jeudi 2 avril 2020

Construire la destruction




Themroc (Claude Faraldo 1973), le caillassage le plus radical du "métro, boulot, dodo".  En ces temps, où il y a moins de métros, moins de boulot et peut-être un peu plus de dodo...

L'ouvrier Themroc (Michel Piccoli) envoie tout balader, ne s'exprime plus que par grognements, descend sur les voies du métro (hallucinante séquence "sans trucage" où il hurle au passage des rames, et vers les galériens à l'intérieur), bouffe littéralement du flic, jette ses meubles par la fenêtre et attaque à la masse, la façade de son petit appartement.



Comme le dit le titre espagnol (El Cavernicola Urbano), il devient un oxymore vivant "homme des cavernes urbain". Son antre devient sa grotte, habitat primitif à la fois totalement ouvert sur l'extérieur et lieu ultime de réclusion.



La furie joyeuse de cette expérience de régression (menée en complicité avec les pensionnaires du Café de la Gare) fait écho à une autre violence, celle de l'urbanisme de l'époque qui même dans le Paris populaire, n'hésitait pas à raser les faubourgs pour y répandre tours et barres. Le saisissement dénouement ne consiste plus qu'en un collage d'instantanés visuels et auditifs, confrontant pulsions destructrices, râles de jouissance et allégories de l'enfermement. On a beau vouloir tout casser, les murs se recroquevillent autour de nous.

Une image a valeur en soi d'incroyable document : une vue du chantier du siège du PCF Place du Colonel Fabien (Oscar Niemeyer, architecte 1971-1980)


Le serpent de verre et de béton d'Oscar Niemeyer paraît se faufiler à l'intérieur des derniers vestiges du Paris des faubourgs, enserrant sa proie tel un boa.

Il y a quelque temps, je tombais sur une revue belge d'architecture dénommée Accattone (!). Où j'apprenais que le film était devenu un fétiche dans l'avant-garde berlinoise.



A tel point que l'architecte Arno Brandlhuber avait fait réaliser une fenêtre qui suivait, au centimètre près les éventrements opérés par Michel Picolli dans le film. D'un côté, on casse à l'instinct. De l'autre, on opère un travail de dentelière... pour aboutir au même résultat.



Le projet est dénommé "Antivilla" (2015), réhabilitation d'usine, accueillant résidence de l'architecte et ateliers d'artistes, projet à double face.

Bunker à l'extérieur...


... et intérieur de loft. Même fenêtre mais pas tout à fait la même déco ni la même vue.


(Projet qui revendique tout de même une certaine rugosité, voir une description plus précise).

Que la destruction puisse inspirer la construction !
est  un précepte à méditer.

4 commentaires:

Dr Orlof a dit…

Eh bien au moins le confinement aura eu un mérite : celui de te faire revenir :) Prends soin de toi et de tes proches et au plaisir de te relire ici.

Joachim a dit…

Merci, cher Doc. Tu es toujours fidèle au poste.

Jean-Christophe Polgár a dit…

Mais. Mais !!! Enfin des bonnes nouvelles, quel retour ! Photo extraordinaire du siège du PCF ! (j'habite de l'autre côté). Je ne savais absolument pas que l'Antivilla avait cette origine cinématographique et anarchiste, les photos de cette construction m'avait semblé d'un snobisme achevé, comme quoi. En tout cas, ravi de vous retrouver ici ! En espérant que tout se passe bien, même si l'on ne se connait pas…

Joachim a dit…

Merci Jean-Christophe.
Le Colonel Fabien est un bâtiment fascinant. Il y a déjà eu beaucoup de films qui y ont été tournés, mais les films imaginaires qu'on s'y fait en le visitant sont encore plus dingues. Jusqu'à un face-à-face avec le Sacré Coeur sur le toit terrasse.
L'Antivilla, oui on peut trouver ça précieux (pas au bon sens du terme) mais il y a quand même une démarche intéressante, jusque dans ses attentions sur la construction et l'économie d'énergie. Je ne connais pas très bien Brandlhuber mais c'est un architecte qui, certes en répondant à des commandes très choisies et particulières, reste toujours artisan et chercheur.