jeudi 8 mai 2008

L’œuvre d’art à l’époque de sa reproductibilité technique

Il n'y a pas que chez PointLignePlan ou chez les tenants du « cinem-art contemporain » (par exemple, Akerman ou Apichatpong que l’on adore pourtant ici) que l’on voit surgir les images « produites à la jonction du cinéma et des arts plastiques », mais bien parfois aussi dans les recoins du cinéma d’exploitation le plus premier degré qui soit.

Deux exemples avec ce que l’on pourrait appeler d’une part un « film d’artiste », d’autre part un « film sur les mystères de la création ».

UN FILM D’ARTISTE

Comme mise en bouche, ce magnifique générique de Saul Bass pour Grand Prix (John Frankenheimer 1966).


Quatre minutes dont il y a fort à parier qu’elles valent bien mieux que les 175 qui vont suivre (trois heures, quand même !). Ce qui frappe ici, c’est comment Saul Bass fait se rencontrer son art habituel de la géométrie, des camaïeux et des papiers découpés (visible au hasard parmi tous ceux-là)…avec une esthétique machiniste et quasi constructiviste, plus d’ordinaire exploitée par Dziga Vertov.

UN FILM SUR LE MYSTERE DE LA CREATION

Il use des gestes et des postures du photographe (le flash, la lumière, le développement, la révélation), du graveur (le grattage au millimètre), du peintre (l’action painting) voire du sculpteur (le malaxage de la pâte verte), de l’imprimeur, du sérigraphe et même du styliste (un dernier lavage en machine qui donnera à sa production la même patine qu’un jean délavé d’Hedi Slimane). Ce pourrait être un artiste total et ce n’est…..

…. que le faux monnayeur de To live and die in LA – Police Fédérale Los Angeles (William Friedkin 1985). Dans cette séquence (comme dans la précédente d’ailleurs), l’évidente ombre portée de Warhol. A un certain poujadisme qui voit dans la figure de l’artiste contemporain, celle d’un escroc intellectuel, cette séquence leur renvoie ironiquement la pareille en affirmant que celui qui possède la souveraine maîtrise des gestes de la création aujourd’hui, ce n’est autre que le truand. A ce propos, le patronyme de Willem Dafoe dans le film ne laisse aucun doute : Rick Masters. Mais cette séquence n’est pas qu’ironique, puisque quelque part, elle informe d’une certaine réalité de la production d’une partie de l’art aujourd’hui, un art cherchant à concilier l’artisanat et le high-tech, un art qui ne se fabrique plus dans les « ateliers » d’antan, mais (et là encore héritage de « l’atelier usine » de la Factory warholienne) bien davantage au sein d’équipes organisées dans des « agences » si ce n’est carrément des bureaux de PME.

Toute dernière ironie de l’histoire. On sait Friedkin assez peu sensible (et c’est un euphémisme) au « cinéma d’auteur » (lui qui brocarda l'admiration de Coppola ou d'Arthur Penn pour Antonioni) et le voici livrant un pur moment de plasticien, non seulement avec cette séquence, mais également avec le film dans son ensemble, sans doute la plus belle application du pop art au cinéma. Il n’y a qu’à voir comment le générique condense la quintessence des années 80, tout en rattachant cette époque à une origine pop et acidulée. De fait, voir là la source de tout Michael Mann est une évidence.

10 commentaires:

'33 a dit…

je n'avais plus souvenir que le générique de To live and die in LA était si fort. Le lien avec Mann, en effet, tombe sous le sens.

'33 a dit…

quant à grand prix, je ne connaissais pas, et ça me donne assez envie de le voir (tu connais ma passion pour les films de bagnoles).

'33 a dit…

on te l'a sans doute déjà demandé, mais comment fais-tu pour mettre la main sur toutes ses vidéos et faire tes rapprochements ? Montage au hasard de youtube où l'idée préexiste ?

Joachim a dit…

Un peu des deux en fait. C'est vrai que c'est une façon de donner un sens à mes heures de procrastination sur Youtube. En général, tomber sur une vidéo au hasard (et souvent de liens en liens via des blogs) fait remonter des souvenirs à la surface... Ensuite, peut-être que certains rapprochements n'existent que dans ma tête... mais c'est le plaisir de les expliciter.

Quant à Grand Prix, je ne sais pas si c'est un grand film, mais je crois savoir que c'est le film qui a donné naissance au filmage actuel des courses de bagnole (variation des échelles de plan, caméras embarqués, gros plans sur les visages des mécaniciens dans les paddocks), alors si on adore la F1, ça doit être intéressant.

Anonyme a dit…

Je ne savais pas que '33 aimait les courses de bagnoles... Passons.

C'est malin, maintenant il faut que je voie To live and die in LA. Content ?

Joachim a dit…

A mon avis, on peut tout à fait aimer les films de bagnoles sans aimer les courses de bagnoles. Et puis, chacun est libre de ses goûts, tout de même. Sinon, sur You Tube, on peut aussi attraper la poursuite d'anthologie (si mes souvenirs sont bons, à contre-sens dans les freeways) de To live and die in LA.

Anonyme a dit…

Je n'ai pas encore vu les deux films dont tu parles ici... et sans doute ne suis-je tenté vraiment que par celui de Friedkin... mais tes rapprochements sont passionnants...
En tout cas, c'est une démarche à laquelle je suis sensible.
Il me faut bien te le dire quand même !

Anonyme a dit…

Bonjour,

Nous nous sommes brièvement rencontré à Cinéditions ce dimanche. Je suis étonné de lire que William Friedkin est assez peu sensible au cinéma d'auteur. Pourtant, à la vision de To live and die in L. A., l'influence d'Antonioni se fait plus que sentir dans cette façon de filmer la ville par des plans fixes et vides d'humanité. J'avais fait cette remarque alors que j'écrivais mon article sur ce film. Rapprochement exacte étant donné que le cinéaste, dans le commentaire audio sur le dvd, cite Antonioni et avoue son admiration pour lui.

De plus, je ne sais d'où vous tenez cette affirmation : ses maîtres, parmi d'autres, sont Luis Bunuel, Alain Resnais... Je suis assez étonné de lire ça... Est-il possible de savoir d'où vous tenez ses sources ?

Cordialement,

Joachim a dit…

Mes sources sont peut-être défaillantes, mais elles proviennent du souvenir de ma lecture du "Nouvel Hollywood" de Peter Bliskind où Friedkin se moquait (mais finalement assez affectueusement) de certains de ses collègues (en gros de Coppola aux réalisateurs des films Miramax) qui citaient les grands maîtres pour se donner une consistance.

En fait, je crois surtout qu'il tient par là à montrer qu'un bon réalisateur doit juste "faire" et non pas "discourir" ou se placer sous de trop hautes protections cinéphiliques. Carpenter fait un peu de même en répondant "avec une caméra" à chaque fois qu'on lui demande "comment avez-vous tourné ce plan ?" ou "J'espère que je pourrai continuer à réunir toute l'équipe tous les matins à 9 heures" à la question "comment voyez-vous l'évolution de votre cinéma ?".

Somme toute, Friedkin fustige plus la pose ou le discours du "cinéma d'auteur", mais sans doute pas les films et les cinéastes eux-mêmes.

Par ailleurs, il est évident que Friedkin a vu (et bien vu) beaucoup de films et que la maîtrise de sa mise en scène n'est pas venue toute seule.
Je ne savais pas qu'il citait Antonioni et Resnais, mais ça ne m'étonne qu'à moitié, tant son sens du montage éclate dans chacun de ses films (enfin, les 3 ou 4 que j'ai dû voir). D'ailleurs, la séquence qui illustre ce billet me paraît finalement assez proche de celle du meurtre dans la chambre voisine dans "Conservation secrète" par son utilisation des couleurs et son ambiance claustrophobique.

Quand j'aurai un peu plus de temps, j'irai lire votre article sur "To live and die in LA" qui m'a l'air assez copieux.

Anonyme a dit…

En effet, sous cette explication de faire au lieu de poser, je reconnais bien là les positions de William Friedkin... Il dit quelques chose d'assez similaire dans le commentaire audio de Rules of engagement : un film est fait pour être vu par le public et non pour être mis sous verre dans un musée... Réflexion assez amusante, je trouve...

N'hésitez pas à me dire ce que vous pensez de mon article sur To live and die in L. A. (mon adresse e-mail est quelque part sur mon site...)...

Cordialement,