mercredi 16 mai 2007

Boule de cristal cannoise

Instauration de la République L'Oréal + société du spectacle + marches à gravir + spectateurs en smoking = Cannes
Avec un mélange de prophétie et de mauvaise foi, voilà en avant-première ce qu’il faudra retenir de cette soixantième édition.

Aller-retour : David Fincher aurait-il un compte à régler avec le si tendance cinéma coréen ? Trois ans après qu’ Old Boy (Park Chan Wook 2004) lui ait tondu la laine sur le dos et obtenu le Grand Prix en recyclant (plutôt brillamment d’ailleurs) quantité de motifs tirés de son cinéma pulsionnel et paranoïaque, Fight David nous revient tout vénère, mais quand même auréolé du statut de « grantauteur » avec Zodiac. C’est quand même bizarre parce que cette histoire de tout premier serial-killer et ce suspense à base de fausses pistes, de flics dépassés et cette ambition de vouloir dresser un tableau de la société déboussolée par le crime, ça a l’air de beaucoup ressembler au génial Memories of murder (Bong Joon Ho 2003). David, fais doublement gaffe ! Primo, tu mets la barre quand même très haut ! Deuxio ! Il n’y a qu’aux Etats-Unis que les spectateurs ne vont pas voir les films étrangers. A Cannes et en France, le cinéma coréen a impressionné pas mal de rétines.

Pépites : Vue la flopée de premiers films dans les sections « Un certain regard », « Quinzaine des réalisateurs » et « semaine de la critique », c’est bien le diable si on ne tombe pas sur un joyau qu’on serait les tout premiers à le voir avant tout le monde. Si ça se trouve, on pourra même aller serrer la main au petit prodige qui a réalisé ce chef d’oeuvre après la projection, prendre un pot avec lui, et se la raconter dans dix ans quand le (ou la) dit(e) génie montera les marches et qu’on dira qu’on est le tout premier à l’avoir repéré.

FAR (film d’auteur radical) : Brown Bunny (Vincent Gallo) en 2003, Tropical Malady (Apichatpong Weerasethakul) en 2004, Bataille dans le ciel (Carlos Reygadas) en 2005, En avant jeunesse (Pedro Costa) en 2006 sont les précédents vainqueurs de cette compétition où il faut réussir à aligner SIMULTANEMENT les fauteuils qui claquent et les critiques dithyrambiques (« mais d’une certaine presse » rappelle Michel Ciment). Beaux vainqueurs, mais les années précédentes, chacun de ces films était le seul dans cette catégorie. Cette année, la compétition risque d’être plus serrée entre Alexandra de Sokourov (mais son auteur est déjà consacré), Lumière Silencieuse de Carlos Reygadas, L’Homme de Londres de Bela Tarr (qui part avec de l’avance, vue les tourments « à la Amants du Pont-Neuf » de sa fabrication) et Import-Export d’Ulrich Seidl (qui grâce à son mélange trash + politique a la bonne cote chez les siffleurs) à moins qu' Une vieille maîtresse de Catherine Breillat mette tout le monde (pas) d'accord (mais, étant donné chez la cinéaste, la prédominance du discours sur la forme, le "scandale" risque plutôt d'avoir lieu lors de la conférence de presse que pendant la projection).

Pour tous les goûts : Les filles, ça va être dur de pas tomber amoureux de Louis Garrel. Funambule, digne dans son spleen, sensible, lettré sans être verbeux, charmeur et ténébreux sans s’y croire, ce type a tout pour lui. Longtemps qu’on n’avait pas vu un acteur aussi charismatique dans le cinéma français. Mais les mecs, vous n’allez pas non plus être épargné par les tourments, puisque ça va être aussi dur de pas tomber amoureux de Clotilde Hesme. Altière sans être distante, digne et touchante dans son spleen, enfantine sans minauder, visage et sourire de muse. Le couple des Amants réguliers et des Chansons d’amour n’a pas fini de nous faire jazzer.

Dissertation : Pas besoin d’être diplômé de l’ENA et agrégé de philo pour avoir une idée sur La Question Humaine (Nicolas Klotz), la France (Serge Bozon) et l’Etat du monde (œuvre collective de l’IAI, Internationale des Auteurs Irréductibles comprenant Apichatpong Weerasethakul, Wang Bing, Pedro Costa, Chantal Akerman + guests) ? Non. Il suffira d’avoir vu ces trois films parmi les plus attendus de la Quinzaine des Réalisateurs et constater qu’il se fait encore un cinéma poétique et politique.

Tu brûleras ce que tu as adoré : En 2000, tout le monde aurait vendu père et mère pour assister à la projo de Dancer in the dark (Lars von Trier). Cinq ans plus tard, les mêmes ont honte d’être devant Manderlay. L’année dernière, le GCM (Groupement des Couvertures de Magazine) qui avait pourtant mobilisé tous ses efforts pour la promo de Marie-Antoinette et sa si hype réalisatrice n’a rien pu faire contre les sifflets provenant pour une bonne part de ceux qui avaient adooooré Lost in translation. Cette année, je serais Tarantino, je me demanderais si la machinerie fun et creuse de Grindhouse plaira encore à ceux qui étaient là un soir de mai 1994 à minuit devant Reservoir Dogs (cf « pépite »). Mais c’est pas grave, même sous les huées, Quentin la rock-movie star fera le show.

Tire-larmes : Le dernier jour des projections, on sera tout fatigué et les nerfs à vif. Ça tombe bien car les deux derniers films n’auront plus qu’à nous cueillir pour qu’on fonde en larmes. Promets-le moi de Kusturica utilisera la grosse cavalerie : farandoles, sentiments exacerbés et vodka dès le petit-dej. En revanche, avec la Forêt de Mogari de Naomi Kawase, on sera dans la retenue vibratile et la pudeur de la demi-teinte, dans une proximité telle que même la caméra aura l’air d’être devenue une amie. Entre ces deux histoires de famille, devinez laquelle je vais préférer.

Au fait, les photogrammes de cet article sont tirés de Quatre nuits d’un rêveur de Robert Bresson (1971), film peu connu du maître et dans lequel on trouve cette réplique qui tue :



UN FILM DE GALA, C’EST LA BARBE !

Certes, mon petit Robert, dans « film de gala », c’est Gala qui est la barbe. Le film reste. En avant jeunesse ! En avant le cinéma !

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