

If Love be just beyond –
To wait Eternity – is short –
If Love reward the end –
Attendre une Heure –est long –
Si l’Amour est en vue –
Attendre l’Eternité –est bref –
Si l’Amour –est au bout –
Emily Dickinson (1864-65)
Incroyable de voir comment tout est purement documentaire et pourtant tout teinte nettement Tati.
Le stade de Bastia, comme le restaurant de Playtime sont les lieux vers lesquels toute la ville converge. Arches bien trop petites pour accueillir toute la ville, mais où il est impossible d’y refuser du monde.
Même si Forza Bastia n’est peut-être pas autre chose qu’une note de bas de page au bas d’une filmo chiche mais exemplaire, il éclaire d’un jour assez singulier la dite filmo. Comme si, pour la toute dernière fois où il touchait une caméra (et la toute première où il s’essayait au documentaire), Tati tenait à prendre l’exact contre-pied de sa maniaquerie, de sa démesure sublime qui fait de Playtime à la fois un aboutissement et une malédiction. Au diable, les décors pharaoniques, la maniaquerie des cadres, les mouvements de foule chorégraphiés, le tournage interminable au rythme d’un plan par jour et pour une fois, libérons-nous de notre phobie de chef d’orchestre des corps et des mécaniques, soyons heureux de fureter et d’attraper au vol. Méthodes de travail radicalement différentes, films dont la facture est a priori aux antipodes pour finalement constater une persistance de propos et de regard, qui dépasse le contexte des films.
Bien la preuve qu’il n’y a pas d’épiphanie du documentaire et que quand le réel croise l’œil d’un cinéaste, c’est toujours ce dernier qui le tord à sa manière.
Elle était reprise dimanche dernier dans le village et le parc du château de Chamarande (Essonne). Mais là encore, arrivé en retard et pas pu voir ces chorégraphies immobiles, ces « sculptures corporelles », ces « compressions humaines » et autres « steaks » suivant la terminologie des figures du chorégraphe.

Arrivé juste à temps pour le solo final.
Danse contact zen, tasseau de bois toujours tangent avec le corps de la danseuse. Hula-hop ralenti et rectiligne. Danse contact zen et découverte d'un nouveau lieu de villégiature. Parfait pour un dimanche de retour.
(Photos : Nicolas Monnot, Archivox dont je vous recommande le blog en lien)

Chungking Express (Wong Kar Wai 1995)

Rysopis - signe particulier néant (Jerzy Skolimowski 1964)
Même sans être latiniste, j’ai cru comprendre : « vivre n’est pas nécessaire, c’est naviguer qui l’est ». Ainsi, la navigation entre les arts succède à la navigation entre les pays et au mouvement de ce cinéaste saltimbanque qui, après avoir été chassé de Pologne après son hold-up perdu de Haut les mains en 1967 a tourné en Belgique, en Allemagne, en Angleterre, en Italie, aux Etats-Unis, en produisant une lignée de films toujours baignés par l’inventivité de l’urgence.
... paraît marcher sur l'eau.
Une photo volée de Caroline de Bendern, aka « Marianne de Mai 68 », prise le 13 mai 1968 aux abords de la Place Denfert-Rochereau à Paris.
Une autre photo volée de la même Caroline de Bendern, prise 39 ans et 3 mois plus tard, le 13 juillet 2007 dans le hall du British Film Institute à Londres.
Rencontre avec un personnage historique qui est aussi (pour moi) un personnage de fiction. Il y a trois ans, j’avais écrit un scénario imaginant la vie de la « Marianne de Mai 68 » après cette photo. Peu de chances que le film se fasse un jour. Encore moins qu’elle se reconnaisse dans ce scénario si elle le lit, car ce que j’ignorais, c’est que l’égérie était aussi réalisatrice .
Après 68, il fallait partir, direction Zanzibar . A la fois horizon rimbaldien, destination mythique et nom du collectif de dandys, poètes, cinéastes (Garrel en compagnon de route) au sein duquel Caroline de Bendern réalisa en 1971 son film A l’intention de Mademoiselle Issoufou à Bilma (ça, c’est du titre, mes amis !). C’est ce film-là qu’elle venait présenter la semaine dernière à Londres.
Carnet de voyage foutraque et attachant d’un périple qui s’est arrêté au Niger avant d’arriver à Zanzibar, ... Mademoiselle Issoufou… n’a sans doute pas la force des films de Pasolini tourné en Afrique à la même époque. Il paraît manquer de la limpidité propre aux films de Jean Rouch tournés dans le même pays. Pourtant, à l’instar des films de Rouch, il s’attache à nous faire « croire à la croyance de l’autre », et comme les documentaires de l’insurgé italien, il s’attache à restituer une culture locale dans toute son entièreté, en évacuant tout pittoresque. C’est particulièrement frappant au cours de scènes de danses où les parures, les maquillages et les mouvements des corps participent de rituels d’une évidente dimension syncrétique.
... et, pour la première fois dans mes fréquents séjours londoniens, oublié de passer devant l’un de mes bâtiments préférés : The Economist Building d’Alison et Peter Smithson .
Pas grave, il me reste le début de Blow up (Michelangelo Antonioni 1966), le meilleur document sur ce bâtiment qui hybride la construction métallique et les massifs blocs de pierre, la transparence du verre et les fossiles minéraux (quand on s’approche, on voit des coquillages dans la pierre). Et puis, dans cet étonnant espace urbain, cette sorte de place italienne en miniature, la belle impression de se retrouver dans une toile de Chirico en trois dimensions. L’alliance des vestiges et du contemporain.
A l’extérieur comme à l’intérieur du bâtiment, tout est concavité. Dehors, la façade semble avoir retrouvé le secret de la fabrication des arcs-en-cieux (pas sûr que les photos rendent le miroitement de ces matières). Dedans, subtil jeu de rampes et d’ondulations du sol qui louvoie entre les salles de danse, le théâtre et la bibliothèque. Mais le plus étonnant de ce bâtiment reste cet effet miroir qu’il se renvoie à lui-même et à la ville. Suivant les angles du regard, le bâtiment apparaît comme une lame qui laisse filer le ciel....
... ou comme un prisme qui révèle son contexte.
A l’angle, le bâtiment diffracte son propre reflet (à gauche) ou alors renvoie l’image d’un Londres en chantier et en mutation (à droite). Bâtiment emblématique d’une période de la ville où, quel que soit le quartier, une tour en chantier est toujours présente dans notre champ de vision.
Le prochain Harry Potter, photographié page par page et disponible à la lecture une semaine avant la date de sortie officielle, samedi prochain. Le plus surprenant, ce n’est pas tant que l’œuvre soit disponible par les voies détournées du Net, c’est qu’elle surgisse sous sa forme physique. Ce n’est pas un fichier Word ou des pages scannées qui circulent, mais bien une suite de 300 photos (une à chaque page tournée) qui met en scène le livre comme objet de convoitise, d’envoûtement voire de maléfice : un trésor et un grimoire. Belle revanche (ou pied de nez ou baroud d’honneur ?) de Gutenberg sur le Réseau virtuel.
L’amateurisme de cette image intrigue. Sur quoi le livre est-il posé ? Sur un bureau ou sur la moquette de chez mamie ? Et surtout, à qui appartient cette main ? Son inconscient propriétaire n’est-il pas au courant que les Experts CSI peuvent lire ses empreintes digitales grâce à leurs agrandissements numériques XXXXXXL de n’importe quelle image JPEG ? Pourquoi n’a-t-il pas mis des gants blancs de majordomes, ce qui, en plus de lui donner un répit certain du côté des poursuites, aurait rajouté une classe supplémentaire à cette cérémonie des pages tournées. Parce que, quand on y pense, ces images sont d’un cheap. Par terre, le dernier Harry Potter ? Même pas digne d’un bureau ? Et puis qui arrivera à lire 600 pages sur un écran ? Un poil mieux scénographiée, cette suite de photos aurait pu être la célébration idéale de la lecture comme cérémonial.
Oui, quand j’y repense, l’endroit idéal où aurait dû atterrir le dernier Harry Potter, c’est bien le bureau de Brian O’Blivion, le « prophète des médias » de Videodrome (David Cronenberg 1982). Dans ce film qui avait prophétisé M6, meetic, le peer to peer, le hacking et autres joyeusetés technologiques, O’Blivion n’apparaît que par écrans interposés en grand ordonnateur de la fiction, pour balancer ses images sulfureuses et interdites, dont lui-même est la première victime.
C'est sûr. Tant qu’Harry Potter reste un livre interdit (pendant encore deux jours), il doit trôner au milieu de son beau bureau en boiseries. Là, il serait traité avec tous les honneurs dus à son rang. La vidéo interdite idéale, le prochain programme de Videodrome, ce pourrait être celle d’O’Blivion qui, de sa belle voix grave, nous ferait la lecture de ce livre interdit. Dans un geste régressif, nous l’écouterions le soir pour nous endormir. Nous le regarderions tourner les pages munis de ses gants blancs et nous repenserions à la dimension psychanalytique des contes et des récits gothiques et à ce que Cronenberg aurait pu faire d’Harry Potter (mais serait-ce vraiment si intéressant). Alors là, peut-être, me serais-je intéressé à Harry Potter, parce que les bouquins des aventures du sorcier à lunettes, je n'ai jamais réussi à tourner leurs pages au-delà de la vingtième tellement elles me tombent des mains.
Format hybride (et plus d’une fois casse-gueule), le moyen-métrage paraît pour certains jeunes cinéastes un terrain d’expression où ils peuvent jouir à la fois de leur soif d’expérimentation tout en prenant le temps d’asseoir leur regard. Vus ces six derniers mois, L’opération de la dernière chance d’Antonin Peretjatko, Primrose Hill de Mikhaël Hers et Roc et Canyon de Sophie Letourneur constituent trois réussites plus qu’encourageantes et font même partie des vraies (et rares) bonnes nouvelles en provenance du « jeune cinéma français ». Ces trois films d’une durée oscillant entre 35 et 55 minutes, bien plus remplis d’idées et d’envie qu’un paquet de premiers films, révèlent de tels tempéraments qu’on a hâte que leurs auteurs passent au long sans rien perdre de leur verdeur et de leur singularité. J’espère avoir prochainement le temps de parler des films d’Antonin Peretjatko et de Mikhaël Hers à la faveur d’une prochaine diffusion salle ou télé, mais, galanterie oblige, et surtout parce qu’il est diffusé ce soir à 00h30 sur Arte (avant une sortie salles en novembre), c’est le film de Sophie Letourneur qui passe en premier.
Immersion dans une colonie de vacances, Roc et canyon dresse le tableau d’un apprentissage parfois douloureux des « règles du jeu » sociales et sentimentales à hauteur d’adolescent, quand les adultes sont maintenus à distance et explore de manière quasi documentaire le langage et le « body langage » adolescent jusque dans ses postures de gêne, de gaucherie et de timidité. Vous me répondrez que ce n’est pas le premier film à s’attacher à ces motifs (aussi rencontrés dans la BD Retour au Collège de Riad Sattouf), mais il le fait à la manière d’un jeu ou d’un pari d’adolescent, d’où son indéniable force. Ainsi, bien que scénarisé, le film a été tourné dans le cadre réel d’une colonie de vacances en respectant son déroulement et en restant attentif aux relations personnelles qui s’y nouaient. Ainsi, on imagine que le tournage du film n’a été que l’une des multiples « activités » (en plus du kayak, du paint-ball, du sport ou du karaoké vus dans le film) pratiqués par les adolescents pendant leurs vacances. Pourquoi les premières scènes, où les adolescents font connaissance les uns avec les autres dans un train, dégagent-elles une grande impression de vérité, qui ne se démentira jamais par la suite ? Est-ce parce que la grande majorité des rôles a été distribuée sur le quai de la gare, le matin même du départ ? Peut-être, mais pas seulement. C’est aussi parce que derrière ce geste (en gros, on sait vaguement vers quoi on va, mais c’est aux interprètes du film de montrer par quel chemin on va y arriver) se manifeste la confiance de la réalisatrice envers ses interprètes et plus généralement envers le cadre flottant du film -entre documentaire et fiction– qui prend forme au fur et à mesure sous nos yeux.
« Comment parle-t-on des sentiments et de ses rituels à tel ou tel âge de la vie ? » C’est finalement la question qui parcourt les trois films de Sophie Letourneur. Dans La Tête dans le vide ( photogramme ci-contre et lire ici la critique de quelqu’un qui a dû découvrir ce très drôle court-métrage à la même séance que moi au Festival de La Ciotat 2003), elle jouait elle-même avec ses copines (et sur la base de conversations enregistrées et rejouées) les atermoiements de celle qui « ne veut pas passer le coup de fil ». Dans Manue Bolonaise, l’amitié était auscultée sous l’angle des bavardages codés des gamines de 11 ans. Dans Roc et Canyon, finalement le moins bavard des trois, c’est plutôt l’impression d’âpreté qui domine. Apreté cinématographique héritée du cinéma direct (coups de zooms, gros grain et regards caméras) au diapason de l’âpreté de cet âge où les mots ne viennent pas toujours aisément et où les rituels de séduction obéissent autant (voire plus) à un passage obligé qu’à un élan sincère.
Un passage, un élan, une prise de risque, un jeu, un pari, un film en pleine adolescence. Voici encore quelques mots lâchés pour définir Roc et Canyon et sa fraîcheur matinée de rugosité. Dire qu’on attend la suite avec impatience est un euphémisme. On espère que la réalisatrice ne perdra jamais son goût du jeu et la belle confiance qu’elle donne à ceux qu’elle place devant la caméra.