vendredi 14 mars 2008

L'esprit de la ruche

  • « La structure même du Technocentre est assez flippante. Au milieu du bâtiment, il y a un énorme open space: la ruche. En fait, de tous les endroits du centre, on peut voir les gens qui font une pause pour prendre un café. Donc, comme l’ambiance est assez délétère, personne n’ose y aller, et ceux qui le font le traversent en courant. »

Un salarié anonyme de Renault – « Au technocentre, tout le monde est sous pression » Interview dans Libération du 13 mars 2008

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Après requête Google images, il apparaît effectivement une étrange similitude entre l’espace de « la ruche » Renault…


… et celui-ci, qui n’est autre que….


… la prison Presidio Modelo à Cuba, construite sur le modèle du panoptique, dont, wikipedia dixit, le principe est de permettre à un individu d'observer tous les prisonniers sans que ceux-ci ne puissent savoir s'ils sont observés, créant ainsi un « sentiment d'omniscience invisible » chez les détenus. Méthode de surveillance économe qui ne demandait apparemment qu’à être appliquée dans le domaine du management.

Se manifeste là une certaine impasse de l’architecture moderne, génialement stigmatisée dans cette séquence de….

Playtime (Jacques Tati 1967)…

... où s’il s’agit d’ouvrir au maximum l’espace, c’est pour mieux y cloisonner chacun. Où quand les « open spaces » se transforment en la plus redoutable des prisons, une prison qui, le soir venu, devient même domestique. Au moins, Tati sait s'en amuser.

6 commentaires:

Anonyme a dit…

la prison cubaine me fait penser à celle de Minority Report.

Anonyme a dit…

Voyons, voyons, les open-spaces et autres architectures auto-surveillantes sont de remarquables espaces de productivité dont seuls les tire-au-flanc et les individus de mauvais esprit ont à se plaindre... un peu comme les lois sécuritaires qui ne menacent que ceux qui ont quelque chose à se reprocher...

Sinon, pour poursuivre ton image apicole au delà de l'architecture, il y a chez R. une autre dimension un rien flippante : la banalisation.

Pour ne l'envisager que par le détail de l'organisation : bureaux identiques devant impérativement être rangés de tout papier le soir, octroi d'une seule et modeste armoire pour y stocker ta documentation professionnelle, limitation de facto des objets personnels qu'aucun espace ne peut recevoir, standardisation des ordis (configuration unique, centralisée et évidemment non personnalisable: programmes et données sont hébergés)... Tati le montre mieux que moi... (en 67, il l'invente ?)

Héritage industriel suranné ? perversion de l'organisation ? en tout cas, ils ne sont pas de m'avoir comme abeille...

Joachim a dit…

Vincent
Du mal à me souvenir de la prison de Minority report, mais la plus flippante au cinéma reste pour moi celle de Face off (John Woo).
Frédéric
Merci pour ces détails qui sentent le vécu. Je ne pense pas que Tati sorte tout cela de son imagination en 1967. Il hérite déjà du "burlesque tayloriste" des Temps modernes de Chaplin, mais il a surtout énormément regardé et compris l'architecture "style international", héritière du Seagram Building de Mies van der Rohe (http://fr.wikipedia.org/wiki/Seagram_Building).
C'est sans doute l'un des premiers à avoir manifesté la nécessaire dialectique de l'architecture, dialectique qu'une partie de l'architecture moderne avait tenté d'atténuer. Plus vous mettez de la transparence, plus une autre forme "d'opacité" surgira tel un retour du refoulé. Sorte d'impossibilité de l'espace vraiment "libre", "totalement ouvert" et pure illusion de l'idéologie de la transparence qui induit nécessairement une auto-surveillance latente. Il n'y a qu'à voir les immeubles de bureaux vitrines qui peuvent donner l'idée que n'importe quel piéton peut observer le travail à l'intérieur des bureaux.

Anonyme a dit…

En cherchant une image, je suis tombé sur ce lien qui devrait t'intéresser si tu ne le connais pas déjà : http://courses.arch.hku.hk/ComGraphics/02-03/students/ywlam/dissert/all.htm

Anonyme a dit…

Ah ! les commentaires trop courts chez blogspot grrr. Je te mets le lien sous mon prénom en espérant que ça marche.

Joachim a dit…

Merci Vincent pour le lien. Pas tout lu, mais comme on dit si vulgairement "les images parlent d'elles-mêmes". Néanmoins découvert l'existence de ce "Thnigs to come" dont je n'avais jamais entendu parler.
Néanmoins, dès qu'il s'agit d'aborder ce genre de questions, j'ai l'impression que ce sont toujours les mêmes titres qui reviennent (Metropolis, Blade Runner). On parle beaucoup plus rarement de films qui parviennent à rendre le présent futuriste (La jetée de Chris Marker) ou à transformer une ville moyenne (Odessa en l'occurence) en métropole par le biais d'un "cubisme documentaire" (L'Homme à la caméra de Vertov).
En même temps, les choses ne sont pas si simples car il y a aussi du "documentaire" dans Blade Runner. J'étais ainsi stupéfait d'apprendre que le Bradbury Building (http://www.brmovie.com/Locations/Bradbury_Building.htm)
existait réellement alors que j'étais persuadé qu'il était un pur décor. A noter que c'est aussi un espace qui a fortement influencé Jean Nouvel pour l'Institut du Monde Arabe. D'où encore des passerelles architecture - cinéma et des idées pour de futurs posts.

Sinon, j'en profite pour te féliciter à mon tour pour ton billet sur Ford et celui sur de Mile, je me le réserve pour ce week-end, mais ça promet !