mercredi 12 septembre 2007

Chants d'amour et de colère

« I ♥ NY » versus « I hate NY »
«He adored New York City. He idolized it all out of proportion. » versus «Fuck you, fuck this whole city and everyone in it
L’écrit versus l’oral
Le jazz versus le rap
Rhapsody in Blue versus le flow
L’écrivain velléitaire versus le rappeur freewheelin'
La symphonie d’une grande ville versus le melting pot en mille morceaux
Celui qui ne peut pas se passer de sa ville versus celui qui va devoir lui dire adieu
Un chant d’amour versus un chant de colère
Woody « psychotic » Allen versus Edward « schizophrenic » Norton
Woody Allen versus Spike Lee
Manhattan versus the five boroughs

Manhattan (Woody Allen 1979) versus La 25eme heure (Spike Lee 2003)

Le meilleur documentaire sur New York: deux habitants qui monologuent sur leur ville et par dessus des images comme filmées par le plus chic des syndicats d'initiative.

A gauche, Woody Allen.
Allongé sur son divan, Ike – Woody Allen – laisse venir ses mots pour parler de celle qu’il aime le plus au monde : sa ville, New York, son île, Manhattan. Méthode et posture psychanalytique : le corps allongé pour mieux faire venir les mots, les associations d’idées quitte à perpétuellement les reprendre et les corriger. Car Ike-Woody a des ratures plein la bouche. Sa parole vise le marbre de l’écrit. Il parle, mais il se reprend constamment, commente sa propre pensée en mouvement. L’écrit pointe derrière la parole. Il pense au livre qu’il fantasme et qu’il ne parviendra jamais à achever. Réussir à graver dans le marbre de l’écrit ses mots pour parler de celle qu’il aime le plus au monde, sa ville, New York, pour dire quel privilège, lui et ses semblables, ont d’habiter dans cette ville matrice, cette ville accueillant en son sein plus de communautés qu’il n’y a de délégations à l’ONU.

Et si cette voix était celle de l’amoureux transi, incapable de retranscrire juste avec des mots tout l’amour qu’il ressent pour cette ville et pour ceux qui la peuplent. Heureusement que la grande forme symphonique de la Rhapsody in Blue de Gershwin et la dense volupté à la fois du jazz et du noir et blanc sont là pour se substituer aux mots hésitants et limités de Ike-Woody et transcrire son amour pour sa ville. Pour parvenir à cela, la forme musicale supplante la forme littéraire. Woody tord et retord ses mots comme un jazzman tord et retord ses thèmes musicaux, pour y trouver une nouvelle harmonie d’autant plus éphémère qu’elle subira de nouvelles variations. Incipit de Manhattan qui pourrait durer des heures. Symphonie urbaine sans fin.

A droite Spike Lee.
Face au miroir, Monty – Edward Norton – laisse son reflet maléfique débiter une litanie haineuse contre ceux qu’ils détestent le plus au monde : à peu près les dix millions d’habitants de NYC. Posture schizo méphistophélique : un corps et son reflet, mais seul ce dernier, la face sombre du héros, s’exprime. Une fois lancé, il ne s’arrête plus. Pas le genre à regretter ses mots, à revenir dessus, quand bien même ce qui sort de sa bouche est un flow ravageur, des mots remplis de haine, des mots qui disent leurs quatre vérités à chacune des communautés qui composent la mosaïque new-yorkaise. Litanie de « fuck you », surenchère ordurière qui concasse l’idéal du melting pot tout en célébrant paradoxalement la vitalité de la friction endémique de la Grosse Pomme.

Mais si cette voix de la colère tous azimuts (qui implore« des lotissements d’Astoria aux terrasses de Park Avenue, des cités du Bronx aux lofts de Soho, des lotissements d’Alphabet City aux maisons de Park Slope et de Staten Island, qu’un séisme les ravage, qu’un incendie les réduise en cendres, qu’un raz-de-marée submerge cette ville infestée de rats ! » ) était celle de l’amoureux trahi, de celui qui ne peut pas résoudre à devoir abandonner sa ville. Car si Monty déborde à ce point de rage, c’est qu’il ne se résout pas à devoir quitter cette ville, son bocal, son oxygène. Après lui, le déluge ! Mais il faut infliger bien plus qu’un déluge à NY pour qu’elle change. Toujours debout après le 11/09 les five boroughs, toujours bouillonnants de leurs mouvements, de leurs frottements et de leurs frictions.

Tant qu’elle trouvera en son sein des cinéastes capables de se transcender pour de tels hymnes urbains, tant qu’elle inspirera autant d’amour que de colère, elle restera bien plus qu’une ville monde, bien loin d’une ville musée : une ville muse.

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