dimanche 30 octobre 2011

Explosante - fixe

Encore une occasion d'avouer mon inculture crasse en musique. Il y a une semaine encore, je ne connaissais pas The Black Keys, et comme beaucoup, je suis tombé sur ce clip fabuleux :


Fabuleux pourquoi ? Parce qu'il appartient à la catégorie la plus restreinte, la plus fascinante, mais aussi la plus casse-gueule des clips : l'alliage absolu minimalisme, humour et invention. Cette danse-karaoké qui mime les paroles avec naïveté et entrain, c'est beau et poignant, à la fois comme la démangeaison vitale de la danse et comme le premier émerveillement du cinéma. Si je me laissais aller à l'outre-théorie fumeuse, je dirais qu'on tiendrait là le versant "Frères Lumière" (plan-séquence fixe, pur enregistrement, ontologie du réel) de cette autre fabuleuse chorégraphie, mais beaucoup plus fragmentée, découpée et "truquée" (et qui symboliserait donc - si tout le monde suit bien, même au fond de la classe - le versant "Georges Méliès" de ces clips minimalistes) :

Christopher Walken dans Weapon of a choice (Fatboy Slim - Spike Jonze 2000)

En fait, ces clips "baziniens", de pur enregistrement d'une performance simple en soi, mais rendue incroyablement intense par la musique, je n'en connais pas beaucoup non plus. De mémoire, celui qui me revient en tête, c'est celui-là, aussi cheap que puissant, réalisé par Andrew Hung, le leader des Fuck Buttons :


Ou l'alliance parfaite de la vidéo de vacances et de la musique libératrice, qui donne à l'ensemble une dimension progressivement explosive (à l'unisson de la progression de ces mouvements de taï-chi), voire hallucinatoire.

Et j'aime bien, même s'il n'est pas totalement abouti, ce clip d'amateur en hommage à une sublime chanson des Breeders.
(A partir de 1:27. Ce n 'est pas une mauvaise idée, en soi, de faire disparaître la danseuse au moment du pur instrumental, mais les images de vagues deviennent pour le coup, faiblardes. Les vibrations maritimes ne s'accordent pas aux ondulations guitares/batterie.)


Si ces clips me touchent, au-delà de leur aspect de performance, au-delà de leur optimalité visuelle et auditive, c'est parce qu'ils me paraissent aussi produire des émotions compactes qu'on croise rarement au cinéma. Même les meilleures et plus surprenantes scènes de danse au cinéma (au hasard, celles de Simple men ou de Shara) jouent sur un autre registre, beaucoup plus orchestré et chorégraphié. Dans ces clips, il y a un dépouillement unique, un dépouillement mais pas une austérité, non plus. Quelque chose de joyeux, l'émotion du danseur solitaire, qui domine son corps pour mieux le laisser exploser. En fait, cette émotion, si je vois maintenant, je l'ai vue dans une très courte séquence d'un film que je n'ai même pas vu :

James Cagney dans La glorieuse parade (Michael Curtiz 1942)

Quelques pas, quelques marches, une danse comme une parenthèse. Le corps qui s'autorise des écarts, puis reprend sa marche routinière. Ce mouvement totalement gracieux et imprévisible, et capté sans effets de surlignage par la mise en scène, c'est plus ou moins aussi celui qui se décline dans ces différents clips. Tous sont finalement de discrets manifestes pour un corps saisi (artifice de la musique aidant) par, pour reprendre les mots d'André Breton, "une beauté convulsive, explosante-fixe, magique-circonstancielle". Nul doute que, quand bien même, ces clips (à l'exception relative du Jonze) restent pétris de prosaïsme, ils portent en eux une rengaine surréaliste.