18 films sur 22 de la sélection officielle. Après les préjugés bêtes et méchants d’il y a un mois (« mon avis sur les films avant de les avoir vus »), voici les postjugés pondérés et argumentés.
4 mois, 3 semaines, 2 jours de Cristian Mungiu (Palme d’Or)
Hold-up parfait mais pas volé ! Inconnu total la veille du festival. Film projeté le deuxième jour (alors que j’étais en train de chercher un camping libre). Constamment dans les discussions le lendemain, au point d’éclipser totalement le Wong Kar Wai. Toujours présent à l’esprit des festivaliers les jours suivants et Palme à l’arrivée. On pouvait effectivement se dire que la présence d’un film venu de nulle part (enfin quand même de Roumanie) directement en sélection officielle pouvait augurer de sa qualité, en même temps Red Road d’Andréa Arnold l’année dernière, c’était quand même pas terrible.
Pour ma part, vu le dimanche matin en projection de rattrapage, quelques heures avant son triomphe. Un paradoxe cannois de plus : le seul film où il a fallu composer avec le buzz, les articles, les avis déjà entendus à droite, à gauche alors que c’était le film le moins médiatique il y a encore 10 jours.
Ai donc un peu regretté d’avoir eu vent du sujet car la première grande qualité du film est de se tenir au plus près du quotidien de ses personnages et de ne pas livrer tous ses enjeux d’un bloc. Bien qu’ils soient toujours ramenés à du très concret, ils se dessinent petit à petit et se sédimentent au cours du film. Ensuite, évidemment la maîtrise discrète de la mise en scène et la force de l’interprète principale. Surtout, bien que les séquences soient assez longues et le dialogue assez abondant, une impression rare de condensation, de précipité dramaturgique. Enfin, remarquable travail scénographique et sur les déplacements dans les différents lieux de l’action (la cité U, l’appartement des parents du petit ami ou a lieu une fête familiale, l’hôtel, la chambre et la réception) qui dessinent autant de microcosmes éclairant discrètement mais très clairement l’arrière-plan sociétal du film.
4 mois, 3 semaines, 2 jours de Cristian Mungiu (Palme d’Or)
Hold-up parfait mais pas volé ! Inconnu total la veille du festival. Film projeté le deuxième jour (alors que j’étais en train de chercher un camping libre). Constamment dans les discussions le lendemain, au point d’éclipser totalement le Wong Kar Wai. Toujours présent à l’esprit des festivaliers les jours suivants et Palme à l’arrivée. On pouvait effectivement se dire que la présence d’un film venu de nulle part (enfin quand même de Roumanie) directement en sélection officielle pouvait augurer de sa qualité, en même temps Red Road d’Andréa Arnold l’année dernière, c’était quand même pas terrible.
Pour ma part, vu le dimanche matin en projection de rattrapage, quelques heures avant son triomphe. Un paradoxe cannois de plus : le seul film où il a fallu composer avec le buzz, les articles, les avis déjà entendus à droite, à gauche alors que c’était le film le moins médiatique il y a encore 10 jours.
Ai donc un peu regretté d’avoir eu vent du sujet car la première grande qualité du film est de se tenir au plus près du quotidien de ses personnages et de ne pas livrer tous ses enjeux d’un bloc. Bien qu’ils soient toujours ramenés à du très concret, ils se dessinent petit à petit et se sédimentent au cours du film. Ensuite, évidemment la maîtrise discrète de la mise en scène et la force de l’interprète principale. Surtout, bien que les séquences soient assez longues et le dialogue assez abondant, une impression rare de condensation, de précipité dramaturgique. Enfin, remarquable travail scénographique et sur les déplacements dans les différents lieux de l’action (la cité U, l’appartement des parents du petit ami ou a lieu une fête familiale, l’hôtel, la chambre et la réception) qui dessinent autant de microcosmes éclairant discrètement mais très clairement l’arrière-plan sociétal du film.
Pour autant, même si on est en présence d'un très bon film et si le cinéma roumain est consacré (quatre prix majeurs à Cannes en deux ans - deux fois Un certain regard, une Caméra d'Or et une Palme - pour une production annuelle qui ne dépasse pas une quinzaine de titres), ce n'est pas pour moi un geste artistique aussi fort que les films de Gus van Sant et de Reygadas.
La Forêt de Mogari de Naomi Kawase (Grand Prix)
Joli film mais petite déception. Après Shara et Suzaku, j’étais ressorti de la salle en ayant partagé directement avec les protagonistes du film une émotion tacite et secrète, une émotion qui me faisait oublier que j’étais au cinéma. Pas tout à fait le cas ici. On a même parfois peur de verser dans le prêchi-prêcha ou la cucuterie, mais la progression dans la forêt ramène le film à des enjeux plus resserrés et intenses. Tout se condense autour de ces deux corps (un jeune, un vieux) isolés dans cette nature ni franchement hostile, ni franchement accueillante. Entre-deux peut-être légèrement problématique, car la forêt manque parfois d’un certain envoûtement. Il y a aussi le souvenir des autres films. Je me souviens avoir été plus bouleversé par Distance de Kore-Eda sur le thème du deuil dans la société japonaise. Quant à la perdition dans la nature, c’est difficile de passer après Gerry et Tropical Malady. Cela dit, le Grand Prix fait très plaisir. On espère qu’il fera connaître davantage le travail atypique (longs-métrages + vidéos qui travaillent la mémoire intime) de cette réalisatrice un pied dans le cinéma, un autre dans l’art contemporain.
Paranoid Park de Gus van Sant (Prix du 60eme anniversaire)
Eloge déjà chanté. J’en rajoute une couche en soulignant que ce film de Gus van Sant condense une bonne part de ce que j’attends aujourd’hui du cinéma : la captation du réel et l’ouverture vers un imaginaire qui ne soit pas arbitraire mais ressenti par les protagonistes, une recherche formelle mais là encore qui naît de la persistance d’un regard, une présence des acteurs dans le cadre et un travail de l’espace (déplacements, traversées) qui en eux-mêmes nous en disent déjà énormément, un formalisme qui n'est pas l'ennemi de l'émotion, une image et un son traités comme un réel matériau artistique, une fluidité et une envie de filmer qui passe avant tout discours, toute intention, tout « vouloir dire ». Certains ont dit que Gus se répétait. On peut peut-être avoir l’impression d’avoir déjà vu ça dans ses précédents films, mais il me semble que Paranoid Park produit un cinéma moins soumis à son propre dispositif, ouvert aux vents du réel sans pour autant perdre de sa densité.
Lumière Silencieuse de Carlos Reygadas (prix du jury)
Déjà, ne plus m’excuser d’être l’un des rares fans de ce film. Pour moi, avec le Gus van Sant, l’autre grand geste artistique de cette sélection. Projection où j'ai fait mon petit Claudel et suis ressorti tout électrisé d'une foi nouvelle (mais dans quoi au juste à part le cinéma?). Reygadas abandonne sa matière tapageuse pour poser son regard avec gravité. Certains ont parlé de pompiérisme, mais alors c'est du pompiérisme zen, à l'image de ce film très "oxymoron" qui juxtapose les contraires (la matière et le spirituel, le retour au passé et le contemporain, la nature et la technologie) pour essayer d'en extirper des émotions dans le pur présent. Il est vrai qu’il faut un certain temps pour rentrer dans le film et que son hiératisme (apparemment) arbitraire peut rebuter. A l’image, plans fixes composés. Portrait d’une communauté. Les travaux et les jours. Une crise, mais très dite. Tout se partage dans cette communauté, même les crises. Pas vraiment de dialogues, mais plutôt des phrases simples, qui peuvent même nous paraître trop claires ou descriptives. Pas d’effet de style, si ce n’est celui du rigorisme à tout crin. Que disent ces plans ? L’inscription de l’homme dans une communauté, dans un paysage, son rapport à la technique et à la nature (proche en cela du meilleur Dumont). Ça ne se dessine pas toujours clairement, mais pourtant, au bout d’un moment (c’est vrai que ce moment peut être long, aller jusqu’à plus de la moitié du film ?), l’horizon se dégage. Cette juxtaposition de plans et de mots finit par créer une constellation d’affects et de croyances que nous saisissons de manière sans doute fragmentaire mais suffisamment convaincante. Nous sommes mis face à la dignité de l’homme, à ce qu’il a de plus précieux au fond de lui : cette flamme intime, cette « lumière silencieuse », cette dignité secrète. L’espace du film, la croyance se substitue à la psychologie. Le regard se fait prière.
Persépolis de Marjane Satrapi et Vincent Paronnaud (prix du jury)
Projection où la salle a le plus réagi (en bien) et le plus applaudi. Film qui a tout pour se faire adorer et qui vogue vers un carton assuré en France comme à l’international où la BD a été largement traduite. Animation très sobre et de très haute tenue. Dans les passages évoquant les contextes politiques et historiques, elle renforce le dérisoire aspect « théâtre de marionnettes » du pouvoir. Ensuite, savoureux dialogues et grande justesse du parler adolescent, proche en cela de U d’Elissalde et Solotareff dont le dialogue était presque au niveau de celui de L’Esquive de Kechiche (mais sans verlan). Enfin, dans ce prix et ce triomphe annoncé, je vois la consécration du travail des éditions L’Association. Au départ, un groupe d’auteurs de BD qui se réunissent pour s’auto-publier et à l’arrivée, l’entreprise artistique et éditoriale la plus excitante qui ait eu lieu en France ces quinze dernières années. N’y aurait-il en France que les auteurs de BD (Satrapi, David B, Delisle, Trondheim, Joann Sfar, Riad Sattouf et d’autres) qui savent faire ce que font les cinéastes roumains : à partir de leurs histoires personnelles, parler avec originalité et avec pertinence de leur pays et de leur société ?
Auf der anderen seite de Fatih Akin (prix du scénario)
Pas fan de ce genre de cinéma bien-pensant sur fond de « question politique du moment » (l’entrée de la Turquie dans l’Union Européenne), mais pas étonnant qu’il figure au palmarès. Comme Babel l’an dernier, scénario basé sur des destins arbitrairement croisés et qui s’efforce de faire tomber un à un les préjugés entre les personnages, préjugés qu’il a d’abord soigneusement mis en place. Dommage que Frears n’ait pas salué un scénario moins balisé. Et puis quand même, dans la narration, un curieux usage de l’ironie dramatique qui met souvent le spectateur en avance sur les protagonistes de la fiction. J’arrête là car vous pourrez bientôt lire des éloges de ce film dans toute la presse.
Secret Sunshine de Lee Chang-Dong (prix d’interprétation féminine)
Annoncé comme « une femme coréenne sous influence », ce film souffre quand même de la comparaison avec ses deux modèles : moins intense que le Cassavetes et moins polyphonique qu’ Une femme coréenne d’Im Sang-Soo. Ai mis un peu de temps à rentrer dans le film, mais le récit multiplie les directions avec tellement de bonheur qu’on finit bien par en suivre une. Scénario inventif qu’il aurait été salutaire de saluer et qui restitue bien le processus du dérèglement psychique : pas tant un engrenage qu’un mouvement de balancier oscillant entre différentes émotions qui agitent la protagoniste mais restent douloureusement insaisissables pour son entourage. Pas photo pour le prix d’interprétation de Do-Yeon Jeon quoique Anamaria Marinca de 4 mois… était aussi l’autre grande actrice de la sélection officielle.
Le Bannissement d’Andrei Zviaguintsev (prix d’interprétation masculine)
Première projo cannoise et première grosse déception, inaugurant les films de pompe et d’emphase (selon l’humeur et les goûts, on y inclut ou pas le film de Reygadas). Comme plusieurs films de la sélection, se veut une offrande au « dieu Andrei » (je reviendrai sur ces films sous influence tarkovskienne), mais le problème, c’est que ça sent continuellement le cinéma et pas le réel : la pluie, le feu, la poussière restent des pluies, des feux, des poussières de cinéma quand elles se voudraient des épiphanies. L’acteur principal évoque physiquement Marc Barbé. Même intensité dans sa jeu, quoique sa composition dans le Retour (précédent film adoré de Zviaguintsev) me paraissait plus riche et traversée par plus d’ambiguïté (la douceur et l’autorité). Reste donc un peu étonné par le prix d’interprétation car ce cinéma de la surcomposition écrase les acteurs.
Les chansons d’amour de Christophe Honoré
Pour la presse française, les dithyrambes étaient joués d’avance, mais pour la presse internationale, c’est la cata. Encore un « stupid french film » ! Pour ma part, d’abord jugé anecdotique, ce film est revenu à la surface de mes souvenirs. Film avec du charme, mais qui se repose un peu trop dessus, à l’image de ce cabotinage de Louis Garrel lors des repas de famille. Tout cela sent parfois le remplissage. Pour aggraver son cas, ce film quand même vite écrit, vite tourné, vite monté se réclame de Demy ou de Resnais alors qu’il ignore totalement la rigueur et leur formalisme. Honoré regrette que les cinéastes ne fassent pas appel aux chorégraphes mais pourquoi n’a-t-il pas lui-même joint l’acte à l’intention et mis un peu plus de chorégraphie dans son film ou fait preuve d’un travail plus affirmé sur les corps ? En dépit de tout ça, qu’est-ce qui séduit quand même ? Des petites choses qui sont déjà importantes : simplement les comédiens et l’instantané de Paris, période campagne électorale (que ce temps semble déjà loin). Ce film se démodera, mais avec du charme. Le charme, toujours le charme. Séduisant mais limité ou limité mais séduisant. Et puis, il y a ces chansons chantés à la limite du faux par les comédiens, ces chansons que je ne suis même pas sûr d’aimer mais qui semblent dire qu’en sentiments comme en musique, les dissonances valent bien les accords. Et dans un festival hanté par « la grande forme », cet éloge du mineur est apparu rétrospectivement plutôt bienvenu.
A noter enfin que le court-métrage Entracte de Yann Gonzalez, vu à la Quinzaine, présente d’étranges similitudes de projet et de thématiques avec le film d’Honoré, tout en proposant une forme beaucoup plus cinglante, rageuse et plus frontalement godardienne. J’y reviendrai en évoquant plusieurs films qui s’agenouillent devant « le dieu Godard » vus durant ce Festival.
Une vieille maîtresse de Catherine Breillat
Apparemment, il y a eu quelques sifflets et des fous rires pendant la projection du soir, celle où le public « qui a toujours raison » se croit tout permis. Très injuste car assez bonne surprise. Pas particulièrement adepte du cinéma de Breillat (qui noie souvent ses films sous sa propre logorrhée pour, un comble, produire un discours pas franchement net), j’y ai vu là son meilleur film depuis Parfait Amour. Dans un cinéma français esclave de ses acteurs bankables et cumulards, elle ose et réussit le casting qui dépote : une icône fashion-trash Asia Argento + l’inconnu magnétique Fu’ad Aït Aattou + Claude Sarraute de la bande à Ruquier + Lonsdale, ce génie de la saveur des mots + Yolande Moreau en aristo + la velasquezienne Roxane Mesquida + un salonnard des Cahiers + Lio en cantatrice guest, tous très bien. Surtout, dans l’écrin d’une reconstitution sobre et de bonne tenue, elle réussit enfin à filmer la parole amoureuse comme un rituel, voire un sortilège. Certains ont reproché la jeunesse des acteurs principaux, mais c’est principalement cela qui est fort. Ces visages sont jeunes mais ils abritent chacun à la fois la beauté et la laideur, le masculin et le féminin, la douceur et la cruauté. L’absence de marques du temps sur leurs visages leur confère alors une belle atemporalité. Pour ma part, j’aurais bien donné un prix du scénario pour la belle restitution de cette langue du dix-neuvième encore toute imprégnée de l’esprit lettré et libertin du dix-huitième.
Deathproof de Quentin Tarantino
A la sortie de la salle, pas loin d’hurler à l’arnaque. Et puis, en y repensant, on peut trouver une singularité voire un intérêt à cette métaphore fun de la guerre des sexes. Cela dit, pas passionnant. Comme dans 95% des films américains, les deux meilleures séquences sont le générique de début et de fin, assez sensuels et malicieux. Sinon, transformation du dialogue en bavardage. « Whyyyyyyyyyyyyyyyy » attendre 25 minutes pour une pauvre réplique qui tue ? Pour patienter avant le morceau de bravoure final, quelques bombasses qui se trémoussent sur de la bonne soul. Attendez les prochains Cahiers pour lire quantité d’éloges sur cette bouffonnerie. La rumeur dit que c’est l’un de leurs films préférés de tout le Festival, si ce n’est leur préféré. Une façon comme une autre de tuer le père Godard.
Import Export d’Ulrich Seidl
Film provoc du festival, qui a hérissé la presse française mais a plutôt été bien accueilli par la presse internationale et en projection officielle. Presque l’inverse du Honoré, somme toute. Film qui a tellement tout pour se faire détester que j’ai presque envie de prendre sa défense. Succession de vignettes scénographiques de la cruauté et de l’humiliation, mais contrebalancées par certaines touches d’humour et souvent une réelle valeur documentaire. Cela évoque aussi bien le Haneke de 71 fragments… que les reportages de « strip-tease » voire les happenings des actionnistes viennois où l’exhibition du corps souffrant sert de révélateur à la violence sociale et historique. Evidemment que le film se délite et se vautre même dans sa dernière partie où Seidl semble curieusement abandonner sa rigueur et saborde son système. Pour autant, quelques scènes marquantes où l’humiliation la plus abjecte n’est pas la plus spectaculaire, comme cette confrontation entre l’héroïne baby-sitter et la mère qui l’emploie et qui donne systématiquement raison à son enfant tyran. Quant aux scènes si décriées dans le service gériatrique, j’y trouve parfois une paradoxale dignité. J’écoute les voix de ces vieillards, le seul souffle qui traverse leurs corps flétris, et j’entends là une mélodie fragile et d’autant plus précieuse.
Si on m’avait laissé faire mon Cronenberg, j’aurais presque pu donner un prix d’interprétation à Ekateryna Rak – pas une actrice professionnelle, me semble-t-il - pour tout ce qu’elle a dû endurer.
No country for old men des frères Coen
Après Fargo, les grands espaces réussissent aux Coen qui posent là un jalon du « nouveau western ». Après avoir été les maîtres du second degré, ils redécouvrent avec plaisir les joies du premier et du récit linéaire, pas à pas. La composition de Javier Bardem en Hannibal Lecter de comics était un prix d’interprétation tellement évident qu’il ne l’a pas eu. Il y a aussi les meilleures scènes d’action, sèches, nerveuses et inventives, de tous les films américains de la sélection. Absent du palmarès, mais pas non plus si grave (même si Bardem….) car le film cartonnera de toute façon.
Promets-moi d’Emir Kusturica
Une horreur. Dès le début, ce qui frappe, c’est le nouveau voisinage du cinéma de Kusturica avec celui de Jeunet ou Wallace et Gromit. Même cinéma de savant fou et de la mécanique déréglée, mais hélas sans aucun humour, sans répit et beaucoup de facilité et de vulgarité. A l’hystérie générale, il faut rajouter le premier rôle tenu par un gosse horripilant. Le tout d’une tenue très laide à l’image d’un Chagall recolorié par Tex Avery sous acides.
Alexandra d’Alexander Sokourov
Séance dodo du Festival donc difficile d’en parler. En même temps, je ne sais pas si j’ai vraiment tant dormi que ça tant la manière ouatée du cinéaste peut accueillir le sommeil avec bienveillance. Pour autant, quoique toujours aussi somptueux, m’a plutôt paru un « petit » Sokourov et une variation en mineur sur le délitement de l’empire russe.
Tehilim de Raphaël Nadjari
Premier film vu de ce cinéaste dont j’avais entendu beaucoup de bien. Pas désagréable, mais pas franchement captivant non plus. Veux bien faire des efforts pour le reconsidérer à la hausse et saluer la justesse, l’attention et la proximité de ce cinéma de la cellule familiale en crise. Pour autant, le choix des motifs narratifs (le deuil impossible, la disparition) me paraissent tout de même relever d’une « modernité cinématographique » bien tempérée assez sage et appliquée.
L’Homme de Londres de Bela Tarr
Plan-séquence inaugural de 25 minutes. Eau forte et caméra en suspension. La soif du mal renvoyé aux oubliettes. Un huissier de justice est présent dans la salle pour homologuer le record. Le problème, c’est que Welles avait mis un film après son incipit de légende, et que Bela Tarr a dû penser que ce n’était pas la peine. Est-ce un atavisme purement hongrois de l’exploit pour l’exploit ? Miklos Jancso était imbattable aux Jeux Olympiques du travelling dans les années 60-70 et plus personne ne voit ni ne parle de ses films aujourd’hui. Au cours du film, saupoudrage de quelques indices métaphysiques, car on donne dans les hautes sphères de la pensée : cet homme muet qui nous surveille du haut de son phare, ce serait pas le Créateur absent et ces « tac,tac,tac » omniprésents sur la bande son, ce serait pas le grand compte à rebours du temps qui nous reste à vivre ? Et cette caméra qui flotte, elle reproduirait pas l’équilibre cosmique du système solaire ? Il n’y a qu’une seule lettre de différence entre « artiste » et « autiste ». Jamais un film rempli de « génie inutile » n’a aussi bien mis en évidence ce dangereux voisinage.
We own the night de James Gray
Cas embarrassant et sujet d’empoignades à prévoir. Ai déjà exprimé mes sérieux doutes, donc je n’en rajoute pas. Simplement des questions. Gray ne se drape-t-il pas lui-même dans la posture du « réalisateur qui veut réaliser des projets personnels à l’intérieur du système » ? Qu’est-ce qui le distingue à ce point de ces honnêtes faiseurs de polars (type Curtis Hanson ou James Foley) comme il y en a tant à Hollywood et qui n’excitent jamais aucun critique, aucun festival ? N'est-il pas simplement le "premier de la classe" de ces mêmes faiseurs ? Ne confond-il pas cinéma « classique » et cinéma « scolaire » ? Et puis, quand bien même un cinéaste serait classique (Clint en tête), il impose sa manière et ne « fait pas comme ». Or, Gray « fait tout le temps comme » : un coup Kazan, un coup Scorsese, un coup Coppola. Pas d’horizon autre que le cinéma des glorieux aînés. Je pose donc une dernière question aux fans. Quel enjeu cinématographique, quel pari de cinéma se cacherait derrière We own the night qui mériterait que le film soit défendu à ce point, considéré comme une Palme possible ?
Voilà pour le petit jeu des avis. De toute façon, il n'y aura que moi pour être d'accord, en attendant l'inévitable reconsidération de certains films et certains auteurs à la Bourse des valeurs. Relativité du jugement critique à chaud. Plus tard, j'aurais peut-être honte de ce que j'ai écrit là.
La Forêt de Mogari de Naomi Kawase (Grand Prix)
Joli film mais petite déception. Après Shara et Suzaku, j’étais ressorti de la salle en ayant partagé directement avec les protagonistes du film une émotion tacite et secrète, une émotion qui me faisait oublier que j’étais au cinéma. Pas tout à fait le cas ici. On a même parfois peur de verser dans le prêchi-prêcha ou la cucuterie, mais la progression dans la forêt ramène le film à des enjeux plus resserrés et intenses. Tout se condense autour de ces deux corps (un jeune, un vieux) isolés dans cette nature ni franchement hostile, ni franchement accueillante. Entre-deux peut-être légèrement problématique, car la forêt manque parfois d’un certain envoûtement. Il y a aussi le souvenir des autres films. Je me souviens avoir été plus bouleversé par Distance de Kore-Eda sur le thème du deuil dans la société japonaise. Quant à la perdition dans la nature, c’est difficile de passer après Gerry et Tropical Malady. Cela dit, le Grand Prix fait très plaisir. On espère qu’il fera connaître davantage le travail atypique (longs-métrages + vidéos qui travaillent la mémoire intime) de cette réalisatrice un pied dans le cinéma, un autre dans l’art contemporain.
Paranoid Park de Gus van Sant (Prix du 60eme anniversaire)
Eloge déjà chanté. J’en rajoute une couche en soulignant que ce film de Gus van Sant condense une bonne part de ce que j’attends aujourd’hui du cinéma : la captation du réel et l’ouverture vers un imaginaire qui ne soit pas arbitraire mais ressenti par les protagonistes, une recherche formelle mais là encore qui naît de la persistance d’un regard, une présence des acteurs dans le cadre et un travail de l’espace (déplacements, traversées) qui en eux-mêmes nous en disent déjà énormément, un formalisme qui n'est pas l'ennemi de l'émotion, une image et un son traités comme un réel matériau artistique, une fluidité et une envie de filmer qui passe avant tout discours, toute intention, tout « vouloir dire ». Certains ont dit que Gus se répétait. On peut peut-être avoir l’impression d’avoir déjà vu ça dans ses précédents films, mais il me semble que Paranoid Park produit un cinéma moins soumis à son propre dispositif, ouvert aux vents du réel sans pour autant perdre de sa densité.
Lumière Silencieuse de Carlos Reygadas (prix du jury)
Déjà, ne plus m’excuser d’être l’un des rares fans de ce film. Pour moi, avec le Gus van Sant, l’autre grand geste artistique de cette sélection. Projection où j'ai fait mon petit Claudel et suis ressorti tout électrisé d'une foi nouvelle (mais dans quoi au juste à part le cinéma?). Reygadas abandonne sa matière tapageuse pour poser son regard avec gravité. Certains ont parlé de pompiérisme, mais alors c'est du pompiérisme zen, à l'image de ce film très "oxymoron" qui juxtapose les contraires (la matière et le spirituel, le retour au passé et le contemporain, la nature et la technologie) pour essayer d'en extirper des émotions dans le pur présent. Il est vrai qu’il faut un certain temps pour rentrer dans le film et que son hiératisme (apparemment) arbitraire peut rebuter. A l’image, plans fixes composés. Portrait d’une communauté. Les travaux et les jours. Une crise, mais très dite. Tout se partage dans cette communauté, même les crises. Pas vraiment de dialogues, mais plutôt des phrases simples, qui peuvent même nous paraître trop claires ou descriptives. Pas d’effet de style, si ce n’est celui du rigorisme à tout crin. Que disent ces plans ? L’inscription de l’homme dans une communauté, dans un paysage, son rapport à la technique et à la nature (proche en cela du meilleur Dumont). Ça ne se dessine pas toujours clairement, mais pourtant, au bout d’un moment (c’est vrai que ce moment peut être long, aller jusqu’à plus de la moitié du film ?), l’horizon se dégage. Cette juxtaposition de plans et de mots finit par créer une constellation d’affects et de croyances que nous saisissons de manière sans doute fragmentaire mais suffisamment convaincante. Nous sommes mis face à la dignité de l’homme, à ce qu’il a de plus précieux au fond de lui : cette flamme intime, cette « lumière silencieuse », cette dignité secrète. L’espace du film, la croyance se substitue à la psychologie. Le regard se fait prière.
Persépolis de Marjane Satrapi et Vincent Paronnaud (prix du jury)
Projection où la salle a le plus réagi (en bien) et le plus applaudi. Film qui a tout pour se faire adorer et qui vogue vers un carton assuré en France comme à l’international où la BD a été largement traduite. Animation très sobre et de très haute tenue. Dans les passages évoquant les contextes politiques et historiques, elle renforce le dérisoire aspect « théâtre de marionnettes » du pouvoir. Ensuite, savoureux dialogues et grande justesse du parler adolescent, proche en cela de U d’Elissalde et Solotareff dont le dialogue était presque au niveau de celui de L’Esquive de Kechiche (mais sans verlan). Enfin, dans ce prix et ce triomphe annoncé, je vois la consécration du travail des éditions L’Association. Au départ, un groupe d’auteurs de BD qui se réunissent pour s’auto-publier et à l’arrivée, l’entreprise artistique et éditoriale la plus excitante qui ait eu lieu en France ces quinze dernières années. N’y aurait-il en France que les auteurs de BD (Satrapi, David B, Delisle, Trondheim, Joann Sfar, Riad Sattouf et d’autres) qui savent faire ce que font les cinéastes roumains : à partir de leurs histoires personnelles, parler avec originalité et avec pertinence de leur pays et de leur société ?
Auf der anderen seite de Fatih Akin (prix du scénario)
Pas fan de ce genre de cinéma bien-pensant sur fond de « question politique du moment » (l’entrée de la Turquie dans l’Union Européenne), mais pas étonnant qu’il figure au palmarès. Comme Babel l’an dernier, scénario basé sur des destins arbitrairement croisés et qui s’efforce de faire tomber un à un les préjugés entre les personnages, préjugés qu’il a d’abord soigneusement mis en place. Dommage que Frears n’ait pas salué un scénario moins balisé. Et puis quand même, dans la narration, un curieux usage de l’ironie dramatique qui met souvent le spectateur en avance sur les protagonistes de la fiction. J’arrête là car vous pourrez bientôt lire des éloges de ce film dans toute la presse.
Secret Sunshine de Lee Chang-Dong (prix d’interprétation féminine)
Annoncé comme « une femme coréenne sous influence », ce film souffre quand même de la comparaison avec ses deux modèles : moins intense que le Cassavetes et moins polyphonique qu’ Une femme coréenne d’Im Sang-Soo. Ai mis un peu de temps à rentrer dans le film, mais le récit multiplie les directions avec tellement de bonheur qu’on finit bien par en suivre une. Scénario inventif qu’il aurait été salutaire de saluer et qui restitue bien le processus du dérèglement psychique : pas tant un engrenage qu’un mouvement de balancier oscillant entre différentes émotions qui agitent la protagoniste mais restent douloureusement insaisissables pour son entourage. Pas photo pour le prix d’interprétation de Do-Yeon Jeon quoique Anamaria Marinca de 4 mois… était aussi l’autre grande actrice de la sélection officielle.
Le Bannissement d’Andrei Zviaguintsev (prix d’interprétation masculine)
Première projo cannoise et première grosse déception, inaugurant les films de pompe et d’emphase (selon l’humeur et les goûts, on y inclut ou pas le film de Reygadas). Comme plusieurs films de la sélection, se veut une offrande au « dieu Andrei » (je reviendrai sur ces films sous influence tarkovskienne), mais le problème, c’est que ça sent continuellement le cinéma et pas le réel : la pluie, le feu, la poussière restent des pluies, des feux, des poussières de cinéma quand elles se voudraient des épiphanies. L’acteur principal évoque physiquement Marc Barbé. Même intensité dans sa jeu, quoique sa composition dans le Retour (précédent film adoré de Zviaguintsev) me paraissait plus riche et traversée par plus d’ambiguïté (la douceur et l’autorité). Reste donc un peu étonné par le prix d’interprétation car ce cinéma de la surcomposition écrase les acteurs.
Les chansons d’amour de Christophe Honoré
Pour la presse française, les dithyrambes étaient joués d’avance, mais pour la presse internationale, c’est la cata. Encore un « stupid french film » ! Pour ma part, d’abord jugé anecdotique, ce film est revenu à la surface de mes souvenirs. Film avec du charme, mais qui se repose un peu trop dessus, à l’image de ce cabotinage de Louis Garrel lors des repas de famille. Tout cela sent parfois le remplissage. Pour aggraver son cas, ce film quand même vite écrit, vite tourné, vite monté se réclame de Demy ou de Resnais alors qu’il ignore totalement la rigueur et leur formalisme. Honoré regrette que les cinéastes ne fassent pas appel aux chorégraphes mais pourquoi n’a-t-il pas lui-même joint l’acte à l’intention et mis un peu plus de chorégraphie dans son film ou fait preuve d’un travail plus affirmé sur les corps ? En dépit de tout ça, qu’est-ce qui séduit quand même ? Des petites choses qui sont déjà importantes : simplement les comédiens et l’instantané de Paris, période campagne électorale (que ce temps semble déjà loin). Ce film se démodera, mais avec du charme. Le charme, toujours le charme. Séduisant mais limité ou limité mais séduisant. Et puis, il y a ces chansons chantés à la limite du faux par les comédiens, ces chansons que je ne suis même pas sûr d’aimer mais qui semblent dire qu’en sentiments comme en musique, les dissonances valent bien les accords. Et dans un festival hanté par « la grande forme », cet éloge du mineur est apparu rétrospectivement plutôt bienvenu.
A noter enfin que le court-métrage Entracte de Yann Gonzalez, vu à la Quinzaine, présente d’étranges similitudes de projet et de thématiques avec le film d’Honoré, tout en proposant une forme beaucoup plus cinglante, rageuse et plus frontalement godardienne. J’y reviendrai en évoquant plusieurs films qui s’agenouillent devant « le dieu Godard » vus durant ce Festival.
Une vieille maîtresse de Catherine Breillat
Apparemment, il y a eu quelques sifflets et des fous rires pendant la projection du soir, celle où le public « qui a toujours raison » se croit tout permis. Très injuste car assez bonne surprise. Pas particulièrement adepte du cinéma de Breillat (qui noie souvent ses films sous sa propre logorrhée pour, un comble, produire un discours pas franchement net), j’y ai vu là son meilleur film depuis Parfait Amour. Dans un cinéma français esclave de ses acteurs bankables et cumulards, elle ose et réussit le casting qui dépote : une icône fashion-trash Asia Argento + l’inconnu magnétique Fu’ad Aït Aattou + Claude Sarraute de la bande à Ruquier + Lonsdale, ce génie de la saveur des mots + Yolande Moreau en aristo + la velasquezienne Roxane Mesquida + un salonnard des Cahiers + Lio en cantatrice guest, tous très bien. Surtout, dans l’écrin d’une reconstitution sobre et de bonne tenue, elle réussit enfin à filmer la parole amoureuse comme un rituel, voire un sortilège. Certains ont reproché la jeunesse des acteurs principaux, mais c’est principalement cela qui est fort. Ces visages sont jeunes mais ils abritent chacun à la fois la beauté et la laideur, le masculin et le féminin, la douceur et la cruauté. L’absence de marques du temps sur leurs visages leur confère alors une belle atemporalité. Pour ma part, j’aurais bien donné un prix du scénario pour la belle restitution de cette langue du dix-neuvième encore toute imprégnée de l’esprit lettré et libertin du dix-huitième.
Deathproof de Quentin Tarantino
A la sortie de la salle, pas loin d’hurler à l’arnaque. Et puis, en y repensant, on peut trouver une singularité voire un intérêt à cette métaphore fun de la guerre des sexes. Cela dit, pas passionnant. Comme dans 95% des films américains, les deux meilleures séquences sont le générique de début et de fin, assez sensuels et malicieux. Sinon, transformation du dialogue en bavardage. « Whyyyyyyyyyyyyyyyy » attendre 25 minutes pour une pauvre réplique qui tue ? Pour patienter avant le morceau de bravoure final, quelques bombasses qui se trémoussent sur de la bonne soul. Attendez les prochains Cahiers pour lire quantité d’éloges sur cette bouffonnerie. La rumeur dit que c’est l’un de leurs films préférés de tout le Festival, si ce n’est leur préféré. Une façon comme une autre de tuer le père Godard.
Import Export d’Ulrich Seidl
Film provoc du festival, qui a hérissé la presse française mais a plutôt été bien accueilli par la presse internationale et en projection officielle. Presque l’inverse du Honoré, somme toute. Film qui a tellement tout pour se faire détester que j’ai presque envie de prendre sa défense. Succession de vignettes scénographiques de la cruauté et de l’humiliation, mais contrebalancées par certaines touches d’humour et souvent une réelle valeur documentaire. Cela évoque aussi bien le Haneke de 71 fragments… que les reportages de « strip-tease » voire les happenings des actionnistes viennois où l’exhibition du corps souffrant sert de révélateur à la violence sociale et historique. Evidemment que le film se délite et se vautre même dans sa dernière partie où Seidl semble curieusement abandonner sa rigueur et saborde son système. Pour autant, quelques scènes marquantes où l’humiliation la plus abjecte n’est pas la plus spectaculaire, comme cette confrontation entre l’héroïne baby-sitter et la mère qui l’emploie et qui donne systématiquement raison à son enfant tyran. Quant aux scènes si décriées dans le service gériatrique, j’y trouve parfois une paradoxale dignité. J’écoute les voix de ces vieillards, le seul souffle qui traverse leurs corps flétris, et j’entends là une mélodie fragile et d’autant plus précieuse.
Si on m’avait laissé faire mon Cronenberg, j’aurais presque pu donner un prix d’interprétation à Ekateryna Rak – pas une actrice professionnelle, me semble-t-il - pour tout ce qu’elle a dû endurer.
No country for old men des frères Coen
Après Fargo, les grands espaces réussissent aux Coen qui posent là un jalon du « nouveau western ». Après avoir été les maîtres du second degré, ils redécouvrent avec plaisir les joies du premier et du récit linéaire, pas à pas. La composition de Javier Bardem en Hannibal Lecter de comics était un prix d’interprétation tellement évident qu’il ne l’a pas eu. Il y a aussi les meilleures scènes d’action, sèches, nerveuses et inventives, de tous les films américains de la sélection. Absent du palmarès, mais pas non plus si grave (même si Bardem….) car le film cartonnera de toute façon.
Promets-moi d’Emir Kusturica
Une horreur. Dès le début, ce qui frappe, c’est le nouveau voisinage du cinéma de Kusturica avec celui de Jeunet ou Wallace et Gromit. Même cinéma de savant fou et de la mécanique déréglée, mais hélas sans aucun humour, sans répit et beaucoup de facilité et de vulgarité. A l’hystérie générale, il faut rajouter le premier rôle tenu par un gosse horripilant. Le tout d’une tenue très laide à l’image d’un Chagall recolorié par Tex Avery sous acides.
Alexandra d’Alexander Sokourov
Séance dodo du Festival donc difficile d’en parler. En même temps, je ne sais pas si j’ai vraiment tant dormi que ça tant la manière ouatée du cinéaste peut accueillir le sommeil avec bienveillance. Pour autant, quoique toujours aussi somptueux, m’a plutôt paru un « petit » Sokourov et une variation en mineur sur le délitement de l’empire russe.
Tehilim de Raphaël Nadjari
Premier film vu de ce cinéaste dont j’avais entendu beaucoup de bien. Pas désagréable, mais pas franchement captivant non plus. Veux bien faire des efforts pour le reconsidérer à la hausse et saluer la justesse, l’attention et la proximité de ce cinéma de la cellule familiale en crise. Pour autant, le choix des motifs narratifs (le deuil impossible, la disparition) me paraissent tout de même relever d’une « modernité cinématographique » bien tempérée assez sage et appliquée.
L’Homme de Londres de Bela Tarr
Plan-séquence inaugural de 25 minutes. Eau forte et caméra en suspension. La soif du mal renvoyé aux oubliettes. Un huissier de justice est présent dans la salle pour homologuer le record. Le problème, c’est que Welles avait mis un film après son incipit de légende, et que Bela Tarr a dû penser que ce n’était pas la peine. Est-ce un atavisme purement hongrois de l’exploit pour l’exploit ? Miklos Jancso était imbattable aux Jeux Olympiques du travelling dans les années 60-70 et plus personne ne voit ni ne parle de ses films aujourd’hui. Au cours du film, saupoudrage de quelques indices métaphysiques, car on donne dans les hautes sphères de la pensée : cet homme muet qui nous surveille du haut de son phare, ce serait pas le Créateur absent et ces « tac,tac,tac » omniprésents sur la bande son, ce serait pas le grand compte à rebours du temps qui nous reste à vivre ? Et cette caméra qui flotte, elle reproduirait pas l’équilibre cosmique du système solaire ? Il n’y a qu’une seule lettre de différence entre « artiste » et « autiste ». Jamais un film rempli de « génie inutile » n’a aussi bien mis en évidence ce dangereux voisinage.
We own the night de James Gray
Cas embarrassant et sujet d’empoignades à prévoir. Ai déjà exprimé mes sérieux doutes, donc je n’en rajoute pas. Simplement des questions. Gray ne se drape-t-il pas lui-même dans la posture du « réalisateur qui veut réaliser des projets personnels à l’intérieur du système » ? Qu’est-ce qui le distingue à ce point de ces honnêtes faiseurs de polars (type Curtis Hanson ou James Foley) comme il y en a tant à Hollywood et qui n’excitent jamais aucun critique, aucun festival ? N'est-il pas simplement le "premier de la classe" de ces mêmes faiseurs ? Ne confond-il pas cinéma « classique » et cinéma « scolaire » ? Et puis, quand bien même un cinéaste serait classique (Clint en tête), il impose sa manière et ne « fait pas comme ». Or, Gray « fait tout le temps comme » : un coup Kazan, un coup Scorsese, un coup Coppola. Pas d’horizon autre que le cinéma des glorieux aînés. Je pose donc une dernière question aux fans. Quel enjeu cinématographique, quel pari de cinéma se cacherait derrière We own the night qui mériterait que le film soit défendu à ce point, considéré comme une Palme possible ?
Voilà pour le petit jeu des avis. De toute façon, il n'y aura que moi pour être d'accord, en attendant l'inévitable reconsidération de certains films et certains auteurs à la Bourse des valeurs. Relativité du jugement critique à chaud. Plus tard, j'aurais peut-être honte de ce que j'ai écrit là.
1 commentaire:
Plutôt d'accord sur Kusturica, Béla Tarr, Breillat, moins sur Gray, Van Sant & Akin... On va pouvoir en recauser plus longuement (et des autres sélections, quoique apparemment on n'a pas tellement vu les mêmes films). A bientôt sur les blogs !
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