Quand la musique s’arrête, la vie s’arrête. A cet implacable théorème distillé par ce morceau de bravoure hitchcockien, on peut tendre en miroir une autre séquence plus souriante, ponctuée là aussi par les percussions de l'orchestre :
Il était une fois un merle chanteur (Otar Iosseliani 1970)
Chez Hitchcock, la grande forme : la symphonie comme marqueur du suspense….. Chez Iosseliani, l’ampleur orchestrale survient par la mixité de formes musicales plus modestes (la symphonie naît de l’imbrication des sonates et des impromptus), formes musicales où la discipline du groupe aura été précédée de l’échappée individuelle du soliste. Tous les deux s ‘attachent à la figure du percussionniste comme anti-virtuose (on n’est jamais allé à l’orchestre pour entendre un solo de tambours ou de percussions), mais là où le cymbalier d’Hitchcock n’est qu’une pièce consciencieuse de la mécanique de l’ensemble, celui d’Iosseliani est un fugueur qui manque de sécher ses obligations professionnelles. Celui d’Hitchcock est un employé modèle. Celui d’Iosseliani plus qu’un dilettante. Mais c’est précisément son goût du risque et de la flânerie, son appétence à vivre non pas « en musique » mais « dans la musique » qui l’empêche de transformer son métier en routine. Arriver juste à temps pour effectuer son roulement, c’est peut-être le meilleur sort à faire pour les quelques notes de sa partition qui n’auront jamais pris autant de valeur.
Chez Hitchcock, il est des notes de musique comme des heures chez les Romains : Vulnerant omnes, ultima necat (toutes blessent, la dernière tue). Vivre, serait-ce repousser la dernière note ?
Chez Iosseliani, point de destin comme partition écrite à l’avance, mais une constante réinvention du moment. Les notes de musique sont comme les instants de grâce : d’autant plus belles qu’elles risquent ne pas avoir été jouées. Il faut un rien pour que les moments de grâce s’évanouissent, pour que la musique parte de travers. Et cette somme de petits riens, le film d’Iosseliani l’esquive constamment. Chez Hitchcock, la note tue. Chez Iosseliani, vivre, c’est partir à la quête de la note juste…
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Et puis l'art de la ronde et de la charade chez Iosseliani comme cette façon de privilégier le sans-grade de l'orchestre me rappelle ce célébrissime dessin de Sempé où lors des applaudissements, le chef d'orchestre salue le pianiste qui salue le premier violon qui salue ses accompagnateurs et ainsi de suite jusqu'au triangle, sommet de cette pyramide inversée. De l'art de renverser (en douceur) les hiérarchies.
2 commentaires:
Pour refaire le match :
http://ouvalecinema.centrepompidou.fr/?p=65
Merci cher modérateur de stances. En ce qui me concerne, le match a été joué, la messe me parait avoir été dite et je sais enfin où va ce foutu cinéma : là où j'ai décidé de le trouver... Cela dit, je rajouterais peut-être quelques petites choses sur le sujet, dans les prochains jours... Et puis, j'irai avec plaisir écouter aux tables voisines (celle sur réel et fiction, le retour de la question me paraissait la plus prometteuse, mais je vois qu'elle n'est pas encore en ligne...)
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