vendredi 13 avril 2007

Un chef d'oeuvre inconnu: Walkower (Jerzy Skolimowski 1965)

Quasi premier opus d’un poète turbulent et joueur, Walkower, autoportrait du cinéaste en perpétuel outsider est un film qui nous fait voir à quoi ressemble le cinéma quand pour son auteur, un film, c’est le match de sa vie. Tentative de description pour vous donner envie de signer des pétitions pour sa sortie en DVD.

Copains de promo à l’école de Lodz, Roman Polanski et Jerzy Skolimowski semblaient partis sur des rails parallèles. Le succès du Couteau dans l’eau, premier film de Roman, coscénarisé par Jerzy augurait d’une bien belle œuvre à venir de ce duo de (faux) jumeaux prodiges. Las des histoires écrites à l’avance, Polanski prit rapidement son envol en solo jusqu’à la reconnaissance qu’on lui connaît (période 70-80’s) et les nanars qu’on lui déplore(période 80-90’s), tandis que Skolimowski, fidèle à son esprit de bricoleur juvénile, alignait les séries B d’auteur, plus ou moins vues et connues, mais surtout, pour les plus réussies, ayant gardé intact leur esprit cinglant et leur vitalité débordante.

Parmi ces films, l’un de ses premiers Walkower est un pur précipité de la démarche skolimowskienne. Plus qu’un simple autoportrait (motif classique pour des premiers films d’auteur), Skolimowski invente là le manifeste du cinéaste en perpétuel adolescent, bouillonnant, imprévisible, inventant la chorégraphie pour corps et pour caméra. Skolimowski déborde. Pas seulement cinéaste, il aurait voulu être jazzman et pratique également la boxe à ses heures. C’est un boxeur plutôt amateur, plutôt loser, mais peut-on être un winner dans la Pologne communiste de 1965 ?

En bon sportif, Skolimowski compense ses points faibles (ou ceux qu’il croit comme tels) par un surinvestissement de ses points forts. En bon sportif, il fait corps avec sa caméra et épuise ses possibilités. Après tout, le cinéma n’est qu’un jeu. En bon boxeur comme en bon joueur de poker, il a aussi un jeu (de jambes) qui se défend. En bon jazzman, il cherche le tempo, le chorus, la variation qui fera que tout ça tiendra, on ne sait comment, mais ça tiendra. Un plan-séquence, puis deux, puis trois comme autant de séances d’entraînement avant de passer au match. Quand il en a une dizaine, ça suffit à faire un long-métrage. Et chacun de ces plans-séquences est une vraie mine : alternance ou contrepoints de rythmes lents ou rapides, de passages d’un intérieur à un extérieur, de jeu entre le premier et l’arrière-plan, de net qui ne prend sa valeur que grâce au flou. S’il est un film dont l’absence en DVD est bien cruelle, c’est bien celui-là. Quelle délectation aurions-nous à disséquer chacun de ces plans-séquences, photogramme par photogramme, pour deviner à quel moment l’espace s’infléchit, la trajectoire se biaise, le cinéaste acrobate prend son envol.

Comme seul « bonus », il nous reste une séquence de la défunte et chérie émission « Cinéma-Cinémas » montrait Skolimowski à la table de montage devant le plus fameux moment du film : une « poursuite » dialoguée entre un train et une moto (cadrée par la fenêtre du train) jusqu’à ce que Skolimowski, le héros, saute du train en marche et rejoigne la moto. Plan réalisé à cinq personnes, trois prises. Dans la première, le train roule à 40 km/h. Dans la deuxième à 50. Dans la troisième, à 60. Les trois prises sont bonnes.

Pourtant, la virtuosité à tout prix est souvent agaçante. Qu’est-ce qui fait qu’ici, elle touche à ce point-là ?

C’est justement qu’elle n’est jamais acquise, qu’elle reste en perpétuel déséquilibre. Comme le jeu de jambes ! Jamais les deux pieds à terre ! Toujours sautiller ! Toujours en recherche de nouveaux appuis ! Un film comme un match. Le coup de semonce menace de surgir à tout moment. Ne jamais oublier que c’est un boxeur qui fabrique ces images et ces plans, qu’il sait qu’il peut rester neuf secondes à terre si, à la dixième, il parvient à se relever. S’il s’expose, c’est pour mieux riposter. C’est quand le KO semble proche que l’uppercut est dégainé.

Ainsi, tout le film oscille sur la frange, entre la grâce et l’hébétement, entre l’immaturité et la maturité. C’est finalement cette coexistence qui donne tellement de vérité à l’autoportrait qui devient celui de toute une jeunesse. Car, finalement que raconte Walkower ? Rien d’une originalité folle : la jeunesse, les rivalités amoureuses et sportives, quand est-ce qu’on est mûr face à tout cela ? Quand est-ce qu’on gagne Quand est-ce qu’on perd ? Le plus important, c’est que la question apparaisse. Les réponses seront toujours ambivalentes. La seule grande question qui intéresse finalement Skolimowski, c’est celle de savoir si l’immaturité et la maturité ne sont pas les deux faces d’une même médaille.

En un sens, Skolimowski est l’anti-Eastwood (dont la maturité est à la fois la grande thématique comme son guide de mise en scène). En ça, il rejoint son compatriote Witold Gombrowicz. D’ailleurs, pour son dernier film, Skolimowski s’est attelé à l’adaptation de Ferdydurke en 1992. La boucle est bouclée.

Depuis, le retour du challenger Skolimowski est devenu l’un des serpents de mer de la cinéphilie mondiale, toujours annoncé, souvent reporté, suivant la vieille mythologie de la crainte du combat de trop. Ce n’est pas grave. En perpétuel outsider, Skolimowski préfère l’espoir à la consécration. Tous les films de Skolimowski ne sont pas des chefs d’œuvre, mais ils ont toujours une part de singularité. Ses personnages adolescents ont hanté d’autres films turbulents et joueurs, comme Deep End tourné à Londres en 1971. Mais les deux incontournables de sa filmographie restent Le Départ avec Jean-Pierre Léaud, rencontre féconde entre la Nouvelle Vague française et les « Nouveaux Cinémas » de l’Est, tourné à Bruxelles en 1967 sous influence graphique de la bédé belge et surtout Travail au noir avec Jeremy Irons (Londres 1982), film dont il a débuté l’écriture le 13 décembre 1981, jour de l’état de guerre en Pologne et qu’il a réussi à sortir six mois plus tard. Plus qu’un simple film militant, Travail au noir est un modèle rageur de film d’intervention, de fable politique et humaine sous influence croisée de Gogol et de Beckett. Comme quoi, la hargne du boxeur ne l’a jamais quitté.

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Moi les deux films de Skolimovski que j'ai vu en salle à leur sortie sont absolument remarquables, ce sont Travail au noir (un des meilleurs rôle de J Irons) et Le bateau-phare (avec R. Duvall et K M Brandauer). Un film que j'aimerais bien revoir un jour. http://dasola.canalblog.com