Un pianiste de saloon rêve de donner un jour, un concert, un vrai où il pourra jouer du Schubert, du Liszt, du Chopin et pas des rengaines pour couvrir les bruits de bagarre. Enfin, un jour, il postule à l’auditorium le plus proche et il décroche une date. Le jour venu, en entrant en scène, il est tellement tétanisé par le silence et le cérémonial que ses doigts se figent au moment de se poser sur le clavier. Alors, son ami (Lucky Luke), observant la scène en coulisses, saute sur son fidèle Jolly Jumper, déboule à l’orchestre, met le bazar dans cette ambiance compassée. Dans ce chaos de bagarres et de cris, le pianiste retrouve la spontanéité qui est la sienne et coulent de ses doigts les partitions qu’il rêvait de jouer depuis si longtemps. Seulement, personne n’a écouté. Le concert a-t-il eu lieu ? Pour les spectateurs, sans doute pas. Pour le pianiste, oui mais peut-être seulement dans sa tête.
J’adore réellement cette histoire, Sonate en colt majeur, qui figure dans un album de sept petites histoires de Lucky Luke paru en 1974. Enfin, quand je dis que je l’adore, j’adore surtout le sentiment que j’ai éprouvé en la lisant du haut de mes huit ans, car ce devait être la première fois que je devais être confrontée à la morale d’une histoire ni gaie, ni triste, un peu entre les deux, juste d’un joyeux désenchantement. Je ne sais pas pourquoi mais ce sentiment joyeux et triste à la fois m’est revenu en découvrant HabemusPapam de Nanni Moretti. Mais la conjonction entre Lucky Luke et Moretti, c’est aussi de mettre en scène et d’explorer la frontière ténue entre la concrétisation d’un rêve et l’acceptation de son renoncement, lisière qu’arpente également le Moretti.
De ce film, on pouvait tout attendre : charge satirique sur l’Eglise et les arcanes de l’élection papale, confrontation intellectuelle et verbeuse entre psychanalyse et religion, âme et inconscient (voire une déclinaison mystico-comique du Discours d’un Roi ?). Et sa grande force, c’est de jouer, de prime abord, sur ces différents tableaux mais de manière fine et allusive (et franchement hilarante) pour mieux se concentrer sur son véritable cœur : un démontage malicieux et espiègle de l’illusion et de la croyance, artifices nécessaires contre le désarroi. L’art de Moretti, ce n’est ni plus ni moins que celui de la fantaisie baroque (remplie de surprises, de bifurcations et de fantaisie), jouée ici sur un mode musical, voire sautillant qui allie la sobre gravité d’Oliveira à la fantaisie d’Iosseliani. En témoigne aussi la discrète assurance scénographique de l'ensemble qui éclate dans de splendides scènes dans et sur le théâtre qui entremêlent interrogations sur la vocation d'une vie et délires d'acteurs fous .
Bon, alors, Habemus Palma ? On va voir, mais dans les films de l’Officielle, voilà au moins celui qui a réellement lancé le festival, tout habité par un esprit pas si éloigné de celui d’un certain Saint qui parlait aux oiseaux.
Moretti, héritier de Pasolini ? Après le pèlerinage hommage sur la tombe de PPP à Ostie dans Journal Intime, il y a indéniablement quelque chose d'Uccellacci et Uccellini dans Habemus Papam.
Une belle musicalité qui, à elle seule, fait tenir tout un film, on la retrouve aussi dans La guerre est déclarée de Valérie Donzelli. Maintenant qu’un certain bruit entoure le film, il est peut-être inutile de rappeler le pitch auto-fictionnel (la lutte d’un jeune couple contre le cancer de leur –très jeune- enfant), mais il faut peut-être préciser que si le film gagne la partie, il le doit, entre autres, aux splendides scènes de fête qui l’ouvrent (enfin presque) et le clôturent (enfin presque, là aussi), et dont les ambiances et la somme de micro-évènements qui en constituent la sève et la dynamique sont particulièrement bien rendues.
Première fête : un regard complice, une rencontre, et sous ses auspices du coup de foudre, prélude à un film qui, placé sous le signe de l'élan amoureux, démarre au quart de tour. Dernière fête : ambiance enjouée mais plus fatiguée, « open kisses », baisers volés et envolés, et surtout une dernière chanson fredonnée entre pleurs et sourires, celle-là :
Ce qui est si beau, c’est la façon dont les sentiments qui alimentent ces deux scènes, mixent éphémère et gravité, futilité et permanence. Car autant que l’épreuve d’un couple face à la maladie, le prix de « La guerre est déclarée » est de rendre palpable toute l’histoire sentimentale d’un couple, du coup de foudre originel au passage à un autre état relationnel issu d'une épreuve commune, et qui sorte des schémas binaires: ni "plus fort face à l'injustice", ni "dévasté par le tourbillon" mais une relation nouvelle, solidaire et complice, mais toujours indécise et funambule. Une relation qui se dessine bien mieux par l'écume des chansons, des rires, des blagues et des engueulades que par de la petite psychologie appliquée."L'amour est à réinventer" disait le poète. "Vive l'amour ! " répondait le cinéaste. Deux impératifs que les petites touches graves et joyeuses de Donzelli paraissent constamment garder en tête, pour mieux proposer son propre romanesque du quotidien.
4 commentaires:
Eh bien, ça valait le coup d'être patient :) Sérieusement, ça fait plaisir de pouvoir te relire ici.
J'ai le sentiment que cette édition du festival de Cannes était de bonne tenue : qu'en est-il de "l'intérieur"?
PS : Pas envie de réapparaître sur Twitter dans la foulée?
L’ombre du pianiste rêve. Un nocturne est un silence à la John Cage. Toute une cérémonie autour de l’orchestre est observée. Balthazar n’esquisse aucun sourire. Dans ce KO, le pianiste éponge sa partition. Figurez-vous qu’il existe un album fait à la hâte pour une sonate au clair de lune. Ma foi est décrochée et le clavier n’est fait que de touches noires. Je déchante en regardant la mise en scène du renoncement. La pente du satyre se décline à l’infini. Et sa force, c’est de se concentrer sur la peinture désarmante. L’accent alangui et larmoyant est démonté sur un mode musicale dorien. La scénographie de l’absurde mêle un ton sanctifié à une vocation officieuse. Les Goths acclament sur scène les sentiments d’imperator.
Cher Doc.
Merci pour cette attention.
Concernant rapidement le Festival, démarrage poussif avec des films assez lourds et antipathiques (Sleeping beauty, We need to talk about Kevin), mais impression plutôt bonne au final. Pour ma part, trois dans la compétition se détachent: Moretti, Malick et Cavalier, peut-être le seul vraiment surprenant, sur lequel j'ai vraiment envie d'écrire. Ensuite, Almodovar, Bonello, Kaurismaki, Hazanavicius, plutôt dans le haut de leurs filmos respectives, même s'il leur manque à chacun un petit quelque chose pour être pleinement convaincu. Pour rester chez les auteurs consacrés, bien aimé aussi les derniers Dumont et Gus van Sant même si l'impression à leur égard est assez étrange. Deux films qui paraissent parfois à la limite de l'auto-plagiat, mais convainquent finalement en produisant des oeuvres plus "détendues", plus déliées que ce qu'on peut en craindre, manière de donner de l'air à des cinéastes pris dans leurs propres "systèmes".
Et cher tenu2DicSion
Pas tout compris à votre note, mais au moins content d'avoir suscité votre lyrisme.
Et sinon re-cher Doc
Twitter, je ne sais pas. Peut-être un jour, mais j'apprécie davantage la convivialité de facebook, territoire (virtuel) que vous n'avez pas encore foulé, si je ne m'abuse... ;-)
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