mardi 31 mars 2009

Me, myself and I's infinite playlist

Samedi bloqué par les giboulées passé à procrastiner à coups d'improbables Top 5 "à la Nick Hornby" sur Facebook. Pour ceux qui n'ont pas l'insigne honneur "d'être désormais ami avec moi", je copie-colle les premiers puis après, c'est du nouveau...

Evidemment, il va sans dire :

- que les réponses viennent comme ça (en essayant tout de même d'éviter les redites avec de précédents questionnaires) et qu'elles seront sans doute différentes un autre jour...

- que qui veut reprendre le flambeau et inventer de nouvelles catégories s'en sente parfaitement libre.

5 films dont la deuxième vision est meilleure que la première, puis la troisième meilleure que la deuxième puis la quatrième meilleure que la troisième puis la cinquième... : La règle du jeu (Renoir), Les sentiers de la gloire (Kubrick), Broadway Danny Rose (Woody Allen), Crash (Cronenberg), Gerry (Gus van Sant)

5 films que j’ai dû voir trois, quatre, cinq, six fois et plus, mais je  n’aimerais pas trop que ça se sache : Le fabuleux destin d’Amélie Poulain (Jeunet), L’auberge espagnole (Klapisch), Indiana Jones et la dernière croisade (Spielberg), Le guignolo (Lautner), Les sous-doués passent le bac (Zidi)


5 réussites incontestables (qui plus est, signées de grands cinéastes) mais qui ne me touchent pas trop : Elle et lui (Mc Carey), Le samouraï (Melville), Les dames du Bois de Boulogne (Bresson), Philadelphia Story (Cukor), Fanny et Alexandre (Bergman)

5 films qui m’ont laissé de mauvais souvenirs, mais vu le calibre de leurs auteurs, j’ose à peine le dire : Nostalghia(Tarkovski), Short cuts (Altman), Sonate d’automne (Bergman),  Identification d’une femme (Antonioni), Inland Empire (Lynch)

5 films réputés mineurs ou oublié, signés par des cinéastes reconnus, mais qui m’ont davantage impressionné que certains de leurs titres emblématiques : Beetlejuice (Tim Burton), Jardins de pierre (Coppola), La honte (Bergman), Mc Cabe and Mrs Miller (Altman), Frenzy (Hitchcock)

5 grands chocs cinématographiques malgré les conditions déplorables de leur découverte : Lola (Demy), Madame de (Ophuls), The ghost and Mrs Muir (Mankiewicz), Break up (Ferreri), Oedipe roi (Pasolini)

5 films dont j’ai (ou aurais) eu une vision totalement différente selon la période de la vie à laquelle je les ai vusLa prisonnière du désert (Ford), Supergrave (Mottola), La soupe aux choux (Girault), Persona (Bergman), Yi Yi (Edward Yang)


5 films dont j’ai dit à tout le monde que je les avais vus, alors que ce n’était que par fragments, parfois espacés de plusieurs années, au hasard des diffusions télé, de la disponibilité du magnétoscope ou du DVD : Ordet (Dreyer), Pierrot le fou (Godard), Un après-midi de chien (Lumet), Il était une fois en Amérique (Leone), Massacre à la tronçonneuse (Tobe Hooper)

5 films que tout le monde aime, mais moi j’y arrive pas : Pulp fiction (Tarantino), Goldfinger (Guy Hamilton), West Side Story (Robert Wise), Gran Torino (Eastwood), Les tontons flingueurs (Lautner)

5 films où j’ai d’abord souffert / été déçu au début de la projection puis au bout d’un moment, whaoooaaaaah : Le carrosse d’or (Renoir), Onze Fioretti (Rossellini), In girum imus nocte et consumimur igni (Guy Debord), Au hasard Balthazar (Bresson), Blissfully yours (Apichatpong)  

5 films que je continue à défendre bien que signés de cinéastes qu’on adore détester : Benny’s video (Haneke), Roger et moi (Michael Moore), Sympathy for mister vengeance (Park Chan-wook), Les idiots (Lars von Trier), Punch drunk love (PT Anderson)

5 films d’abord aimés puis ensuite rejetés : Un monde sans pitié (Rochant), Sailor et Lula (Lynch), Le temps des gitans (Kusturica), 37,2 le matin (Beineix), La haine (Kassovitz)

5 films d’abord incompris ou rejetés puis ensuite aimés voire adorés : Alexandrie pourquoi (Youssef Chahine), Eyes wide shut (Kubrick), India Song (Duras), Muriel (Resnais), Fight club (Fincher)

Bonus track futile et sans intérêt :

 

5 films plus ou moins intellectuels où j'ai croisé des plus ou moins intellectuels : André Glucksmann (pour Indiana Jones et la dernière croisade), Emmanuel Le Roy Ladurie (pour la ressortie de Star Wars en 1996), Christine Angot (pour Eloge de l’amour de JLG), Jean-Luc Godard (qui allait voir Regarde la mer de François Ozon mais à la séance après la mienne), François Ozon (à la Cinémathèque pour Fièvre sur Anathan de Joseph von Sternberg)…

Les réponses de Vincent, du Doc, d'Ed et de Ludovic...

mercredi 25 mars 2009

Substitute

Dans le numéro de janvier de So Foot, Kim Jee-Won (dont je n’ai vu que le schizoïde Deux Sœurs 2004) tente une analogie entre la narration cinématographique et le déroulé d’un match de foot. Il avoue réfléchir à la façon d'introduire des nouveaux personnages  dans son histoire comme un coach fait rentrer des remplaçants sur le terrain : pour insuffler du sang neuf. Gare tout de même ! Autant l’usage de l’impact player dénote un grand sens tactique et psychologique dans l’art du coaching, autant sortir de sa manche un protagoniste aux quatre cinquièmes du récit (et lui donner le statut de deux d’ex-machina) ne peut s’avérer, pour le story-teller qu’une énorme facilité.

En attendant, petit florilège des grands contre-exemples où les remplaçants (de l’histoire) se sont avérés plus marquants que les titulaires.

Rebecca  (Alfred Hitchcock 1940)

Une “deuxième épouse” dont on ne connaîtra jamais le nom étouffe sous l’emprise de Rebecca, la première épouse disparue, évanouie, et pourtant omniprésente, jusque dans ses linges (le R brodé qui surgit pendant la visite du vestiaire). Grand classique aussi bien du mercato que de la psychanalyse : le transfert raté. 

Ou comment oser prendre la place de l’idole évanouie tout en sachant que malgré toutes ses qualités, on ne réussira jamais à totalement la faire oublier. Somme toute, le destin de Gourcuff ou de Benzema, tel qu’il se joue ces années-ci chez les Bleus (glorieux meneurs de jeu ou ombres de Zidane ?). En même temps, Tigana avait bien osé reprendre le 14 de Johan Cruyff, mais pas fou, dans une autre équipe, sous un autre maillot…

Chaînes conjugales (Joseph Mankiewicz 1949)

Trois pré-Desperates Housewives et une quatrième, Addie Ross leur "meilleure amie", partie avec le mari d’une des trois premières. Film qui passe par le point de vue de chacune des trois amies, mais racontée par la voix off d’Addie, qui, on l’imagine, va rentrer dans l’histoire à chaque prochaine séquence, pour finalement mieux faire l’Arlésienne. Addie, c’est à première vue le remplaçant qui s’échauffe sans cesse au bord du pré sans jamais étrenner ses crampons… mais sa parole influe tellement sur le récit qu’elle la propulse dans une position plus glorieuse et stratégique : celle du coach éructant sur le bord de la ligne. Addie serait donc une sorte d’hybride contradictoire : l’entraineur-joueur, mais qui décide finalement de ne pas s’aligner.

Pour continuer sur Mankiewicz, rappelons qu’au générique du Limier (1972) figuraient... 

... tous ces noms d’acteurs inconnus pour des rôles (dont l'inspecteur Doppler pas si loin de doppelgänger) ne figurant pas dans le script. La légende dit pourtant que ces non-acteurs avaient pourtant droit à leurs loges –vides- sur le plateau, soit des n°12, 13, 14, 15, 16 figurant bien sur la feuille de match mais condamnés à en rester spectateurs.

Psychose (Alfred Hitchcock 1960)

Exemple canonique du changement de personnage principal, la pauvre Marion Crane étant zigouillée au bout de vingt minutes. Ce n’est qu’à la toute fin et plusieurs victimes plus tard que l’on comprend de qui le film racontait l’histoire : pas tant celle de Norman Bates que celle du propre effroi du spectateur, effroi qui prend la couleur de la complicité (avoir suivi Marion dans son vol et dans sa fuite), complicité immédiatement punie par les meurtres de Norman.  Somme toute, utiliser deux personnages principaux comme des leurres pour mieux démasquer le seul personnage qui au fond intéresse Alfred : son spectateur.

Bon, alors dans le foot, ça donnerait quoi le schéma de Psycho (schéma repris sur le versant schizophrène par Lynch dans Lost Highway 1996) ?  Un joueur star sorti ou blessé au bout d’un quart d’heure puis relayé par un obscur qui se transcende et se révèle aux yeux du monde. Ca doit bien exister dans les archives, mais comme ça, à chaud, pas d’exemple.

A moins que…. Sydney Govou lors de la Coupe du Monde 2006. Entrée superstitieuse et systématique à la 75e minute. Pas vraiment de saveur ni de poids dans le jeu, mais à chaque fois l’équipe gagne. Pour la finale contre l’Italie, Domenech se dit que quand même, les choses sérieuses commencent et le laisse en réserve. Pas de bol, coup de boule, défaite, drame national que l’on sait. Deux mois plus tard, revanche contre l'Italie, Govou titulaire plante deux buts, cinglants coups de couteau à la soi-disant « meilleure défense du monde ». Un gentil garçon qui se révèle un tueur : ça y est, on l’a trouvé, le Norman Bates du foot.

Boulevard de la mort  (Quentin Tarantino 2007)

Un cascadeur sur le retour drague quatre beautés qui finissent massacrées à la mi-temps du film. Coach Quentin fait alors rentrer un nouveau posse féminin qui prend son éclatante revanche dans un deuxième round lancé à toute berzingue. Ou la guerre des sexes sous forme de match aller-retour, équilibré en temps (une heure chacun) mais pas en impact : victoire éclatante des filles par un fun et un speed qui parviennent à conjurer la tragédie initiale quand le mâle n’a plus que sa pauvre testostérone pour pleurer.

Une sale histoire (Jean Eustache 1977)

Quelque part, une matrice du précédent tant dans la césure que dans la thématique (hommes, femmes, mode d’emploi, voyeurisme, vice et désir). Un homme (Michael Lonsdale) raconte sa sale histoire, mais dans la théâtralité de ses mots choisis. Ca recommence. Un autre homme (Jean-Noël Picq, présenté comme le protagoniste "réel" de l’histoire) raconte la même histoire, mais dans la veine crue du documentaire direct. mais dans cette répétition (aussi bien une sale histoire qu’une histoire sale), brouillage entre remplaçant et titulaire, entre « modèle » et « comédien », entre « document » et « fantasme ».  Entre « l’acteur » et le « modèle », lequel paraît le plus naturel, le plus sincère. In fine, lequel remplace l’autre ?  Montrer la « fiction » avant le « document », c’est aussi établir un jeu de miroir qui renvoie à l’essence même du récit « trop obscène pour être vrai » mais « trop vécu pour avoir été fantasmé ».

Cet obscur objet du désir (Luis Bunuel 1977)

Confusion entre titulaire et remplaçant, suite…  Toujours fuyant, jamais fixé, « l’obscur objet » ne peut être qu’à faces multiples, et partant avoir un double visage : deux actrices pour le même personnage de Conchita. Le plus étrange, c’est que finalement, cette substitution alternative de l’une par l’autre sans explication rationnelle (au gré des séquences) ne gêne finalement personne aussi bien dans le film que dans la salle. Obscur désir dès lors qu’il a deux visages d’anges…

Equivalence « poste pour poste » qui rappelle le dogme de Louis Van Gaal quand il entraînait le Barça : disposer de deux équipes A, chacune, qui plus est, composée de onze internationaux, deux équipes de stars, deux équipes interchangeables…. comme les deux stars en devenir, les deux visages d’Angela Molina et Carole Bouquet. Ou comment passer de La femme et le pantin (dont le film de Bunuel est une adaptation) à deux femmes et deux fois onze pantins.

Mulholland Drive (David Lynch 2001)

Variante de la situation précédente mais avec une combinatoire de substitutions des plus retorses : non seulement  deux actrices pour le même nom de star (Camilla Rhodes), mais aussi deux actrices qui jouent chacune deux personnages. 

Le conte lynchien, de coups de dés en battements d’ailes qui sont autant de déplacements psychanalytiques, tricote et détricote le rêve hollywoodien, comme un rêve cruel qui peut vous transformer star un matin, serveuse de fast-food l’après-midi. Symptôme de la star brutalement ramenée à la réalité qui résonne curieusement avec les débuts malheureux de Jean-Pierre Papin au Milan AC (saison 1992-1993) : ruminant sur le banc sa splendeur passée de l’autre côté des Alpes. Voilà ce qui arrive à ceux qui croient Berlusconi …

Et pour en revenir au Lynch, le souvenir d’une tribune de Kaganski  dans les Inrocks « Mulholland Life » remarquant que sept ans après les faits, l’effet le plus spécial du film restait son influence vénéneuse sur la carrière de ses deux actrices : Naomi Watts (en bas dans Le cercle 2003) étant devenu qui l’on sait quand Laura Elena Harring continuait à végéter entre téléfilms et films de séries plus ou moins exportables. Comme si l’émergence d’une star s’accompagnait nécessairement , en miroir, d’un destin marqué par la frustration. Comme si derrière chaque star se tapissait, dans son ombre, sa doublure inconnue…

Bon, ben voilà, Kim Jee-Won, si ça peut t’aider…

jeudi 19 mars 2009

Repentance ?


"Le film n'est pas le scénario filmé. Raoul Ruiz a eu un jour cette formule extraordinaire ; il disait que le tournage d'un film, c'est la critique du scénario."

"Revu et vu coup sur coup Fin d'automne et Fleurs d'Equinoxe d'Ozu.
Est-ce à cause de l'heure tardive, il était plus de onze heures du soir, la fatigue se faisait sentir, mais j'ai eu l'impression que les films flottaient au dessus de leur scénario ou plutôt, et c'est là ce qui en faisait toute la beauté, le caractère unique, que le scénario était une sorte de fond, au sens pictural, duquel émergeait le cinéma ?"

En lisant coup sur coup, ces deux affirmations, émerge une interrogation : et si un film accompli, c'était le repentir (au double sens évidemment) de son scénario ?

(Illustration : page du scénario de Phantom - 1922 - annotée de la main de Murnau)

mercredi 18 mars 2009

Tous à la manif !

Si même le panneau de sécurité du supermarché du coin appelle à battre le pavé...

Paysages industriels

L'industrie nous offre un nouvel air (du temps) :


Le chant du styrène (Alain Resnais 1958 - texte de Raymond Queneau -)

L'industrie nous empêche de respirer :

Black breakfast (Jia Zhang Ke 2009)

Deux courts films, deux commandes (mais ça permet aussi de voir, comment malgré tout, deux cinéastes imposent leur patte en quelques volées de plans), deux regards documentaires mais qui évoquent incroyablement la SF et partant ses deux faces : d'un côté l'asepsie pop et acidulée, de l'autre la paranoïa élégiaque et mélancolique.

Point commun tout de même : dans ce monde-là, l'humain est condamné à n'être qu'un survivant. Proximité étonnante et frappante de Jia Zhang Ke, pas tant avec ce film modèle d'ailleurs qu'avec... Romero. Irais-je presque jusqu'à dire qu'avec ce mini-opus, le chouchou chinois me surprend davantage qu'avec 24 City ? (Mais possible aussi que je sois passé à côté de ce dernier titre) .

Quant au Resnais, d'étonnantes préfigurations aussi. Premier film pop art ? Surtout une esthétique des tubulures et des couleurs qui inventent Beaubourg quinze ans avant sa construction. Et au-delà de la potacherie virtuose de l'ensemble, sans doute aussi l'évocation d'un monde parallèle et hypnotique : les délices régressifs de l'enfance (pas loin de Charlie et la chocolaterie tout ça), voire de... la drogue (pas loin des hallucinations extatiques non plus). Somme toute, l'asepsie n'est pas moins idéale que l'air vicié...

dimanche 15 mars 2009

Les meilleurs qui partent en premier

Souvent pensé que cette chanson serait la meilleure bande-son possible pour cette séquence fort émouvante mais un peu gâchée par sa musique et ses dialogues sentencieux (et puis la VF n'arrange rien).  Pourquoi ? Parce que :

Madame rêve d'archipels
De vagues perpétuelles
Sismiques et sensuelles

Des heures des heures
De voltige à plusieurs



Madame rêve
D'un amour qui la flingue
D'une fusée qui l'épingle
Au ciel
Au ciel


On est loin des amours de loin
On est loin des amours de loin
On est loin...

Images : Mission to mars (Brian de Palma 2000)
Parole : Madame rêve (Bashung & Pierre Grillet 1991)

Parce qu'évidemment aussi la musique en vaporeuse apesanteur et parce que finalement, la séquence comme la chanson évoquent si fortement la violence douce de l'amour, jamais aussi intense qu'au moment où il se fracasse.

***
Et puis Bashung et le cinéma, c'est aussi beaucoup de fantasmes.

Toujours pensé aussi que Bashung sur un écran, ça avait été un grand rendez-vous manqué. Ce n'est pas lui faire injure ni jouer au malveillant de dire que sa filmographie d'acteur n'est pas à la hauteur de son charisme et qu'il lui a manqué les fructueuses rencontres qu'a pu faire Dutronc par exemple. Sans doute d'ailleurs, malgré le nombre des tentatives, faire l'acteur ne l'intéressait pas tant que ça, mais j'ai souvent rêvé qu'il croise un cinéaste digne de son étoffe. J'ai souvent rêvé d'un rôle où il ne serait que pure présence, pure intensité, un rôle où il n'ait pas "à jouer", où il ne soit que lui-même tout en révélant une autre dimension, un autre versant moins exposé, ni tout à fait le même ni tout à fait un autre. Mais combien étaient les cinéastes excités par un tel challenge ? Pour ma part, souvent rêvé de croiser sa figure de sphinx marmonnant dans un film de Kitano...

Dans un registre plus nombriliste et présomptueux, j'avais écrit, il y a plusieurs années, un scénario sur cet onirologue et en découvrant quelques mois plus tard, sa figure d'alchimiste incantatoire sur la pochette du chef-d'oeuvral L'imprudence, je m'étais dit que ce démiurge obsessionnel savant aussi bien manier l'alambic des rêves, ce ne pouvait être que lui...

Enfin,  la seule fois où je l'ai vu sur scène, fin 2003, le cinéma revenait le hanter. Tournée des grands espaces, collaboration poussée avec Dominique Gonzalez-Foerster. Pour le coup, une rencontre bien orchestrée (concerts cérémonials, sans rappels à la fin si je me souviens bien) et un partage d'abord bien délimité (lui le son, elle l'image) mais produisant une belle symbiose: à lui, le hiératisme, à elle le mouvement, à lui la noirceur de l'incantation spectrale, à elle la lumière. Qui plus est, cette façon de jouer avec les archétypes (le chevalier solitaire, les grands espaces) et les dispositifs scéniques multi-écrans (qui pour moi, évoquaient Abel Gance) renvoyaient à un autre âge du cinéma,  pour son mélange de naïveté (au sens noble du terme) et de sophistication, une façon d'utiliser le cinéma pour donner corps à un fantasme tout autant enfantin que "bigger than life".

Si le cinéma n'avait pas réussi à lui offrir ce qu'il méritait, lui s'offrait enfin le cinéma dont il avait rêvé... (C'est sans doute la même chose pour Christophe, d'ailleurs, que je connais fort mal).

Et puis, Bashung au cinéma, c'est aussi ça, quand même :


On connaît la chanson (Alain Resnais 1996)

samedi 14 mars 2009

Le secret derrière la porte

« If the doors of perception were cleaned, everything would appear as it is: infinite. »
(Si les portes de la perception étaient nettoyées, toute chose apparaîtrait telle qu'elle est : infinie)

William Blake (propos de 1794 ayant entraîné la fondation d'un groupe pour adolescents)

Plutôt que nettoyées, on peut heureusement se réjouir que certaines portes ne nous soient pas grandes ouvertes. Buter contre elles, c'est aussi faire transparaître des significations insoupçonnées, infinies. Trois exemples.

La porte et la loi :

Le procès (Orson Welles 1962) - Pour pallier le sous-titrage, la métaphore traduite en français...

La porte et la terreur :
Leopard man (Jacques Tourneur 1943) : Si on traverse le passage sombre, c'est pour mieux échouer contre la porte sanglante.

La porte et l'interdit:

Tournage d'I love you (Marco Ferreri 1986)

Pas d'extraits mais un (mini) making-of, parfaitement dans le ton du cinéaste : hénaurme et narquoisement psychanalytique. Rester à la porte, c'est être relégué comme "voyeur auditif", et de fait, la grande hauteur de la porte du studio ramène l'homme à l'échelle d'un enfant goguenard de sa propre immaturité, thème éminemment ferrerien s'il en est.
(Pas vu le film d'ailleurs. Quelqu'un s'en souvient ? Je ne trouve que ça qui suggère la pépite oubliée.)

Au fond, ces trois exemples ne parlent que de ça: c'est dans les recoins, les impasses, les angles morts de la perception et/ou de la représentation que viennent se nicher les déploiements les plus tortueux de l'imaginaire.

dimanche 8 mars 2009

Deux testaments

"Grande oeuvre testamentaire". Cliché critique tellement tentant pour qualifier chacun des "derniers" Oliveira et Eastwood et cliché déjà infirmé par l'avidité prolifique de ces deux cinéastes. En somme, à force de sortir un nouvel opus tous les six mois, le testament ne viendrait-il pas, à chaque nouveau film, se lester d'un nouvel avenant ?

Pourtant, Le Miroir Magique et Gran Torino ne partagent pas uniquement le grand âge de leurs auteurs comme point commun. Dans chacun des deux films, on retrouve, au fil de l'inventaire : une maison-personnage, un miroir, un curé raisonneur, de la gastronomie, une montée au ciel, un jeune qui a fauté puis se met au service d'un aîné... et, à travers ces motifs, quand même deux conceptions bien différenciées de la transmission.

***

Quand Walt Kowalski confesse au « puceau suréduqué de 27 ans » (aka le prêtre) « regretter de ne pas comprendre et aimer son fils », moi, « spectateur surblasé de presque 37 ans », j’entends comme un aveu d’Eastwood d’avoir rendu ce personnage du fils (pas si secondaire que ça en plus) tellement antipathique dans le seul but de souligner davantage la charité du père. Je veux bien croire à tous les malentendus, les remords, les rendez-vous manqués entre un père et un fils, mais je n’arrive pas à m’émouvoir sur une opposition binaire entre générations, qui plus est doublée par une seconde opposition binaire entre le « bon fils de cœur » et le « mauvais fils de sang ».

Dans Le Miroir Magique, il est aussi question du rapport de générations et la thématique religieuse est aussi fortement présente. Puisque le film est passé nettement plus inaperçu que celui de Clint, osons le raconter quasi intégralement (mais le plaisir du film est ailleurs, de toute façon). Un jeune homme, sorti de prison, se met au service d’une riche oisive qui ne vit que pour espérer voir une apparition de la Vierge.  Il imagine un stratagème pour faire croire au miracle… sauf que, pour sa maîtresse comme pour les autres, il n’est guère besoin de simulacre pour qu’une révélation advienne à chacun. En somme, ce faux qui révèle le vrai, cette traversée des apparences, ce passage à travers le miroir opère durant tout le film et pas simplement à travers une scène stigmatisant une prise de conscience.

Comme le titre l'indique, le miroir du film projette des effets qui apparaissent d'abord éculés ("les souvenirs sont les reflets de l'âme"), puis ensuite plus ambigus qu'ils n'y paraissent. Ainsi ces "notes" de voyages au quasi dénouement du film :


Simples souvenirs, vraiment ? Ou alors montée au ciel ? Ou carrément une naissance ? Que révèle l’étrange contre-plongée en caméra subjective ? Point de vue d’un gisant, d’un nouveau venu au Paradis (sans compter la symbolique des lieux : rien que moins Venise et Jérusalem) ou d’un enfant qui vient de naître ? Vision éthérée (Venise ou le Paradis sur terre) ou, au contraire, enregistrement prosaïque (le monde comme vaste parc touristique et les vieilles villes comme galeries marchandes) ? Délicieuse incertitude que voilà...

Ces mêmes délicates ambiguïtés se retrouvent dans la séquence où le jeune homme est accueilli dans la vaste demeure. A la faveur d’une contre-plongée comparable, sa montée d’escalier est déjà filmée comme une montée au ciel, mais une montée sans emphase. Je ne peux m’empêcher de penser que cette montée est aussi une façon d’accueillir le spectateur, de lui signifier que, pour peu qu’il accorde du temps et de l’attention, il se sentira chez lui dans le film. Et je ne peux m’empêcher de penser, non plus, que jouxtant l’antichambre de la mort, Oliveira tient à transformer cette pièce lugubre en chaleureux salon (au sens « salon littéraire du XVIIIe  siècle »). Car dans Le Miroir magique, tous les arts (musique, architecture, peinture, poésie, littérature, conversation, gastronomie) sont conviés et paraissent s’assembler pour dresser le tableau d’un  sentiment paradoxal : le « funèbre joyeux » (danses macabres et teintes ocres). Cherchant sa place dans cette ronde esthétique et littéraire, la religion occupe bien sûr une place à part, mais ce n’est pas une religion telle qu’on a l’habitude de la croiser au cinéma. Par leur bagage rhétorique, les hommes d'église du Miroir Magique (tout comme « l’imposteur » qui projette la fausse apparition) sont quand même d’une autre trempe que le curé falot de Gran Torino. De plus, cette religion paraît presque délestée de tout appareil moralisateur (ce qui ne lui retire en rien sa dimension morale) : pas de sacrifice, de rédemption, de faute et de rachat. Je m’aventure peut-être mais il me semble qu’en confrontant la religion à l’art, Oliveira lui donne une dimension autre, nettement philosophique mais aussi irriguée par le pur art de la conversation, en tous cas, au-delà du bien et du mal, du pardon et de la culpabilité. Pas non plus d’extase  ou de mysticisme, mais un grand respect pour la croyance traitée comme une exigence esthétique.

Dernier point de comparaison. On a beaucoup glosé sur le culot d’Eastwood à se filmer dans le cercueil. Dans le Miroir Magique, Oliveira fait expirer sa muse (Leonor Silveira) ce qui n’est pas rien non plus. Ses derniers mots (je ne me souviens plus de la réplique exacte) évoquent une promesse d’éternité, mais en même temps, tout le film nous a montré comment l’art, les voyages et les expériences construisaient la part d’éternité de chacun. C’est sans doute la partie la plus précieuse du film. Oliveira n’a pas derrière lui « la légende » de Clint, légende qu’il peut prendre plaisir à triturer au risque du cabotinage, mais ose un film fantasmatique sur sa propre mort en célébrant les traces d’éternité qu’il a récoltées. Antithèse du kafkaïesque « l’éternité, c’est long surtout vers la fin », Oliveira nous rappelle qu’il n’est pas pressé de la voir commencer, son éternité, d’autant plus que le cinéma lui a permis d’en glaner quelques petits bouts.

En somme, quand Eastwood pond un film moralisateur, Oliveira signe une oeuvre de moraliste. Quand Eastwood nous lègue ses certitudes (en gros, écoute le vieux qui t’aidera à choisir entre le bon et le mauvais chemin), Oliveira, sans jamais juger ni regretter (ça fait un bien fou de voir enfin un film où personne n’est jugé, ni même, au fond, condamné), nous initie à son délicieux « principe de l’incertitude » qui ignore, de toute sa superbe, le surplomb du juge et le déterminisme du démiurge.