Au début d' Entre les murs, François Bégaudeau a beau dire (à peu près) que "si l'Autriche disparaissait de la carte, ce serait pas très grave" (c'est bon pour l'export et le marché allemand, ça François !), une même ombre tutélaire semble planer au-dessus des deux films français de la sélection, celui de Desplechin et celui de Laurent Cantet :
celle du "grantécrivain" viennois, Thomas Bernhard.J'ai mis du temps à apprécier Conte de Noël, d'abord masqué par le souvenir de films paradoxalement moins amples. En fait, une scène, à un moment, m'a fait légèrement décrocher du film: celle où Melvil Poupaud fait le DJ sous quantité de regards admiratifs. Pas pu m'empêcher d'y voir Desplechin lui-même nous adresser un clin d'oeil: regardez ma vitrtuosité, regardez mon art du mix des émotions et des affects, regardez comme je peux balancer des ruptures de ton et vous en redemandez encore.... Et puis ( et c'est là où j'en viens à Thomas Bernhard), tout le film semble tourné vers le seul plaisir d'exhiber et de justifier des sentiments "indignes" (jalousie, égoïsme, misogynie, rancoeur familiale) exprimés de manière à peine déguisés, mais, il est vrai, avec une certaine allégresse.
Enfin, dernier trait "bernhardien", ce geste de vouloir envoyer balader tout la bonne facture du cinéma français (à côté, Chéreau paraît d'un emprunté), de donner un grand coup de pied dans la fourmilière tout en se plaçant dans la lignée du film de prestige national (gros casting, film très écrit, mais un peu à la manière de ces citations) exactement de la façon dont TB, dans Maîtres anciens, par exemple, règle son compte à toute la tradition littéraire allemande tout en se plaçant comme son plus avisé continuateur.
Mais ce qui m'a fait recoller au film, et l'a fait sortir de sa misanthropie originelle, ce sont les scènes médicales finales où les ponctions et autres protocoles de la greffe sont véritablement filmés comme les gestes d'une naissance: pas tant l'arrivée d'un nouvel être dans la famille que l'arrivée d'un nouveau sentiment (gratitude ? apaisement ? réconciliation ?) qu'il va falloir accueillir.
L'influence de TB dans Entre les murs est à la fois plus souterraine, mais plus nette. En fait, elle est surtout perceptible dans l'ouvrage originel de François Bégaudeau, qui reprend dans le film son propre rôle. Ecriture du ressassement, du ressentiment, de la répétition, qui dit l'abnégation, le piétinement (et un certain échec aussi) de la tâche pédagogique.
Porté à l'écran, on aurait pu croire un projet assez formel. Il n'en est rien. Car c'est sans compter avec la deuxième influence de Bégaudeau lors de l'écriture: celle... d'Abdelatif Kechiche, plus précisément du rendu de la langue parlée adolescente dans L'Esquive. Dans le bouquin, la parole adolescente était traitée comme une masse souvent compacte alors que le film joue lui la carte de l'incarnation et de la nuance. Voir ainsi les avatars d'une influence cinématographique qui irrigue la littérature puis revient au cinéma, par le biais des dialogues, est déjà l'un des premiers plaisirs d' Entre les murs. Le deuxième est de constater que Laurent Cantet a retrouvé sa caméra fluide qui donnait tout le prix de son court Tous à la manif (1994) et qu'il paraissait un peu avoir mise de côté dans ses précédents longs. Grand portaitriste de groupe qui envoie balader l'artificialité des films choraux, Laurent Cantet dresse le tableau fuyant et diffracté d'une communauté qui pourrait bien être la France de 2008 (qui aurait autant de mauvaise conscience que l'Autriche de TB ?). Certes, on tient là le film qui, dans quelques mois, fera la une et les pages dossiers de Télérama et du Nouvel Obs (du genre "comment ça va, l'école?"), mais ce n'est pas ça qui gâchera notre plaisir.
C'est sur cette dernière projection que je quitte le festival. A noter que cette dernière réussite vient compléter le tableau assez glorieux des mixtes documentaire-fiction (après les réussites de Waltz with Bashir d'Ari Folman, de Blind Love de Juraj Lehotsky, de Ce cher mois d'août de Miguel Gomes et de Tulpan de Sergey Dvorstevoy, après le brouillon Serbis de Brillante Mendoza voire après les deux films italiens Gomorra de Matteo Garrone et Il Divo de Paolo Sorrentino pas vraiment documentaires mais "ultra documentés"). 24 City venant compléter cette tendance, mais de manière nettement moins imaginative. Cela dit, parce que Pékin, parce que 2008, parce que droits de l'homme, parce que badge des athlètes, parce que le réalisateur est l'un des premiers de la classe des grands festivals et parce que L'Oréal a des usines en Chine, il y a fort à parier qu'il sera au palmarès.
2 commentaires:
Bonjour Joachim,
Je fais partie de ces fans inconditionnels de Garrel dont vous vous moquez(gentiment. Pas vu La frontière de l'aube. Votre point de vue est intéressant et pique d'autant + ma curiosité. Question: le fils de Nico qui chante Le petit Chevalier c'est celui d'A.Delon ?
Oui. Je crois que c'est bien le petit Ari, le fils caché d'Alain Delon.
Pour en revenir au Garrel, je ne veux pas m'acharner, d'autant plus que je respecte sa démarche, mais je suis quand même abasourdi par un certain aveuglement critique qui semblerait induire une division binaire du public sommé, face à ce film, de l'"adorer avec les fans" ou de "le détester avec les imbéciles". Je me suis fait rabrouer par Kaganski sur son blog, sur le mode: "Garrel fait toujours le même film et c'est toujours un chef d'oeuvre. Pourquoi ce dernier serait différent ?". A mon avis, c'est plus complexe que ça, ne serait-ce justement que cela fait deux films que Garrel filme une génération plus jeune. Rien que cette nouveauté de sa filmographie mérite d'être examinée. A mon avis, ça passait sur 68 (et son mixte de romantisme, de mélancolie et de désillusion), mais avec ce nouveau, ce ne sont que des images totalement plaquées. Bon, j'attends le prochain...
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