dimanche 22 février 2009

Du bon usage de la mauvaise humeur

Sortis la même année (1985), avec des stars nationales aux génériques (Johnny à ma gauche, Gérard à ma droite) et des producteurs importants à la supervision (Sarde pour l'un, Toscan pour l'autre), Police (Maurice Pialat) et Détective (Jean-Luc Godard) sont souvent présentés comme deux fims "faux jumeaux", se challengeant réciproquement sur le terrain du "polar à la française revisité par un auteur irréductible", affiche réhaussée par la supposée jalousie réciproque de chacun de ces deux cinéastes. Comme souvent pour tous les "combats du siècle", pas sûr que le résultat soit à la hauteur. Sur Police, mes souvenirs sont trop flous et je n'ai pas vu Détective. Quoi qu'il en soit, pas l'impression que ces deux titres figurent parmi ceux auxquels on pense immédiatement à propos de leurs auteurs (quoique cette bande-annonce du mérite la postérité).

Il est un autre point commun de ces deux films : le proverbial temps de chien qui semblait y régner sur les plateaux, tel que témoigné par ces deux "makings-of" de l'émission (et désormais somptueux coffret DVD) Cinéma-Cinémas.

Avis de tempête chez Godard :



Crachin persistant chez Pialat (première partie) :


A première vue, mêmes techniciens renvoyés dans leurs cordes (Bruno Nuytten, le chef op chez Godard, la scripte chez Pialat), même irritation de petit chef de service chez les deux réalisateurs ("devrait pas prendre cinq minutes, un plan comme ça normalement"). Mais la même chose, vraiment ? 

Remarquons déjà que les deux séquences, de format à peu près semblables, ne se concentrent pas du tout sur la même durée. Celle de Godard est un plan séquence de voyeur planqué au fond du plateau prenant sur le vif les minutes avant la prise et s'arrête au tout premier "moteur": la prise y apparaît comme une salutaire accalmie (voir le film pour savoir ce que ça vaut Johnny déclamant en ombre chinoise). Au contraire, chez Pialat, le ressassement des prises participe de la tension globale et l'apparent ratage des toutes premières ne fait rien pour améliorer l'ambiance.

Autre précision et non des moindres. Comme indiqué dans cette interview, les images de Godard n'ont pas été tournées (mais simplement "récupérées") par l'équipe de "Cinéma Cinémas" et sont tout de même livrées hors contexte. De fait, l'enguelade entre Godard et Nuytten concerne assez peu le processus du film en train de se tourner. Cette petite "leçon"provocatrice et paradoxale ne reste qu'un moment de cruauté assez gratuit,  surtout un duel assez inéquitable qui oblige le reste de l'équipe à attendre que ça se passe. Vues à l'époque, ce devait être mes premières images de "Godard au travail". Evidemment, ça m'avait impressionné, mais c'est tout. Ces images voudraient-elles faire croire que "le maître a besoin du chaos pour faire naître l'harmonie", mais elles sont une profonde duperie. Assez voisines, en fait dans leur essence, des frasques du Gainsbourg de la même époque : aptes à construire une légende médiatique mais assez peu en rapport avec les oeuvres, sans doute aussi jetées en leurre ou en pâture par des artistes pas dupes de leur propre folklore, et finalement beaucoup plus secrets et moins poseurs qu'ils n'y paraissent dès lors qu'il s'agit d'évoquer leurs réels processus de création.

Après dissipation des brumes matinales (deuxième partie) :


Le "Pialat au travail" paraît d'une autre honnêteté, en tous cas nettement plus tourné vers le film en train de se faire. Il y a pourtant, au départ, le sentiment "qu'on n'y arrivera jamais" et même que tant d'énervement ne génère que de la dispersion, au risque que chaque prise soit moins bonne que la précédente. Et puis, je ne sais pas pourquoi, ni comment, ni à quel moment précisément, j'ai vraiment le sentiment que ce reportage capte une cohésion d'équipe en train de se cristalliser (manifeste dans les très beaux plans, au début de la seconde partie, où Pialat regarde la scène au milieu de la petite mêlée des techniciens). Et puis, simplement aussi, l'incroyable relais que trouve Pialat avec Depardieu, équilibriste de la déconne et de la concentration, devenant surtout "metteur en scène délégué auprès de sa partenaire non professionnelle". Une confiance gagnée pas à pas, contre le courant du labeur fastidieux des répétitions et des "mises en places", c'est au fond réellement ce que transmet ce reportage.

Evidemment périlleux de tirer des généralités sur les films, leurs auteurs et leurs méthodes à partir de témoignages tout de même si partiels (je me souviens de Pialat, Depardieu et Bonnaire le soir de la Palme d'Or sifflée, affirmer au JT d'Antenne 2 : "Gérard et Sandrine pourront vous confirmer que c'est pas du tout comme ça qu'on travaille" suite à une autre incursion de Cinéma Cinémas sur le plateau "satanique") Ces ego-trips ambigus sont-ils le dommage collatéral de la politique des auteurs ? Au final, ne posent-ils pas carrément la question qui tue : "le cinéma est-il un sport individuel ou collectif" ? Tentant de reprendre Godard sur le terrain de la métaphore sportive, dont il est si friand.

A trop la jouer perso, Godard s'enferre dans un ping-pong verbal tout de même vain (ce qui n'empêcherait absolument pas la séquence et partant le film d'avoir ses qualités) tandis que Pialat construit la cohésion d'une équipe. Détective, le lonesome cow-boy, versus Police, les hommes derrière le sale boulot de la machine administrative.  Tout n'était-il pas déjà inscrit dans les titres ?

4 commentaires:

Anonyme a dit…

Belle analyse. J'en sais peut-être encore moins que toi sur ces deux cinéastes au travail, mais il me semble partager ton sentiment.
Souvenirs vagues pour moi aussi par rapport à Police et Détective. Je ne me rappellais pas vraiment d'une opposition aussi marquée au moment de leur sortie. Vus plus tard, les deux m'avez plutôt déçu, enfin surtout le Godard. Ce ne sont effectivement pas des titres qu'on met en avant quand on parle des deux hommes. Peut-être que Police ne fait "pas assez Pialat" et Détective "fait trop Godard".

Anonyme a dit…

J'aime également beaucoup ton rapprochement entre les deux films et entre les méthodes des deux cinéastes. En revanche, je suis plus bienveillant que vous deux pour ces deux œuvres atypiques. Le Pialat, je l'avais beaucoup aimé mais mon souvenir est aussi flou que le tien. Quant au Godard, je trouve que ce ballet d'ombres et de fantômes dans les couloirs d'un grand hôtel est très émouvant et parfaitement tenu. Je suis assez fan!

Anonyme a dit…

Très bel exercice de cinémas comparés avec ce très subtil aller-retour entre le film et le film du film (qui culmine dans l'interprétation sans doute partielle mais très bien vue des titres à la toute fin). Et, à propos pourquoi pas un commentaire sur ces films au carré ; ces films de film que sont la nuit américaine, le mépris, hollywood ending (je pense que c'est celui-là qui parle d'un tournage mais peut-être que je me trompe), sur une autre plan le récent bal des actrices que je n'ai pas vu et plein d'autres que j'oublie ou que je ne connais pas. Mais je ne sais pas si le sujet t'inspire.

Joachim a dit…

Chers Doc et Ed
Comme je l'ai déjà dit, mon avis sur les films est bien partiel et concerne plutôt leur réputation, leur renommée dans les filmos respectives de leurs auteurs, que leur valeur propre, ce qui est, j'en conviens, assez limite. J'avais aussi aimé le Pialat, je crois le premier que j'ai vu. Et le Godard continue à m'intriguer, peut-être aussi parce qu'il est vraiment très, très difficile à voir (pas de DVD à ma connaissance, et jamais présent dans les différentes rétros).

Cher anonyme
J'irais même jusqu'à dire que le "film dans le film" est le film préféré des cinéastes, tant le dispositif, genre, exercice de style (rayer la mention inutile) permet de combiner la fiction et sa déconstruction (Truffaut a toujours assumé sans complexe l'intrigue à l'eau de rose du "faux film" de La nuit américaine, comme un artifice qui révélerait la vérité des sentiments des acteurs et de l'équipe de tournage) et permet à l'auteur de "s'interroger sur son art". Parfaitement au point avec les titres que vous citez (pas vu Le bal des actrices, mais je crains qu'il ne dépasse pas le simple illustration jouant sur une vague auto-dérision). Cela dit, l'exercice a aussi ses limites. Je me souviens qu'Intervista de Fellini (1987) virait parfois à l'auto-pastiche nostalgique assez complaisant, voire caricatural. Spontanément, les deux exemples les plus forts qui me viennent à l'esprit sont deux films de Kiarostami "Close-up" et "Au travers des oliviers". Il y a là une complexité, des jeux de miroirs, de l'interrogation sur l'intrusion du cinéma dans une famille, un village voire une société, tout cela rehaussé d'un esprit retors, qui en font parmi les fictions les plus vertigineuses vues au cinéma. Si ce n'est pas déjà fait et si la question de la mise en abyme cinématographique vous intéresse, c'est à voir...