On peut tout de même se demander si en matière de mort symbolique de l’architecture moderne, le coup de grâce n’avait pas été porté deux ans auparavant avec le fameux épilogue de Zabriskie Point (Michelangelo Antonioni 1970). Rappelons que cette suite d’explosions filmées au ralenti, cette jouissive télépathie de destruction, ce pink-floydesque « détruire dit-elle » prend pour première cible une canonique « villa d’architecte ».
En réponse à cet extrait si fameux, j’ai découvert le travail d’une jeune agence Freaks architectes, qui intègre aussi (et avec pas mal d’humour) la vidéo dans son activité de recherche et de conception. Leur petit opus Faster than China se révèle d’une efficacité redoutable pour proposer une politique de reconstruction rapide et de résurrection de l’architecture bétonnée. Il me semble avoir déjà vu ce principe de « lecture inversée » dans une vidéo de Bill Viola (où des plongeurs paraissent décoller comme des fusées), mais au-delà de la potacherie du procédé (remettre d’aplomb les bâtiments qui s’effondrent), je vois poindre derrière cette vidéo une critique de ces dynamitages systématiques, qui s’ils offrent des moments cinégéniques, perpétuent l’idéologie de la tabula rasa et empêchent, en imposant un nouveau départ à zéro, toute sédimentation (historique comme mémorielle) de faire son œuvre.
Quoi qu’il en soit, je ne peux que vous conseiller de cliquer ici pour voir la juxtaposition Antonioni / Freaks Architectes.
Et dans ce perpétuel fracas destruction/reconstruction, je sens finalement que l’architecture moderne, dans ses réalisations les plus nobles (les villas) comme dans les moins désirées (les barres HLM) évolue suivant les oscillations du phénix: condamnée à renaître des cendres de ses échecs.
8 commentaires:
Passionnant article comme d'habitude. J'aime beaucoup la juxtaposition Zabriskie Point / Freak Architects. J'ai toutefois 2 questions :
- "[les dynamitages] perpétuent l’idéologie de la tabula rasa" : la construction de ces barres ne se basaient-elles déjà pas sur une idéologie de tabula rasa ? Que sont devenues les constructions (si il y en avait) sur lesquelles ont été élevées ces barres ?
- Dans ta dernière phrase, tu opposes les villes ("nobles") aux barres HLM ("les moins désirées"). Je ne comprends pas cette opposition, ou plutôt j'ai peur de la comprendre. Les barres HLM sont-elles pour toi distinctes des villes ? N'est-ce pas un constat d'échec de réaliser qu'une barre HLM ne peut s'intégrer dans une ville ? Dans l'idée de départ, un ensemble de barres HLM n'était-il pas censé constituer une ville ?
Merci cher Marivaudage
J'ai bien relu la fin de mon article et je parlais de "villAs" et non de "villEs".
En fait, c'est un peu de la schizophrénie de l'histoire de l'architecture moderne qui se joue là, puisqu'en général, les villas (années 20,30) étaient pleines de petites attentions liées à la façon d'habiter, attention (ou douceur) qui s'est ensuite volatilisée quand l'architecture moderne a essayé de penser le logement de masse. Avec l'unité d'habitation à Marseille, Le Corbusier est tout de même plus ou moins arrivé à standardiser et à industrialiser ce qu'il avait expérimenté dans les villas de ses années 20, mais il est plutôt une exception.
Pour aller très vite (puisqu'on trouvera toujours des exceptions, des nuances et des contre-exemples) le problème des cités HLM et leur enclavement, leur manque de continuité avec le reste de la ville, étant donné que pour la plupart elles ont souvent été construites, au sortir de la guerre, sur des terrains peu denses, pas toujours urbanisés, voire parfois agricoles. De fait, elles ont installé un autre rapport de densité et de voisinage à une urbanisation plus classique, et où le temps historique a pu faire son ouvrage.
C'est là où l'on arrive au second problème induit par ces destructions spectaculaires et violentes : la nécessité de repartir, une nouvelle fois, à zéro sans "profiter" de ce qui est déjà là, même si ce "déjà-là" est loin d'être terrible. Il peut toujours être une première base pour repenser de nouvelles affectations. Il est vrai que la France (contrairement à Berlin, par exemple) n'a pas tellement la culture du détournement, du squatt, du réinvestissement de bâtiments pour les affecter à de nouvelles destinations.
Je te renvoie à cet article qui explique peut-être plus clairement ce point de vue :
http://bit.ly/cRIN6O
Ah oui dis donc, tu as tout à fait raison, tu as bien écrit "villas" et non "villes". Hum, par conséquent, mon commentaire que je voulais incisif devient nul et non avenu ! Comme quoi, on ne lit que ce qu'on souhaite lire. C'est instructif.
Merci néanmoins d'avoir pris le temps de me répondre et de m'indiquer ce lien. Je vais essayer de continuer à m'instruire et de répondre de manière un peu plus prudente maintenant ...
You're welcome...
Bon, on attend impatiemment tes C/R d'Locarno :)
Ca vient... (et garantis avec 0% d'éloges d'Honoré et Le Besco)...
Je ne découvre ton billet que tardivement, mais le hasard des visionnages m'a fait voir Faster than China quelques jours seulement après Novaya Moskva (La Nouvelle Moscou) d'Alexandre Medvedkine où l'on voit — vers 2:10 sur cet extrait — que le "truc" de l'effondrement inversé ne date vraiment pas d'hier ! Le "Reconstructivisme", n-ième avant-garde furtive tombée dans les poubelles de l'histoire ?
Merci cher fantôme pour ce lien éloquent. Je ne connaissais pas ce film de Medvedkine (dont je ne confesse n'avoir vu que son titre le plus fameux Le Bonheur), et qui me paraît aussi être aussi bien imprégné de constructivisme que de futurisme ou des "perspectives métaphysiques à la Chirico". Peut-être un film point de jonction entre plusieurs avant-gardes ?
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