De lac, il n’y a point dans
Lake Tahoe (Fernando Eimbcke 2008)...
... alors qu’il y avait une célèbre
séquence au bord du Lac Erie dans
Stranger than Paradise (Jim Jarmusch 1984) comme il y avait de longs moments d’attente autour de la Corne d’Or du Bosphore (pour pinailler, pas tout un fait un lac, mais une vaste darse) ...
... dans
Uzak (Nuri Bilge Ceylan 2003).
Pour autant, le film de Fernando Eimbcke se présente à nous comme le petit frère « estival » de ces deux références « hivernales » qui, chacune en leur temps s’affirmèrent comme parangons du « cinéma indépendant » si ce n’est même « artisanal ». En d’autres termes, la découverte de ces trois films a réveillé le même sentiment chez moi. Non seulement la certitude de croiser un cinéaste, mais surtout un cinéaste qui nous dit non pas que le cinéma, c’est facile, mais plutôt qu’on peut réussir un grand film formaliste avec de tous petits moyens. Trois films dont les quelques traits saillants :
- Scénarios délestés de toute psychologie apparente, mais où les affects se devinent en creux ;
- Plans séquences qui, l’air de rien, parviennent à scénographier le quotidien ;
- Laconisme non seulement des dialogues mais aussi des postures et des attitudes qui finissent par en dire beaucoup plus ;
- Enfin, quelques discrètes touches d’humour (teinté d’absurde) pour alléger comme pour donner du liant à ce coulis cinématographique.
… dessinent au final de réjouissants oxymorons : « ampleur minimaliste », « laconisme parlant », « scénographie invisible ».
Pour mémoire, le plan introductif d’
Uzak qui dit si bien un oxymoron de plus : « la présence de l’absence ».
Il y a donc tout cela dans Lake Tahoe et surtout un immense plaisir ressenti devant une nouvelle rencontre de cinéaste, mais quelque part, il y a aussi une interrogation. Est-ce moi qui suis trop analytique ou Eimbcke trop méthodique ? Sans doute un peu des deux, car comme rarement, j’ai eu l’impression de voir les éléments de la réussite (ce fameux sens du laconisme et de la scénographie « qui en disent peu mais en montrent tellement ») exposés noir sur blanc sur l’écran, éléments de réussite incontestables, mais qui au bout d’un moment s’exhibent pour eux-mêmes. Et si, le film, ne nous donnait-il pas en même temps, sa propre recette, en dissociant avec application chacun de ses ingrédients ? En somme, l’impression d’apprécier davantage une collection de pièces détachées (rendues manifestes par ces noirs sonorisés qui segmentent le film) qu’une belle mécanique. Peut-être manque-t-il justement une part d’âpreté que l’on croise chez Jarmusch ou Ceylan, ou alors des moments où le film abandonne ses préceptes pour aller respirer un autre air. Bon, je fais la fine bouche car, en même temps, le film procure un plaisir rare, et donne presque l’envie de se saisir soi-même d’une caméra tant il montre que finalement, on peut réussir du grand cinéma sans avoir besoin de grandes histoires, ni de fantasmes scénographiés, mais que suffit simplement la stimulation d’un regard, un regard palpitant et millimétré à la fois.
C’est sûr. Le film reste vraiment l’un des meilleurs de cet été et son réalisateur l’un des noms découverts cette année. Avec Eimbcke, nous avons rencontré un virtuose discret, un horloger du billard à trois bandes, tant les impacts indirects résonnent avec régularité tout le long du film. Attendons donc ses prochains films en espérant peut-être que sa pellicule humaniste soit un poil moins mécanique et déroge à la cadence qu’elle s’est elle-même imposée.
1 commentaire:
D'une pierre deux coups, ce billet... Voilà qu'Uzak me manque... Et j'irai donc découvrir Lake Tahoe...
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