qui n’y connaissons rien aux bagnoles, avons le dos tourné.
L’aurais-je vu à 14 ans, il m’aurait permis de savoir que pour faire fondre les canons, il n’y a rien de plus simple que de leur offrir l’« Italian Vogue » du mois et qu’elle sont dix fois plus sensibles aux K7 enregistrées qu’aux CD gravés.
L’aurais-je vu à 14 ans, sa dimension fleur bleue, elle m’aurait beaucoup plus parlé. L’aurais-je vu à 14 ans, l’aurais-je sans doute mieux cerné, vraiment apprécié à sa juste valeur, sans arrière-pensées malveillantes.

Cher Quentin, l’ambivalence de ta démarche justifierait-elle la versatilité de mon jugement ? Quentin, on sait bien que tu es le roi des petits malins, des roublards patentés, mais qu’au fond, tu restes d’une sincérité rare. On sait bien que tu ne fais que citer, recycler et que pourtant tu aboutis à des moments de pure innocence, comme filmés pour la toute première fois. Pour faire valoir tes expérimentations narratives, tu es obligé de prendre sur toi toute la crétinerie de l’entertainment. Cher Quentin, je t’avais prédit un destin à la Wenders : être le cinéaste icône d’une décennie, le gourou ultra-cinéphile invoquant le cinéma comme un dieu, recyclant et fabriquant l’air de sa propre époque, mais paraître soudainement hors du coup la décennie suivante. Désolé pour moi, mais le « devenir Wim » de Quentin n’est pas encore pour cette fois.
Depuis quand n’avais-je pas été excédé ou dérouté par un film avant de reconnaître plus tard son intérêt et son importance ? Je pourrais citer des titres de Godard, Garrel, Tsaï Ming Liang, Oliveira ou Rivette. Le fait qu’un cinéaste mainstream rejoigne cette confrérie plus que subjective en dit long sur le paradoxe de ce film. Ce n’est pas parce qu’il est facile à voir qu’il est si évident à recevoir.
Cher Quentin, ton générique de fin, que j’avais quand même sauvé à la première vision offre la plus belle dénégation qui soit. « Laisse tomber les filles » chante April March en reprenant France Gall. Petit menteur, va ! Tu n’en crois pas un mot, toi qui filme si bien les filles, toi qui est le meilleur réalisateur d’action romantique. Tu n’y crois pas plus que Franck Black quand il hurle « This ain’t the planet of sound »…. alors que tous les disques des Pixies sont tombés tout droit de cette planète du son, planète bien éloignée de notre système solaire, planète que seuls quelques génies de la musique savent localiser.
Mon cher Quentin, on sait bien que tes films sont tombés de la planète du cinéma, mais la planète du son n’est jamais loin non plus dans ton inspiration. Maintenant, que tu as dépassé l’énergie et l’envie du rock, pour passer à la volupté et au velouté de la soul, lance-toi dans des grands films romantiques, des films où on retrouvera intact nos frissons et nos sensations d’amours adolescents.


(rassurez-vous les filles, Quentin vous laissera jamais tomber!)

lundi 11 juin 2007

D'autres vagues bleues...

... toutes aussi clinquantes, mais tout de même un poil plus sexy que celle d'hier soir !

(la toile, c'est une anthropométrie d'Yves Klein)

Enfin, si hier soir, c'était quand même sexy avec la revoyure de rattrapage de Boulevard de la mort. On ne pouvait pas rester sur une si mauvaise impression, et deux heures plus tard, réévaluation spectaculaire... Peut-être le plus godardien des Tarantino, son Histoire(s) du cinéma à lui avec non pas une mais huit Anna Karina au casting. Souvenir embarrassé des horreurs écrites sur ce film. Donc mea culpa à suivre... toujours intéressant de se demander comment on peut passer à côté des films ou faire fluctuer ses avis.

PS : Eh oui, Juliette, une vague bleue qu'on se prend dans la gueule, ça fait toujours un peu flipper...

PS (pour le PS): ... mais fallait peut-être se réveiller avant.

samedi 9 juin 2007

L'amour est dans la rue

Ou sa variante un peu plus désenchantée "l'amour est à la rue"...

mardi 5 juin 2007

Jusqu'à l'épiderme de la ville

Dans I don't want to sleep alone, on ressent tout par les épidermes. Matières, textures, douceur et rugosité ont rarement été aussi bien filmés. Et le béton surtout, ce béton brut de Kuala Lumpur, comme une peau à vif de la ville.
Bien que situés dans l’environnement urbain le plus contemporain qu’il soit, les films de Tsaï Ming Liang se nouent souvent autour d’une catastrophe naturelle : déluge, canicule ou incendie. Mais de cette catastrophe, nous en voyons bien peu. De l’incendie, pas de flammes, mais quelques fumées asphyxiantes (I don’t want to sleep alone). Du déluge, que l’écho du ruissellement (The hole). De la canicule, que des portières de frigos grandes ouvertes (La saveur de la pastèque).
Car qu’est-ce qu’une catastrophe, sinon un dérèglement ressenti jusqu’au plus profond de son épiderme. Sécheresse, picotements, humidité, déshydratation, suffocation, ce sont ces sensations que vise à rendre le cinéma de Tsaï Ming Liang. Par la même, les corps auraient-ils besoin de ces réactions épidermiques pour aller l’un vers l’autre ? Car au fond, les films de Tsaï Ming Liang ne racontent que ça : comment des voisins, des personnages, des figures s’ignorent d’abord réciproquement pour pouvoir mieux établir un contact, contact qui choisit d’abord le corps avant la parole. Avec son dernier film, Tsaï Ming Liang n’a plus besoin de passer par l’artifice du numéro chanté et dansé (comme dans The hole) ou de mixer les trois genres du corps en mouvement (le cocktail burlesque, porno, comédie musicale de La Saveur de la Pastèque) pour que les corps se comprennent et s’approchent sans un mot, pour que les corps trouvent leurs langages, pour qu’un corps d’abord inerte trouve la force de se réanimer. Il n’y a pas besoin de danse pour que déjà naisse une chorégraphie, une chorégraphie secrète et silencieuse.

Frottements, soins, frôlements. Gestes de l’amour et de la survie se confondent. On ne sait pas toujours quels sentiments animent ces gestes, mais c’est cette indécision qui est magnifique, tant elle renvoie à des sentiments ambivalents et à la fragilité de notre perception. Indissociables douceurs et rugosités des textures, des matières et des sentiments.

Douceurs et rugosités qui s’étendent jusqu’à la surface de la ville. Le Kuala Lumpur que nous voyons n’est pas la métropole fière des records du tour de son Grand Prix de Formule 1, la métropole fière de son record du monde des Petronas Towers, les tours les plus hautes du monde (mais les records n’ont qu’un temps). Non, de Kuala Lumpur, nous voyons plutôt une face introvertie faite de rues denses, d’espaces peu respirables et surtout d’impressionnants bâtiments carcasses, cathédrales involontaires, nefs et refuges des personnages. Et les surfaces de béton brut de ces bâtiments deviennent la peau naturelle de la ville.

Cette approche sensible qui fait correspondre les épidermes humains et ceux des bâtiments, c’était celle du photographe Lucien Hervé quand il posait son regard sur les chantiers et les bâtiments de Le Corbusier, quand il révélait à quel point la matérialité du béton brut de l’architecte était celle d’un fossile ou d’une peau d’éléphant toute vieillie et craquelée. (La photo noir et blanc du haut, c'est une vue de l'Unité d'Habitation à Marseille et celle d'en-dessous une vue du chantier de Chandigarh en Inde). Ces photos montrent surtout, comme le film de Tsaï Ming Liang à quel point certains bâtiments peuvent être éprouvés comme le ventre de la baleine dans laquelle nous adorons avoir échoué.

vendredi 1 juin 2007

Miroir du cinéma

Je ne suis absolument pas sûr que ce film soit le meilleur de son auteur, mais il contient en son cœur une séquence absolument saisissante.
Le film prend pour cadre la dernière séance d’une vieille salle de cinéma « à l’ancienne », sorte de théâtre décati. C’est la fin de la projection. Les lumières se rallument. Les quelques spectateurs sortent tranquillement de la salle…
Le plan continue. La salle déserte….
Et le plan dure….
Dure….
Dure....
Dure…
Sur l’écran, des rangées de fauteuils vides sous la lumière.
Dans la salle (celle qui projette le film que nous voyons), quelques fauteuils occupés plongés dans le noir de la projection.
Mais dans la salle (toujours celle que nous occupons), quelques spectateurs excédés par la longueur excessive de ce plan (combien ? deux, trois, quatre minutes peut-être pas plus, mais qui ont l’air d’en paraître vingt) font claquer leur fauteuil et rejoignent la sortie. Avec quelques instants de retard, ils imitent les acteurs du film qui ont eu l’air de déserter eux-mêmes l’écran où leurs silhouettes étaient projetées. C’est la Rose pourpre du Caire, en réel et surtout en négatif ! Au lieu que le cinéma et le spectateur aillent à la rencontre l'un de l'autre, ils se fuient l'un l'autre comme deux animaux apeurés.
Ce plan d’une salle de cinéma vide aurait-il le don de vider la salle où il est projeté ? Qui sortira indemne de ce duel entre le cinéma et son reflet, entre la salle et son miroir ? A la fin, restera-t-il une âme qui vive que ce soit sur l’écran ou dans la salle ?
Tous les tenants de « la mort du cinéma » - cette « mort » qui commence sérieusement à (nous) courir - ont rêvé (ou cauchemardé) cet instant, ce tombeau minimal et définitif du cinéma, sa mutation en un pur dispositif d’installation, qui se passerait presque du spectateur !
Et pourtant cet instant, on ne peut le vivre que dans une salle de cinéma.

C’est pour ça que ce film, je n’ai jamais voulu le voir en DVD. Pour tout dire, ce film, Good Bye Dragon Inn de Tsaï Ming Liang, je ne l’ai même pas vu et ce moment, cette expérience, on me l’a racontée. Et oui, j’ai encore écrit sur un film que je n’ai pas vu, mais ce sera bientôt réparé puisqu’il passe ce dimanche à 16h15 au Méliès à Montreuil.

Sinon, ce mercredi sort I don’t want to sleep alone. Comme je l’ai déjà vu lors d’une avant-première intellectuelle, je pourrai aussi bientôt écrire dessus.