mardi 23 décembre 2008

2008, année des découvertes

Les films les plus marquants vus cette année ne portent pas le millésime 08. Plus troublant, ils éclairent même d'une autre lumière certains titres 2008.

Ainsi, en 2008, comme beaucoup, j'ai vu et aimé Two lovers, mais le vrai, le pur, le seul mélodrame amoureux, c'est La source thermale d'Akitsu (Kiju Yoshida 1962).
Grand film sur le serment amoureux vécu comme une contagion, le drame de Yoshida restera le plus intense et passionnel moment ciné de l'année. 
Comme le film de Gray, il tire sa force d'une certaine conjugaison de genres et de sensations contradictoires : la douceur de l'élégie (rarement vu la nature filmée avec autant d'éclat et d'incandescence) n'empêche pas de faire sourdre la puissance sismique du ravage sentimental. D'où une sorte de pièce poétique inédite: l'élégie tellurique. Et au-delà de la puissance d'incarnation, d'inoubliables et entêtants motifs picturaux : des changements de saison filmés comme de fascinants sortilèges plastiques ; l'insistance sur les figures de la grille (qui sépare et diffracte l'image des amants) et des fondus (qui au contraire, les rapproche tout en les diluant). Idée pour un prochain TP, une fois qu'on aura remis la main sur le DVD : résumer le film en cinq captures de fondus (tous plus beaux les uns que les autres ) et qui paraissent dessiner un territoire mental : les limbes des amants où plutôt le refuge que ceux qui se savent par avance condamnés, construisent par communion d'esprits.

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Ainsi, en 2008, comme certains, j'ai vu et aimé Darjeeling limited, mais le vrai, le pur, le seul divertissement mélancolique haut de gamme, stylé jusque dans le port de ses costumes et les coutures de ses malles de voyage, c'est Paper moon (Peter Bogdanovich 1973). 

Proximité tant de style que de thématiques (la filiation contrariée, le voyage initiatico-psychanalytique). En fait d'éloge détaillé, pas grand-chose à rajouter à celui-là. Et pour apporter de l'eau au moulin du voisinage des deux cinéastes, signalons simplement la bonne place du film de Bogdanovich (grand succès à l'époque de sa sortie, totalement oublié depuis) dans ce classement improbable et surtout ce dialogue entre pair et fils.

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Ainsi, en 2008, comme ceux appartenant à la confrérie, j'ai vu et aimé En avant jeunesse ! mais le vrai, le pur, le seul film sur la jeunesse qu'on ne parvient pas à arrêter, c'est Rysopis - signe particulier néant (Jerzy Skolimowski 1964). 

Film de fin d'études, mais plutôt étude de la jeunesse aussi bien comme sujet que comme objet. Plus que de livrer un autoportait bouillonnant, Skolimowski prend à bras le corps les contrariétés de son époque et de son pays pour faire véritablement de son présent, table rase.

Si Skolimowski ne se sent nulle part à sa place, c'est l'espace autour de lui qui s'en trouvera chamboulé. Virtuose dans son jeu sur la diffraction de l'espace (toujours trop restreints ou mal proportionnés, toujours animé de mouvements contradictoires), le film fait feu de tout bois et scénographies de chaque séquence, presque de chaque instant. Au bout du compte, l'impression de transformer l'impatience en carburant vital ou tout du moins en implacable mécanisme de survie contre l'oppression et l'ennui. Elan créatif qui se poursuivra de la plus belle des manières dans son film jumeau suivant: Walkower (1965), film chéri ici et chroniqué au tout début de ce blog.

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Enfin, comme beaucoup de ploucs cannois, en 2008, je n'ai pas eu envie de franchir La frontière de l'aube, mais le seul, le vrai, le pur film de Garrel où il jette magnifiquement du vinaigre sur ses plaies si soigneusement cultivées, c'est Elle a passé tant d'heures sous les sunlights (1985), vu quelques semaines auparavant.

"Plus embouti qu'abouti" (je ne sais pas de qui est la formule, mais je l'adore), ce Garrel qui mime le démoulage de rushs laisse entrevoir une passionnante réinvention de soi-même et de l'écriture filmique à la première personne. Film qui trouve son contraste et son intensité dans une suite de gammes filmées forcément inégales mais où la musicalité dissonante et la friction des moments entre eux apportent finalement un étrange apaisement, plus fort en tout cas qu'une illusoire harmonie. Rien n'est simple ni affectivement, ni professionnellement dans la vie de Garrel qu'il transpose à l'écran, mais ce qu'il en ressort, malgré tout, c'est un besoin vital d'expérimenter et de renouer avec l'innocence du regard avec finalement sa plus fidèle amie : sa caméra.   

Et puis, rendons grâce à ce film d'être l'un des rares (si ce n'est le seul) à avoir filmé le plus moderne et le plus secret (moderne et secret, deux adjectifs qui vont bien à Garrel) des monuments parisiens : le Mémorial des martyrs de la déportation (Georges-Henri Pingusson architecte 1962) ...

.... visité au cours d'une assez bouleversante séquence déjà évoquée lors d'un précédent post.

3 commentaires:

Anonyme a dit…

Akitsu, je ne te suis pas. Ton commentaire est touchant, mais il parle d'un film fantasmé, où Yoshida ne se regarderait pas écrire les grandes lignes de la nouvelle vague à coups de tics occidentaux, de symphonies en grandes pompes et d'acteurs mal dirigés. Le film est infect mais comme j'aurais aimé voir le même que toi.

Anonyme a dit…

Contrairement à Robert, je suis totalement Joachim pour "Akitsu", l'une de mes plus belles découvertes de l'année, un mélodrame sublime et totalement bouleversant.

Joachim a dit…

Cher Doc, merci de me venir en aide.
Et cher Robert, je ne veux pas vous faire changer d'avis mais je me demande effectivement si nous avons vu le même film, tellement certains mots m'étonnent. Si j'ai aimé Akitsu, c'est aussi parce que l'ayant vu après "Eros + masacre", il a déjoué mes attentes. Je n'y ai guère vu de signes ostensibles de la modernité (ce qu'à l'extrême, mais vraiment très extrême limite on pourrait pointer dans "Eros...") ou de "tics occidentaux de la nouvelle vague" mais au contraire une oeuvre puissamment classique, le plaisir d'une grande et belle oeuvre racontée et incarnée au premier degré. Et se laisser prendre par un tel plaisir du récit, c'est aussi ça qui fait du bien.
Quant à votre qualificatif d'infect, là, je ne comprends pas. Qu'est-ce qui vous répugne à ce point dans le film ? L'absolutisme de ses sentiments ? Son évocation du suicide comme pacte amoureux ? Là aussi, c'est oublier la part intrinsèquement sombre du romantisme, part que le film explore de la plus intense des manières.