vendredi 9 octobre 2009

Dialogue entre le film français de 2008 et le film français de 2009

- Je t’aurais bien piqué ton titre et en échange, je t’aurais donné le mien, ce foutu titre que tout le monde trouve bizarre et que je ne daigne jamais expliquer.

- Entre les murs pour un film de prison, je vois bien. Pas très original, tu vas même me dire , mais Un prophète pour un film sur un prof, tu es sûr ?

- Je te signale que ton prof, comme tu dis, se targue ici d’être « pressenti pour remplacer Raymond Domenech à la tête de l’équipe de France, et que pour patienter, il vient de remporter la Palme d’Or à Cannes ». Si on n’est pas dans le pur messianisme, avec ça !

- Ouais, bon, OK, OK, OK !

- Et puis, on est pratiquement les seuls en France à réussir des castings de dingues avec que des acteurs inconnus mais qui en veulent et donnent à mort.

- Voir des nouvelles têtes, assister à l’éclosion d’acteurs, c’est sûr mais pourquoi on est pratiquement les seuls à faire ça, pourquoi il n’y a quasiment qu’un ou deux films français par an qui s’y risquent, alors que ça marche pratiquement à tous les coups (La graine et le mulet, Lady Chatterley, Les beaux gosses, voire les films de Bruno Dumont ou de Guiraudie).

- Faut demander aux autres, mon vieux. Ils te répondront que c’est toujours la faute de la télé qui veut du bankabeule, comme disait mon papa. Mais bon, mon papa, il leur aurait cloué le bec en disant qu’elle a bon dos, la télé, meilleur dos que la flemme devant des gros castings et devant du boulot avec les comédiens.


- On nous présente comme des réussites exceptionnelles, des cas à part et singuliers, mais on devrait être la norme et pas l’exception, tu veux dire ?...

- En quelque sorte, ouais… On n’entendrait plus ces sempiternels refrains sur le manque d’ambition du cinéma français, son manque de spectacle, son horizon limité, etc…

- Je peux te demander, un truc quand même ?

- Oui, vas-y, on est entre nous, là.

- Bon, ton film, il marche très bien. On sent la masse de boulot, d’investissement. J’irais même jusqu’à dire que d’un strict point de vue de l’agencement de ses éléments, ce pourrait même paraître brillant...

- Merci du compliment. J’allais te faire les mêmes et je te promets que je suis sincère…

- Non, attends, j’avais pas fini… mais à la fin, tout ce boulot, comment tu le justifies ? Ca raconte quoi vraiment, ton film, au-delà de son strict scénario, je veux dire ?...

- Tu veux dire, quel point de vue sur ce que je montre ? Oh, ça, bof… C’est des vieilles questions de prof. Et puis, honnêtement, je pourrais te poser la même question.
(Un ange passe)

Qu’est-ce qui m’intéresse ? Peut-être la même chose que toi, au fond….

- C’est-à-dire ?

- Tout ce travail de simulation du réel, d’immersion dans une boîte noire, dans un de ces lieux dont on parle sans cesse au JT ou dans les journaux, mais dont on n’a aucune idée de la façon dont il fonctionne. Et puis au bout d’un moment, je sais pas si toi, ça t’as fait la même impression, mais j’ai vu que ça fonctionnait tout seul, comme un petit théâtre mécanique.

- Ah oui, complètement, ça en devenait fascinant ou plutôt on voit bien qu’au bout d’un moment les films ne tiennent plus que par leur propre fascination devant les méthodes et le système qu’ils ont mis en place.

- Oui, c’est ça. J’ai mis en place un petit théâtre pour monter et de démonter des mécanismes de pouvoir, de soumission, de domination…

- Oui, enfin, parle pour toi ! Moi, mon film, il parle plus de la difficile pratique de la démocratie, toi tu te complais dans un système féodal.

- Oui, mais dans l’un comme dans l’autre, ça reste une question d’apprentissage : des codes de conduite et du langage.

- Oui, c’est ça, moi, je montre la prison comme une école et toi l’école comme une prison.

- Pas faux… Ben dis donc… L’école, la prison… Le film français de l’année prochaine, ce sera celui sur l’hôpital, alors ? (rires communs)

- Oui, en même temps, nos taules, ma prison, ton bahut, ce sont aussi des hostos.

- Ah bon ?

- Ouais, des hostos qui tournent pas rond, des hostos où on chope des maladies nosocomiales, où tu ressors plus malade que tu n’y es rentré. A la fin de l’année, la gamine dit qu’elle n’a rien compris à ce qui se passe, elle a l’impression d’être plus bête en juin qu’en septembre.

- Et toi, à la fin de sa peine, le type ressort en crapule dix, quinze, vingt fois plus grosse…

- … que quand il était rentré.

- Nous voilà bien ! Pas très encourageant sur l’état de notre belle République, tout ça ! Heureusement qu'on n'a pas fait notre promo là-dessus. Mais on ne va pas déprimer tout le monde si on leur dit ?

- Je crois pas ! Tout le monde les adore, nos films, au contraire ! Les spectateurs doivent s’y reconnaître ou s’identifier. De toute façon, c’est pas vraiment comme ça que ça se passe en vrai.

- Attends toi aussi, tu leur as fait le coup du : « ne me ressortez pas le film phénomène de société ! » dans toutes tes interviews alors que dans le même temps, le film fournissait le prétexte idéal à quantité d’articles dans les news magazines.

- Ben oui, qu’est-ce que tu crois ? Et tu vois que ça marche toujours !

- Yep ! Tant que ça fonctionne comme dit l’ami Woody, on prend les paris pour les Oscars (les Césars, c’est déjà dans la poche)…

3 commentaires:

Kaherk a dit…

mouarf (j'aurais préféré tout de même que tu mettes les noms devant les tirest, j'étias souvent perdu sur qui disait quoi)

Pas d'accord sur le système qui fonctionne tout seul pour Un Prophète, contrairement à Entre les Murs c'est une mise en scène et un scénario qui se travaillent, qui se renouvellent à chaque instant. Ce n'est pas un "système" a priori.

Dr Orlof a dit…

Bien vu!
Très bien vu, même, mais c'est une habitude chez toi, mon cher Joachim (ceci dit, je n'ai pas eu le courage d'aller voir le Audiard)

Joachim a dit…

Kaherk

Mouarf = Mouais + Ouarf ? ;-)

Pour être honnête, moi non plus, je ne sais plus très bien au bout d'un moment qui dit quoi mais ça n'a pas beaucoup d'importance, étant donné que le propos reste tout de même assez à l'unisson.

Entre les murs paraît, en effet, davantage axé sur la répétition et avancer par des petites réussites au milieu d'une grande impression de stagnation, quand la progression d'Un prophète, en comparaison, est beaucoup plus linéaire, axée sur la trajectoire ascendante du personnage. Cependant, je n'y vois pas vraiment "une réinvention de tous les instants", mais aussi un certain systématisme dans le jalonnement des étapes. Le plus symptomatique demeurant, à mon avis, les "retours" réguliers de Reyeb sa première victime assassinée (avant chaque nouvelle "épreuve" ou "palier initiatique"). J'y vois quand même un truc de scénario, cette façon de remettre de l'hésitation, de la peur, du dilemme pour que le spectateur éprouve à intervalles constants, "toujours et malgré tout" de la sympathie pour Malik.

Autre exemple (entre autres): cette voyante (ou entendante) baisse sonore pendant la fusillade (que je peux comprendre), mais où je ne perçois que l'effet de mixage.

Cela dit, le film est habile mais comme toujours chez Audiard, cette séduction du "travail bien fait" éveille aussi des réserves (c'est pour cette raison que je le titille sur son fond, son point de vue, sa justification, appellez ça comme vous voulez).

Doc Orlof

Merci du compliment. J'ai relu ta note sur "De battre..." pour connaître ton point de vue sur ce cinéaste. Je serais tout de même un peu moins sévère que toi, même si souvent les revoyures télévisuelles de ses films (me) laissent apparaître les coutures (sauf peut-être la première partie de "Sur mes lèvres", la rencontre du couple, l'histoire d'amour paradoxale vraiment originale et assez nettement et économiquement dessinée).