jeudi 18 septembre 2008

Correctif à divers palmarès subjectifs

A inclure illico dans les meilleures scènes de danse:
Ucellacci e uccellini (Pier Paolo Pasolini 1966)

Soit "Mods meets Ragazzi". Pour ceux qui se demandent quel incunable groupe de Wigan ou de Leeds on entend dans la BO, levons le voile sur qui se cache derrière la musique. Et d'ailleurs, à propos de ce film, vous n'avez pas oublié ce fameux générique, dont il existe une variante robe du soir et maestro. Qu'une même  ritournelle se balade aussi bien dans la comédie populaire (un film avec Toto) que dans la haute culture (soirée à la Scala), voilà qui aurait sans doute ravi PPP.

A inclure derechef dans les plus beaux baisers de cinéma:

Onze Fioretti de Saint François d'Assise (Roberto Rosselini 1950)

La ferveur du croyant et le scepticisme de l'agnostique, le panthéisme de la nature et la matérialité du monde, l'attente d'un miracle qui ne vient pas et puis le doute, le doute toujours le doute, peut-être la seule chose en quoi croire. Tout ça dans un baiser ? Ben oui, tout ça dans un baiser...

D'ailleurs, ce n'est pas si évident avec ces extraits, mais le film du haut est plus ou moins un remake commenté de celui du bas. C'est sans doute plus clair avec cet autre extrait, témoignage de la foi bouffonne (comme de la foi dans la bouffonnerie) du cinéaste. 

Ces deux films, comment ai-je pu les oublier ? Grâcieux, carnavalesques et philosophiques tout le temps, ils sont...

12 commentaires:

Arnaud a dit…

Sublime !
Moi j'aurais pensé bêtement à un truc évident, genre shadows ( la reverb...) mais c'est beaucoup plus beau comme ça bien sûr.
Je dois voir ce film toute affaire cessante. Ne serait-ce que pour son générique prodigieux, découvert ici même.

Les Fioretti, c'est certainement un des premiers films importants qu'il m'ait été donné de voir. Mais à la TV bien sûr et sans avoir la moindre idée de ce que cela représentait. Je devais avoir 10 ou 12 ans quand j'ai vu par hasard la scène du pied de porc où frère cochon rend grâce à Dieu d'avoir pu venir en aide à son prochain ; je n'avais pas compris son humour ; je crois même que cela m'avait franchement horrifié. La retrouver au cinéma sans avoir jamais soupçonné qu'elle pût être de Rossellini fut un énorme choc.

Les fioretti sont un de mes films préférés de Rossellini. Avec le Voyage en Italie sans doute

Joachim a dit…

Eux, ils dansent (un peu) comme chez Pasolini:
http://fr.youtube.com/watch?v=KfDoPEN7n5k

Anonyme a dit…

Je ne cesse d'être étonné en suivant le cheminement de tes pensées. Passer de Pasolini à Rossellini pour finir avec ces déconneurs de Housemartins, il faut le faire !
Entre "Des Oiseaux..." et les "Fioretti", tout, sur le papier, devrait me pousser vers le premier. Et pourtant, c'est bien le Rossellini que je trouve merveilleux. J'avais éte très sceptique en voyant le Pasolini, il y a une dizaine d'années. Il faudrait que je revois ses films pour aller plus avant car devant ton extrait, malgré la légéreté, quelque chose encore me heurte...

Joachim a dit…

Certes, je trouve moi-même parfois mes croisements et rapprochements un peu tirés par les cheveux, voire fumeux, mais le jeu du blog est aussi d'expliciter mes intuitions par écrit et de voir comment ça marche...
Cela dit, Pasolini lui-même a plus d'une fois reconnu sa dette envers les Fioretti de Rossellini. Chez chacune des oeuvres des deux cinéastes, on peut y voir le même souci de mêler la trivialité du monde et l'aspiration du spirituel et surtout une envie de mener des récits picaresques et bigarrés où "les grandes questions" n'empêchent pas une drôlerie tout à fait inattendue. Si tu as l'occasion de revoir "Des oiseaux...", prête lui attention. Certes, le film est daté et un peu ingrat dans sa forme, mais c'est vraiment un film d'une liberté et d'une inspiration rares. Et puis quand bien même le film peut paraître marqué du discours de son époque, il me permet précisément de ressentir très fortement la dite époque et quand ça arrive, ça reste un intense plaisir de cinéma.

Arnaud a dit…

Oui, absolument !

Et sur les Fioretti, et sur la nécessité des rapprochements "audacieux".

Mon second contact avec les Fioretti, par exemple, après l'épisode du pied de cochon, c'est encore à la télévision : ce n'est pas tout à fait la compréhension de ce que représente le film de Rossellini, dont la découverte en salle s'est faite plus tard, à un moment où j'étais déjà bien installé dans la cinéphilie et relativement familier de son oeuvre. Car l'image du condotierre ( le tyran) que le simple va défaire en soutenant son regard, elle aussi m'était connue. Je l'avais déjà vue à la télévision un nombre infini de fois : elle figurait au générique d'un des deux ciné clubs de l'époque, avec lesquels j'ai fait mon éducation - il y avait le cinéma de minuit et une autre émission portant un titre similaire ; l'une passait sur la deux et l'autre sur la trois, c'était le vendredi et le dimanche soir... - Bref, ce générique que certains parmi vous ont peut-être connu, sur une musique de Nino Rotta il me semble, où résonnaient des orgues mécaniques qui accompagnent les manèges ( à moins que ce ne fût le manège de la Règle du jeu... ) il faisait paraître tour à tour les visages de Welles interprétant Arkadin et du tyran que désarme le frère simplet des Fioretti ; et le tyran devenait Falstaff souriant à Jeanne Moreau. A peu près à la même époque, il me fut donné de rencontrer à nouveau ce visage ; c'était dans In Girum imus nocte et igni consumimur, où Arkadin (dont je ne connaissais toujours pas le nom) apparaît à plusieurs reprises !

De tels rapprochements ne sont fortuits ni vains. Ils excitent notre imagination et nourrissent notre rêverie, ce qui est délicieux ; mais ce sont aussi de puissants accélérateurs intellectuels : nous pouvons interroger l'histoire personnelle qui nous conduit à mettre en rapport des choses qui sont en apparence très différentes les unes des autres, ce qui revient à faire notre ciné-analyse ; et nous pouvons aussi questionner la logique objective qui préside à ces rapprochements. Dans ce dernier cas, nous nous livrons à des analyses historiques ou bien à des modélisations qui nous permettent, par la vertu d'une comparaison "audacieuse", de dégager des logiques qui n'apparaissaient pas nécessairement de prime abord . Et l'analyse, c'est la poursuite du plaisir par d'autres moyens, sa continuation. C'est comme le vin, en fait ; ce qui fait un grand vin, c'est ce qu'on appelle "sa longueur", la persistance aromatique qui fait que la saveur demeure après l'absorption ; on peut en mesurer la durée, en jouir et en décrire les composants.

La séquence "Viens vite au fond de la piscine", en particulier, m'a fait éprouver tout cela à la fois. J'ai trouvé admirable le rapprochement de films différents à partir de la vision d"un même espace qui travaille simultanément le rôle de l'imaginaire, l'expression du désir, et la manifestation destructrice de sa violence. Dans le même temps, j'ai repensé au bonheur de cinéma que m'avait donné Deep End lors de sa découverte durant mes études. Et je me suis rappelé le trouble qu'avait fait naître en moi la rêverie érotique autour de laquelle il s'organise, trouble dont je pressentais qu'il allait au delà d'un simple "émoustillage". Je dois donc beaucoup à cette juxtaposition baroque.

Bref, encore des rapprochements audacieux et incongrus !

Arnaud a dit…

Pour autant, je n'ai pas l'intention de transformer les espaces de commentaire de ce blog en ciné-divan.
Que l'on se rassure !

Joachim a dit…

Que les lecteurs et contributeurs de ce blog se sentent ici comme chez eux et réaménagent la déco et les meubles comme ils l'entendent. Au contraire, c'est toujours un plaisir pour le tenancier de ces lieux.

Je ne me souvenais plus de la présence d'Arkadin dans "In girum..." mais le film de Debord est effectivement lui aussi un incroyable "accélérateur intellectuel et d'émotions".

Pour vous rafraîchir la mémoire:
http://www.dailymotion.com/video/x2rghf_a2-110987-fin-jt-nuit-generique-cin_news

(tout à la fin de la vidéo).

Le générique de la Quinzaine des réalisateurs me donne le même genre de frissons:

http://fr.youtube.com/watch?v=XFAfSemlea8

On pourrait d'ailleurs s'amuser à des petits concours pour reconnaître chacun des films composant ces petits génériques madeleines.

Anonyme a dit…

Toujours pour tenter d'expliquer mes réticences en ne s'appuyant que sur l'extrait du Pasolini : cette trivialité, ces figures et ce style ingrat, ils sont jetés à la figure du spectateur par le montage. Par exemple à la fin de la séquence, le face à face entre Toto et le barman, on ne sait pas comment le recevoir.

Sinon, la formulation de mon premier commentaire était un brin maladroite. Mon étonnement doit bien sûr s'entendre dans un sens positif. Tes idées en zig-zag, même les plus tordues, avec lesquelles tu assure la spécificité de ton blog, je les suis toujours avec beaucoup de plaisir.

Arnaud a dit…

Caramba !

Arkadin et Falstaff sont bien là. Mais ni Jeanne Moreau, ni les fioretti.

En fait, il m'arrive assez souvent de rêver les choses un peu plus belles qu'elles n'étaient. Ainsi j'ai raconté à ma fille qu'à la fin du Privé, Gould claquait des talons à 1,5 m du sol ! et Gena Rowlands avait coûtume de héler les taxis new yorkais un pistolet fumant à la main ! Ce qu'ils auraient dû faire de toute évidence. Heureusement étions d'accord sur ce point et elle ne m'en a pas voulu...

Mais là, j'ai deux explications possibles à cette absence troublante : le générique a pu changer, de sorte qu'il en existe peut être une autre version ou seuls apparaissent les personnages des fioretti ; et puis il y a aussi celui de l'autre ciné club : différent dans sa conception - et moins en beau, je crois - seulement des yeux et une musique sentimentale dont je ne suis pas sûr qu'elle ait été utilisée dans un film ; la série complète des portraits se trouvait peut-être là en fait...

Pour la présence d'Arkadin chez Debord, je n'ai pas le moyen de vérifier à portée de main mais je suis quasi sûr de mon coup : à l'époque où Champ Libre publiait ses oeuvres cinématographiques complètes sans donner l'origine des photogrammes reproduits, j'avais dû identifier ceux-ci pour un ami qui travaillait sur l'exposition présentée au CCI "sur le passage de quelques personnes à travers un bref intervalle de temps."
Maintenant, ce ne sera pas le premier mauvais tour que me joue ma pauvre mémoire...

Debord, objet très problématique dans le champ de la réflexion cinéphilique et cinécritique. Pas seulement pour des raisons "esthétiques" ou "cinématographiques." C'est intéressant,fascinant même ; parfois trés émouvant, comme dans In Girum en raison de la beauté du texte et de sa signification, disons "polititique". Mais, ce n'est pas un modèle - à mon sens, du moins. Et je trouve qu'il règne à son sujet vraiment beaucoup, beaucoup de malentendus. A commencer par ce qui touche à son amour supposé du cinéma. Je ne suis pas sûr que Debord ait jamais fait grand cas du cinéma comme tel - seulement comme activité devant faire l'objet d'une critique. Ok, je sais que certains textes ( dans le générique de la société du spectacle, sa lettre à Tom Levin, etc.) peuvent suggérer le contraire. C'est ce qui le distingue absolument des entreprises théoriques radicales que l'on trouve chez Godard, Pasolini (Salo) et Syberberg ( cinéaste passionant mais lui aussi ambigu, et qui nous propose de penser le rapport cinéma-théâtre (Brecht) et opéra (Wagner) dans des dispositifs profondément novateurs qui se laisseraient sans doute réactiver dans une configuration théorique et politique différente de celle envisagée par leur auteur.

Il est vraiment temps que je m'arrête. J'ai un très gros rapport ( très) en retard sur le feu...

A bientôt

PS- le générique de la Quinzaine que je découvre par ce lien est effectivement merveilleux

Arnaud a dit…

Euh...
Il y a bien une histoire de pied de cochon et un frère simplet dans les Fioretti ?

Joachim a dit…

Pour tout avouer, mon souvenir des Fioretti est lui-aussi quelque peu parcellaire (le film jouant aussi sur l'effet "épisode") mais il me semble effectivement que ta mémoire sur ce film n'est pas trop prise en défaut.

Pour le générique du ciné-club d'Antenne 2, il a effectivement changé assez souvent mais, tout comme celui de la 3, il est toujours resté fondé sur le principe du "raccord regard".

En ce qui concerne Debord, je ne suis pas un de ses très grands lecteurs et ne connaît finalement de l'IS que ses grandes lignes et images régulièrement citées, mais l'effet qu'In girum... m'a produit relève plus simplement de la pure émotion cinématographique, débarrassée de tout appareillage théorique (même si on ne peut aujourd'hui s'empêcher d'y voir la matrice des "Histoire(s) du cinéma" de Godard). C'est le simple bonheur de se trouver face à la confession mélancolique d'un "enfant de Paris et de la contestation" et de voir condensé sur la simple longueur d'un film le parcours intellectuel de toute une vie. Ce n'est pas si fréquent au cinéma...

Arnaud a dit…

Ouf...
Je suis très soulagé pour ce qui concerne la vision des Fioretti.
Mais, en fait, je me suis aperçu après quelques recherches qu'il existait un très grand nombre de versions de ces génériques de ciné clubs, dont l'une fort belle d'ailleurs montre le tournage d'une scène des Contrebandiers de Moonfleet. Je pense donc qu'il existe non pas deux ou trois versions de ces enchaînements de visages et de regards mais un nombre infini de variations sur ce principe. Dans ces conditions, il est impossible que la combinaison que j'ai décrite n'existe pas. De même qu'il est nécessaire qu'elle apparaisse un jour sur une page web.

http://fr.truveo.com/Cinéma-de-Minuit-FR3/id/3233609766


Avec Debord et l'IS j'entretiens une relation un peu compliquée : c'est le premier corpus théorique que j'ai lu systématiquement, ayant découvert ceux-ci au lycée. Intellectuellement, je ne me reconnais plus du tout dans cette posture critique et avant gardiste. Mais l'imprégnation - et c'était bien sûr de l'ordre de la fascination, quelque chose de même type que le Rock - a été si profonde que je suis toujours troublé quand je tombe sur un texte d'eux. Et c'est vrai qu'In Girum est beau : la mélancolie va bien au style de Debord qui nous ( me ) touche d'autant plus profondément qu'il parle d'un temps qui semble très loin de nous, alors qu'il est tout proche ; il donne comme aucun autre le sentiment de "l'aprés coup", du "trop tard" et de "l'irrévocable". Et puis il y a cette idée d'un cinéma "qui aurait pu être examen théorique, essais, mémoires". Le problème, c'est ce qui suit. Et là commencent les malentendus.

Je pense qu'une des clés d'In Girum se trouve du côté d' Hiroshima mon amour, qui est à ma connaissance le seul film "moderne" que Debord et ses amis n'aient pas vomi et où ils ont voulu voir "le dernier film", celui qui scelle " l'irruption du négatif dans le cinéma". Quelque chose comme l'équivalent des Illuminations de Rimbaud et du carré blanc de Malévitch. Ce qu'ils ont goûté là, c'est la dissociation du texte et de l'image, la confrontation de l'histoire au drame personnel, et le bouleversement des repères temporels ( la linéarité) qui sont la marque habituelle des fictions "vulgaires, asservies à l'ordre du divertissement spectaculaire, etc.". Je crois vraiment qu'il a trouvé là un modèle d'expression à la première personne qui convenait bien à son égotisme : pas de fiction, possibilités de collage de documents très divers, voire franchement extérieurs à ce qui se joue dans le texte.

Godard fait partie de ces lacunes que je comblerai un jour. Mais j'ai souvent du mal : l'exposition... A ce jour, le seul film décisif - compris, aimé, admiré - c'est Pierrot le fou. Mais le Mépris, Alphaville, Bande à part, Nouvelle vague figurent en bonne place sur la liste des films à voir ( ou revoir) toute affaire cessante. Ils ont quand même reculé d'une place après la découverte du générique des Oiseaux.