mercredi 5 décembre 2007

Qu’elle était verte ma banlieue !

Vu ce week-end à la Cinémathèque, le fleuron d’un sous-sous genre des sixties : le « film de blousons noirs » (aux USA, ce sont les films avec Elvis, en France, plutôt des documentaires) : Les Cœurs Verts (Edouard Luntz 1966). Un film qui m’en évoque beaucoup d’autres, mais pas les « films de banlieue » (De bruit et de fureur, Jean-Claude Brisseau 1989 ; La Haine, Mathieu Kassovitz 1995; Ma 6-T va crack-er, Jean-François Richet 1997) alors que certains prétendent qu’il en serait l’ancêtre.
Pour donner une idée de ce film inconnu réalisé par un cinéaste inconnu (en tout cas pour moi), tentative de description en forme de recette de cuisine : le trois-tiers cinématographique (à défaut du quatre-quarts).

- Un tiers de déambulations à la Rozier et Eustache du début (tendance Nouvelle Vague désinvolte). Dans un Paris que les « blousons noirs » voient, en sortant de la Santé, pour la première fois de jour puisqu’ils n’y allaient que la nuit. Des bouts de dialogue qu’on n’entend plus aujourd’hui. « c’est bath », « ça biche », « v’la les snobs de Neuilly », « y’a de l’embauche ?». Des acteurs sans doute proches de leurs rôles, mais manifestement intimidés par la caméra, ce qui donne un mélange de recherche de justesse et de théâtralité sans doute pas tout à fait voulue.

- Un tiers de description naturaliste et de tentative d’oratorio filmé sur la tristesse suburbaine (tendance L’Amour existe Maurice Pialat 1960). Un film qui enregistre la banlieue toute neuve sortir de terre ne peut pas être mauvais. En plus, on a droit au chantier du CNIT et aux débuts de la Défense qui apparaît plus que jamais comme une maquette posée sur la ligne d’horizon des terrains vagues et de la zone de Nanterre.
La part la plus précieusement documentaire du film se situe toujours dans les arrière-plans, au détour de séquences parfois convenues. Ce qui paraissait banal à l’époque se révèle étonnant aujourd’hui et parfois inversement. Ainsi, dans les trente glorieuses, on pouvait travailler sur un chantier en santiags et sans casque, manier des fers à béton sans gants et monter sur des toitures glissantes sans harnais. Mais que faisait l’inspection du travail ? Et puis au-delà du discours social attendu, au détour d’un plan, un parallèle spatial qui en dit long : quand le héros en liberté conditionnelle retrouve sa piaule à peine plus salubre et confortable que sa cellule de la Santé (mais au moins il y est tout seul).

- Et puis, un tiers de « comment tromper l’ennui » à base de poses à la Mods (Serge Bozon 2002). Mais à cette époque, il paraissait courant dans les grands ensembles flambant neuf de passer son après-midi le dos collé à un mur de brique ou à s’asseoir perché sur le haut des échafaudages comme les oiseaux sur les lignes à haute tension. D’où une quantité de plans statiques réglés comme des pochettes de 45 tours ou des dispositions de scopitones. Rappelons que le grand Serge est le compositeur de la BO composée d'impros jazzy et de l'instrumental de "Je t'aime moi non plus", invitation idéale pour danser le slove. A noter que la chanson étant datée de 1967 et le film de 1966, cela voudrait donc dire que les paroles ont mis un an à venir. Sujet d'étude pour les gainsbourologues.Et puis une séquence d’intrusion de nuit dans une piscine qui ressemble furieusement à celle de Kids (Larry Clark 1995) comme quoi, les moyens pour moins s’emmerder persistent d’une époque à l’autre. Comme quoi, toutes les modes se démodent, sauf celle du désœuvrement.
Peu importe si, au bout du compte, le tout est inférieur à la somme de ses parties, Les Cœurs verts paraissant justement bien porter la couleur de leur titre : pas aussi mûr et abouti que les références qu’il évoque (en tout cas chez moi), mais néanmoins attachant. Un film qui procure d’agréables impressions, mais pas celles escomptées : juste un charme au lieu d’un coup de poing, paradoxe d’un film sans doute perçu d’une incroyable justesse au moment de sa sortie alors qu’aujourd’hui, il paraît juste d’une plaisante artificialité.

3 commentaires:

Anonyme a dit…

C'est un plaisir de lire cette note sur un film que j'avais adoré, il y a de cela une bonne quinzaine d'année. J'en ai cependant très peu de souvenirs. Je crois qu'il m'avait semblé très original, que c'était un vrai film "rock" (au sens de "Mauvais sang" par exemple, soit un film qui retrouve le rythme, les sensations, de nos morceaux préférés). Je ne dirai peut-être pas la même chose en le revoyant aujourd'hui, mais je n'y avais pas vu de pose, au contraire du terrifiant "Mods" que tu cites par ailleurs.

Joachim a dit…

En fait, je crois que c'est plus un film "yé-yé" que rock. Un charmant succédanné. Il reste tout de même assez loin de la nervosité romantique de "Mauvais Sang", usant de schémas psychologiques plus attendus que les films "de jeunes" de la Nouvelle Vague à la même époque ("Masculin Féminin", Eustache ou Rozier).
Je pensais d'ailleurs bientôt écrire sur un certain nombre de "films rock" qui m'ont pas mal marqué cette année: "Control", "Rude boy" sur les Clash découvert il y a quelques mois en DVD, plus les docus "DOA" sur les Sex Pistols et celui sur Daniel Johnston sur lequel j'ai déjà consacré un post en juin.
Par ailleurs, j'aime vraiment beaucoup "Mods", la pose étant justement son motif et son sujet.

Anonyme a dit…

Pour "Les coeurs verts", je ne pas préciser plus mes trop lointaines impressions.
"Mods" m'avait profondément énervé, alors que sur le papier cela pouvait me séduire. Il se réduit pour moi à une petite blague entre potes, entre initiés, trop décalée, trop intellectuelle, et au contraire par exemple des films de Hal Hartley ou Jim Jarmusch, ne parvient jamais à transmettre la vibration qui anime l'auteur par rapport à cette musique rock.
J'attends en tous cas avec impatience ton billet sur le sujet.