lundi 20 juillet 2009

Il tue sa mère, son film ?

Nous avons reçu du jeune Xavier Dolan, réalisateur arrogant mais doué de J’ai tué ma mère (2009), la lettre suivante, que nous avons faite expertiser par notre service de psychologie scolaire.


« Bonjour, je m’appelle Xavier et je pense que si à 20 ans, on n’a pas réalisé un long-métrage qui a frôlé la Caméra d’Or et qu’on ne s’autoproclame pas la coqueluche de Cannes, c’est qu’on a raté sa vie !

Là où j’habite, c’est moche. Les gens qui sont au bahut avec moi sont tous bêtes et quant à ma famille, c’est même pas la peine d’en parler. D’ailleurs, tout le monde aura droit de voir mon film sauf eux. La seule famille que je veux rejoindre, c’est celle d’Harmony Korine, Larry Clark, Gus van Sant, Sofia Coppola, Judd Appatow, Peter Sollett, Riad Sattouf, Anthony Cordier, Céline Sciamma, Joachim Lafosse, tous ces gens dont la critique (surtout en France, le pays de la Fémis et de Christine Angot) s’est entiché sur la foi d’un seul film, à croire qu’il suffisait de mettre des adolescents sur un écran pour que ça marche. Mais moi, contrairement à eux, je veux faire mon film sans être sorti de l’adolescence, sans avoir réglé mes problèmes. Ce sera un film non pas « sur » l’adolescence, mais « en pleine » adolescence, le plus proche de la mauvaise foi et de la naïveté propres à cet âge. D’ailleurs, l’autre jour sur Youtube, j’ai vu Coppola prédire qu’avec le numérique, une fille de 11 ans habitant au fin fond du Nebraska pourrait devenir la Mozart du cinéma :


Le seul truc qui m’empêche de me comparer à Mozart, c’est que j’ai pas envie de mourir à 35 ans mais quand même, savoir qu’on a Coppola derrière soi, ça donne du courage. Si ça se trouve, j’irai à à Cannes, mon film sera projeté dans la même salle que celui de Big Francis et il viendra même me féliciter à la fin de la projo en me rappelant un titre de ses débuts : you’re a big boy, now ! (Note du psychologue scolaire : seuls les deux premières étapes de ce fantasme ont été réalisées, la troisième pas sûr mais la mythomanie fait aussi partie du génie).

J’écris cette lettre dans ma chambre après que ma mère m’ait dit d’y monter, juste après une énième engueulade entre nous. Quand je suis dans ma chambre, ma mère au moins est rassurée. Elle croit que j’écris mon blog comme tous les ânes qui sont dans ma classe. C’est d’un commun ! Moi, mon blog, je le fais sur pellicule. Quand je reste dans ma chambre, j’élabore mon nouveau concept de cinéma : « le film chambre d’ado », le film dont le spectateur est, au début, tout gêné de pousser la porte puis découvre un plaisir pervers à suivre les énièmes turpitudes nombrilistes de l’auteur. Entre deux scènes d’engueulade, je collerai sur l’écran tout ce que j’ai affiché sur le mur de ma chambre : des citations de Cocteau, Rimbaud, Musset, des photos noir et blanc floutées faites au club du lycée (le jeudi entre midi et deux, le meilleur moment de la semaine, le seul truc qui me donne envie de franchir les grilles de cette taule) et puis aussi des jets de peinture sur l’écran à la Jason, euh, Jackson Pollock et puis aussi des confessions filmées face caméra parce que je suis quand même de la génération télé réalité, mais je ferai ça aussi de manière plus raffinée qu’à la télé : en fragmentant les visages ou en les filmant sur des fonds colorés ou des décors kitsch. Ça fera Klimt (le type qui faisait du Wong Kar Wai avec des pinceaux) ! Et puis comme ça, on dira de mon film qu’il sera épidermique : aussi bien parce qu’il provoque les réactions de ce type que parce qu’il cherche à s’approcher au plus près de la matière cutanée.

Et puis, s’il y en a qui se demandent si avec ça, on tient une heure et demie, je leur sors mon concept qui tue : je leur réponds qu’à force, la singularité du film, c’est « l’indécidabilité de son ton ». La multiplication des scènes de conflit déréalise leur intensité (tout cela en devient presque comique) et montre surtout que c’est une autre forme de communication et de tendresse. Bon, je sais bien que Cassavetes va dix fois plus loin que moi à ce petit jeu-là, mais j’ai pas encore pas vécu tout ce qu’il a vécu et j’ai pas bu autant que lui non plus (je sais qu’il n’y a pas de contrôle anti-dopage dans le cinoche mais quand même…) et puis lui, il se fait aussi aider par les super acteurs qu’il a, alors c’est pas du jeu non plus. Moi, je suis à jeun et j’ai tout fait tout seul, alors na ! »

L’avis du psychologue scolaire :

Pour être franc avec toi, Xavier, ton cas m’excitait d’avance, en même temps qu’il m’inquiétait. Bon, disons-le tout de suite, ton film n’a rien d’exceptionnel, mais à ma grande surprise, il est tout à fait regardable, plus que ça même et le simple fait qu’il existe en fait un objet d’intérêt pour nous, glosateurs du cinéma. Comme toi je pense que la meilleure façon d’apprendre le cinéma (pour espérer secrètement en faire un jour), c’est de regarder et de regarder des films, mais si je te disais que j’ai commencé cette pratique l’année de ta naissance, tu vas me traiter d’étudiant attardé et soupçonner chez moi le flagrant délit de jalousie, ce dont tu n’aurais pas tout à fait tort.

Effectivement, si tu avais voulu réaliser un « film chambre d’ado », le contrat est rempli : le film est volontairement étriqué, obsessionnel, fétichisant, à deux doigts de la pose de poète maudit, mais l’air de rien, discrètement gracieux et inspiré dans ses agencements et ses collages.

Reste qu’il évoque le souvenir d’un autre « film chambre d’ado », qui jouait lui aussi sur le trouble de l’intrusion, pensée lui aussi comme une lettre couturée et fragmentée destinée (mais jamais envoyée) à une mère monstre : Tarnation (Jonathan Caouette 2004)



Qui plus est, cet autre « film chambre d’ado » avait une autre qualité qui manque un peu chez toi : le bordel. Face à lui, le spectateur retrouvait le même plaisir que ressent l’ado frondeur quand il est le seul à se retrouver dans une chambre qu’il refuse de remettre au carré, malgré les injonctions parentales. Le film était rempli de courts-circuits (à tous les sens du terme), de grammaires souterraines et secrètes qui faisaient qu’on retrouvait malgré tout le chemin vers des pépites et des émotions enfouies sous un apparent bric-à-brac obscène. Chez toi, Xavier, ces disjonctions, ces chemins de traverse, ça manque encore un peu. Tout est encore un peu net, trop direct, trop désigné.



« Range ta chambre ! ». A toi comme à nous, Xavier, on a dû le dire un nombre incalculable de fois. Mais peut-être Xavier, as-tu, malgré tout ce que tu nous dis, trop obéi à cet ordre parental et trop organisé ton intérieur.
Pour la prochaine fois, n’écoute ni ceux qui t’adorent, ni ceux qui te tombent dessus, ni ceux qui te traitent de génie, ni ceux pour qui tu es la suprême tête à claques et range moins !
Et surtout, Xavier n’oublie pas, si tu as un problème, on peut toujours en parler. Ma porte sera toujours ouverte pour toi et de ce qu’on se dira, rien ne sortira de mon bureau. Après, si tu veux le mettre dans un prochain film, libre à toi…

***

Photos: La chambre de JC (7 ans), en pleine préparation de son premier long-métrage (avec aimable autorisation des parents).

3 commentaires:

Charly a dit…

Un de tes messages les plus drôles !

zvezdo a dit…

Ouh! j'adore !!!!!!

Charles-Henri a dit…

Bravo, mon cher, j'ai rarement lu une critique de film aussi originale!