vendredi 30 janvier 2009

1984

1984, c'était il y a un siècle...

Le jour même de l'union sacrée syndicale, je découvre 2084...

... cet incunable de Chris Marker (et du groupe confédéral audiovisuel CFDT, qu'il ne faudrait pas négliger), étrange et mélancolique uchronie à mi chemin entre un certain deuil du cinéma militant (plus réformiste que révolutionnaire, disons), mais tout de même prophétique dans l'inquiétude qu'il distille : lucidité face à "l'hypothèse grise, l'hypothèse crise", inquiétude face au trop-plein d'images et de discours, comme inquiétude devant "ce qu'il reste à faire"... Film saut dans le temps dont la prise d'élan ne prend que plus de valeur aujourd'hui, par son inévitable dimension de futur antérieur. 

1984, c'était il y a 25 ans...

Un motif marque dans ce petit film, et que l'on retrouvera chez d'autres titres de Marker (Sans soleil 1983, Level five 1997) : celui du visage écran, impassible reflet de la technologie qui, par un doux vampirisme, y gagne un supplément d'âme. Penser qu'au même moment, on assistait à une autre confrontation entre un homme et une machine, mais elle, annoncée et regardée comme le messie.


Deux faces-à-faces de l'homme et de la technologie. Deux interrogations face au futur. Marker nous dit que nous avons un siècle de militantisme derrière nous, Steve Jobs quelques années d'avance devant nous. Deux façons de tout faire pour que 1984 ne ressemble pas à 1984.

7 commentaires:

meumeu a dit…

Tu le sais probablement mais ce film annonçant la naissance d'Apple en 1984 est signé par Ridley Scott.

Joachim a dit…

Ah non, je ne savais pas. Merci de l'info... En même temps, sa marque est bien reconnaissable dans les décors et les lumières.
Quant à la vidéo de la convention Apple de janvier 84 que j'ai mise en lien, je suis peut-être le seul à penser ça, mais je trouve la parenté avec Marker de plus en plus évidente, surtout pour la façon de transformer l'ordinateur en personnage. J'aime vraiment beaucoup cette sorte d'influence réciproque quand bien même elle serait totalement involontaire ou inconsciente...

Griffe a dit…

Salut. Il faudra qu'on reparle un jour de cette histoire d'"innocence", possible ou pas.

Joachim a dit…

Désolé de te répondre avec un peu de retard. Je ne sais pas si cette question t'est revenue à la vision du court-métrage de Marker, mais c'est vraiment un vaste débat qui mériterait au moins un post très fourni et même carrément un séminaire... Disons qu'on pourrait presque réécrire une histoire du cinéma moderne de Rossellini à Will Ferrel, sous l'angle de ceux "qui ne trichent pas", "qui ne font pas les malins", "qui s'avancent démunis", sans surmoi auteuriste, sans caution morale ou intellectuelle préexistante à leurs films.
C'est à ça que je pensais quand je parlais d'une "innocence de cinéma" que je pensais percevoir dans tes jugements. Je ne pense pas avoir forcément les mêmes préférences que toi, mais cette question m'intéresse aussi, quand bien même je pense être moins allergique que toi à la roublardise de Tarantino ou à la pose auteuriste surexposée (type NB Ceylan). Je ne sais pas si tu as vu (et apprécié) "Le chant des oiseaux" (sur lequel je compte écrire bientôt) mais c'est un film qui suscite aussi très fort ce questionnement... Donc, à bientôt sans doute.

Griffe a dit…

OK, je vais presque de ce pas voir Le Chant des oiseaux, et on en reparle !

Griffe a dit…

En même temps, le comique de Ferrell repose beaucoup sur l’intégration du regard extérieur : à chaque fois qu’il commet un gag on sent très fort qu’il est son premier spectateur, donc : pas tant que ça d’innocence.
C’est pire pour Rossellini : la dernière fois que j’ai vu « Europe 51 », j’y ai surtout vu un film outrageusement militant et manipulateur, et quant aux communistes de « Rome ville ouverte » ils sont inexistants, caricaturaux, des pantins, au contraire du prêtre, des « simples gens », etc., et c’est tout sauf une maladresse de hasard. L’« innocence » de Rossellini reste donc à prouver.
Et puis les films qui me sont chers aujourd’hui sont quand même ceux de gens tout sauf naïfs : Rivette, Chabrol, Breillat, Straub... Mais il y a une modestie chez ces cinéastes-là qui fait qu’effectivement jamais (sauf il me semble, des fois, Breillat) leur savoir ne vire à ce que tu appelles le « surmoi auteuriste » ou la « caution morale », qui sont les béquilles des réalisateurs en mal de sujet.
Alors oui, on pense à Tarantino, à Ceylan, à toute une tradition venue de Tarkovski (qui n’a rien compris à Antonioni ni à Dreyer), à plein de cinéastes français. Moi, j’insiste volontiers sur Cronenberg et De Palma parce qu’ils continuent à être très largement défendus quand bien même leur cinéma atteint selon moi les sommets du grotesque. Fincher, lui, s’est grillé tout seul avec sa dernière croûte. Etc.
Ce que j’aime dans quelques films de Ferrell (pas tous : « Elfe », « Les Rois du patin », « Stepbrothers » surtout), c’est que ça donne envie de prendre du recul, de rire de tout, c’est comme avec Lyes Salem dans son film qui est assez moyen mais ça n’a aucune importance : on voit poindre enfin l’expression cinématographique d’un humour algérien que je connais bien et qui ressemble assez à l’humour juif, un humour salvateur, je songe aussi aux magnifiques acteurs et films de Tony Gatlif.
En gros, entre les films des bons élèves et autres enfants gâtés et ceux de l’école buissonnière, il a toujours fallu choisir, il faut toujours choisir.

Joachim a dit…

"Entre les films des bons élèves et ceux de l'école buissonnière, il faut toujours choisir".

Fort belle formule. Il y a parfois des antagonismes évidents,(Polanski-Skolimowski : ils ont fait la même école mais n'ont pas utilisé la caméra de la même manière), mais je me demande si cette distinction doit toujours s'entendre sur le mode de l'opposition. Ainsi, je me demande s'il n'y aurait pas un mélange du "scolaire et du fureteur" particulièrement appréciable, notamment chez Rohmer ou Oliveira : une confrontation du livresque et du vécu d'où jaillit aussi une belle liberté...