Sans refaire le vaste débat des rapports entre art et cinéma, j'ai l'impression que quand on regarde un film d'Ozu, il se produit un peu le phénomène inverse que celui qui, ces dernières années, a "fait sortir" les films de la salle de cinéma pour les amener au musée.
Avec le maître japonais, le mouvement est, si ce n'est opposé, du moins symétrique. La picturalité et la matière même de la peinture reviennent sur l'écran. On a beau savoir que nous regardons une toile blanche sur laquelle on projette des images, cette surface plane paraît elle-même posséder une texture, une épaisseur qui est celle de la peinture. Le grain de ses films en noir et blanc évoque parfois une pâte un peu épaisse qui serait celle d'une peinture à l'huile malaxée. Alors que les derniers films en couleurs jouent au contraire sur une texture de l'image beaucoup plus plane qui pourrait évoquer l'acrylique du pop art.
Je ne suis pas moi-même un spécialiste d'Ozu (ça me fait un paquet de bonheurs cinématographiques à découvrir), mais je ne me lasse pas de contempler ses pillow shots (plan sans personnages) et d'en chercher ses secrets de composition (cf cette compilation). C'est plus fort que moi. Beaucoup m'évoquent d'autres images de peintres, dont je doute qu'Ozu se soit inspiré mais dont le rapprochement crée de sympathiques résonances.
Juste comme ça, même si ça vous paraît tiré par les cheveux, je vous propose comme associations :
Histoires d'herbes flottantes (Yasujiro Ozu 1934)
Nature morte (Giorgio Morandi 1962)
Points communs : Bouteilles / Fond indistinct / Matité des blancs et des gris / Blanc laiteux / Pâte épaisse...
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Herbes flottantes (Yasujiro Ozu 1959)
L'explication (René Magritte 1952)
Points communs : Bouteilles / Echos de formes / Nature morte sur fond de paysage...
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Bonjour (Yasujiro Ozu 1959)
Nature morte n°24 (Tom Wesselmann 1962)
Points communs : nature morte pop acidulée / empilement / logos et étiquettes / objets de consommation...
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Voilà pour quelques plans sans personnages. Après, j'ai trouvé un autre féru de rapprochements qui extrapole au "body language" et qui étudie les attitudes, les postures, les expressions retenues des visages chez Ozu et Hopper.
Le goût du saké (Yasujiro Ozu 1962) et Hotel Room (Edward Hopper 1931)
Quand bien même, ces rapprochements peuvent parfois paraître hasardeux, ce qui me plaît en eux, c'est qu'ils situent Ozu dans une histoire de la "figuration moderne", consciente des acquis de l'abstraction mais qui reste sciemment dans l'étude du motif. Et il me plaît de l'imaginer conversant, même de manière totalement transversale et détournée avec ces malaxeurs mélancoliques de l'image qui ont pour nom Morandi, Magritte ou Hopper.
1 commentaire:
Peu importent les amalgames, pour hasardeux qu'ils soient, si un sens est créé et établi un lien entre deux mondes qui auraient pu se croiser si ce n'avait été une question de circonstances. Vos rapprochements semblent aller de soi et c'est ce qu'on en attend, non ? Ozu et Morandi, grands maîtres d'un art silencieux, d'une oeuvre de la réserve, l'effet de miroir est évident. Moins pour un Hopper qui égarait ses personnages sur des sentes entre tragédie et mélancolie qu'Ozu évite d'emprunter. l'abattement est prégnant chez le personnage de Hopper quand on devine plus une sorte de fatalité chez celui d'Ozu. Mais, une fois encore, les deux oeuvres sont belles et marquantes, véhiculent toutes deux une grande humanité, donc justifient le fil que vous tendez entre leurs univers.
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