jeudi 28 mai 2009

Avant Cannes...

... il y avait pour moi, le festival régional du film d'art lycéen ou plutôt ma première expérience pédagogique au long cours, ou plus précisément, pour terminer cette année scolaire, une exposition Traces urbaines sur la thématique "ville et vidéo" dont j'ai (en partie) encadré les travaux.

Sur le "mur livre d'or", j'aime beaucoup cette petite taquinerie complice sur le prénom de mon collègue :
Bon, évidemment, si j'avais travaillé avec God-Art (ou God-Hard ?), je ne toucherais plus terre. Quant à Là-Quand, il ne serait, je crois, jamais venu. Et True-Faux serait-il "un mensonge qui dit la vérité" ?..

Looking for Eric

Pas (encore) vu le Ken Loach, mais il était déjà écrit que Canto serait comme chez lui à Cannes.
(Dois pas être le premier à la faire, celle-là...)

lundi 25 mai 2009

La déprime du dimanche soir de palmarès

Resnais, Bellochio, Suleiman, si ça peut vous consoler, dites-vous que certains cinéastes sont trop grands pour recevoir des petits prix et que, quand ils en reçoivent, ils ont l'air à peu près aussi "heureux" qu'Haneke :



***

Bon sinon, comme tout ivrogne de cinéma qui se respecte, quelques commentaires de bistro (même si je n'ai vu que la moitié des films de la sélection et pas Audiard, Andrea Arnold, Lou Ye et Park Chan Wook).

Triste donc pour Suleiman et Bellochio. Content pour Mendoza (la seule décision vraiment tranchée et tranchante du palmarès) et Christoph Waltz (nouvelle mise en application de l'axiome hitchockien : "plus le méchant est réussi, plus réussi est le film"). Palme pas scandaleuse pour Haneke, mais guère passionnante non plus. Pas inintéressant, maîtrisé, mais quand même fort vitrifié et très propre, tout ça. Et s'il suffisait de faire austère et de chiader son noir et blanc pour se retrouver "entre Bergman et Dreyer", ça se saurait. Même les films les plus sombres et naturalistes de Bergman demeurent toujours prompts à faire surgir un incroyable et inattendu imaginaire et c'est justement l'imaginaire, le grand absent du cinéma de Haneke (le fantasme est toujours là, mais plutôt en épée de Damoclès, sur le mode culpabilisant). 

S'il s'agit de comparer les films à thématiques et à démarches comparables (sonder la généalogie de la barbarie de son pays, sonder l'Histoire en la ramenant dans la chronique du présent, ambition de fresque), Le ruban blanc n'avait, somme toute, qu'un seul film rival : Vincere de Bellochio. Intéressant de voir comment ces deux films pourraient se regarder en chiens de faïence.

Sur le plan de la "direction artistique", deux revisitations des avant-gardes : la nouvelle objectivité photographique chez Haneke (même si l'action de son film est antérieure à l'émergence du mouvement) versus le futurisme dans le théâtre d'ombres de Bellochio. Mais là où Haneke déploie consciencieusement sa scénographie, Bellochio paraît réellement réinterroger les formes et les idées de l'époque, pas tant pour les faire résonner avec aujourd'hui que pour en retourner toutes les ambiguïtés et les réorienter vers sa propre colère d'artiste. Pour aller vite, j'ai l'impression très nette que Bellochio pratique une sorte de "judo narratif et formel": s'appuyer sur la puissance ostentatoire, sur la grandiloquence de son ennemi pour mieux la détourner vers ses propres cibles (l'hypocrisie des institutions pour encore une fois, aller très vite). 

Vincere est un film complexe, complexe sur le plan de la forme et du contenu, complexe aussi parce que presque anachronique. Il évoque davantage "la grande fresque d'auteur des années 70"  que les contemporaines poses post-modernes. En ce sens, cet examen d'une famille "clandestine" rendue dysfonctionnelle par l'Histoire pourrait dialoguer avec Le conformiste de Bertollucci qui examinait déjà le fascisme à la lumière d'Oedipe.

Alors que le Ruban blanc reste quand même balisé, Vincere est foisonnant. Là où Haneke reste didactique, Bellochio préfère la dialectique. Quand Haneke reste (et restera) le prof honoré de sa Palme (académique ?), Bellochio demeure l'éternel (jeune) homme en colère du fond de la classe (et Resnais l'élève faux dillettante, brillant et rêveur).

 ***

Pour finir (en attendant peut-être de revenir sur Moullet, le film collectif roumain et d'autres), l'inévitable palmarès subjectif :

Palme d'or du film incompris : Inglourious basterds (Bon, je ne dis pas que je suis en télépathie avec Quentin, que moi j'ai tout compris contrairement aux nombreux déçus par le film, mais voilà une oeuvre beaucoup plus complexe qu'il n'y paraît, en particulier sur l'obsession tarantinienne de la vengeance, et dont le final reste tout de même un summum plastique).

Prix Marcel Proust (faux nombrilisme, tableau d'une société, élégance du style) : Time that remains d'Elia Suleiman

Prix Pedro Almodovar du plus beau portrait de femme : Mother de Bong Joon-Ho

Prix Michelle Pfeiffer des retrouvailles les plus délicieuses : la merveilleuse, la classieuse, la resplendissante Irène Jacob en mère d'élève délurée dans Les beaux gosses de Riad Sattouf (et dire que je ne l'avais même pas reconnue).

Prix du meilleur édito contenu dans une réplique de film : "Le Président Chirac avait une fille schizoïde, mais pas le Président Sarkozy qui diminua donc les crédits de la psychiatrie". (in La terre de la folie de Luc Moullet).

Prix des "Choristes pervers" pour la meileure réplique "c'était mieux avant" : "Le mieux, c'est le catalogue de la Redoute 1986, les photos, elles sont pas retouchées, on voit les poils et les tétons sous la lingerie." (citation de mémoire, encore dans Les beaux gosses).

Prix de l'animal de compagnie : le cochon domestique dans Contes de l'âge d'or 

Prix de l'animal de mauvaise augure : le renard parlant dans Antichrist

Prix des meilleures répliques animalières : impossible de départager "Maman, quand je serais un chat, est-ce que je pourrai manger des croquettes ?" (Les herbes folles d'Alain Resnais) et "Le cerf s'est échappé dans Paris ? Mais il trottine où ?" (Visage de Tsaï Ming-Liang)

Prix de la réplique particulièrement mal venue : "Comment faire confiance à quelqu'un qui passe son temps au cinéma ?" (ou quelque chose dans le genre, entendu dans Map of sounds of Tokyo d'Isabel Coixet)

C'est vrai ça, à force de voir trop de films, on va finir par se poser la question. Confiance ou pas confiance ?...

Sauvez Tsaï !

Après le départ de Bertrand B. lors du précédent tour de l'Auteur Academy, les rangs se resserrent dans le ghota du cinéma mondial et à l'issue d'une revue d'effectifs, il est temps de proposer trois nouveaux nominés pour cette année.

Pour sauver Claire Denis, tapez 1 !

L'avis du conseil de classe :
Bon, Claire, tu n'étais pas à Cannes cette année, mais ce sommet d'académisme contemporain qu'est 35 rhums, je n'arrive toujours pas à m'y faire. La routine du film de festival ou un corrigé des annales de la Fémis, c'est tout ce que ça m'évoque, ta chronique sensiblarde avec les signes du bon goût apparent (Bresson, Ozu, Tindersticks), ce culte du sous-entendu et ce refus ostensible du récit "pour faire moderne". Cette nomination te pendait au nez depuis plusieurs films, mais cette fois, c'est pour que tu te ressaisises. Bon, en même temps, peu de chances que tu partes puisque tu seras, de toute façon sauvée par tes copains, euh, les critiques, je veux dire. 

Pour sauver Raya Martin, tapez 2 !

Trop speed, le Raya, même plus le temps d'enlever son casque entre deux longs-métrages !

L'avis du conseil de classe :
Bon, Raya, tu sais que tu en énerves plus d'un ! 25 ans, déjà sept (!) longs-métrages dont trois (!!) en 2008 et deux (!!! enfin un et demi puisque le second Manila est une co-réalisation avec Adolfo Alix Jr.) en sélection officielle cette année. Bon, Raya, à Cannes, tu as présenté Independencia à Un certain regard et, excuse-moi, mais ça sent beaucoup trop la copie de premier de la classe : énumération de toutes les aides festivalières possibles et inimaginables au générique (fonds Sud et Huberts Bals, Cinéfondation, Berlin, Rotterdam...) et surtout catalogue de tous les tics post-modernes (film pastiche ou plutôt fabrication de "fausses archives", culte de l'artifice, césure du film en son milieu, installationisme hurlé à chaque plan), qui font juste signe et pas oeuvre. C'est du prêt-à-conceptualiser ton cinéma, au service, d'une forme attrape-gogo et d'un fond somme toute convenu (le colonialisme, ça a fait du mal, pour y échapper, il faut retourner à l'état de la nature, mais la nature est mauvaise). Certes, tu n'es pas nul et tout n'est pas à jeter dans ton film, mais la réussite de la belle scène d'orage à la fin insinuerait presque un doute : et si tu tenais juste à nous montrer que tu en as ! D'autant plus qu'en présentant ton film, tu as indiqué que tu "étais prêt à mourir pour le cinéma". Franchement inquiétant, ça Raya ! Tu tiens vraiment à prendre la place de cinéaste taliban de Lars von Trier ?
Un conseil puisque tu es encore jeune : Vis ! Arrête de te jeter sur les dossiers de subvention et (accessoirement)  sur ta caméra !  Tu as 62 ans de moins que Resnais, 75 de moins qu'Oliveira et donc encore un certain temps devant toi avant de faire des films vraiment novateurs ! 

Rassurant, pas rassurant (c'est selon) : à ton sujet, Libé a l'air de penser la même chose.

Pour sauver Tsaï Ming Liang, tapez 3 !

L'avis du conseil de classe :
Bon Dieu, Tsaï, que t'es-t-il arrivé ? Tes deux derniers films étaient inventifs, insolents et poignants ! Tu semblais être revenu au meilleur de ta forme. Ton Visage, je l'attendais avec impatience et je constate avec tristesse que tu as sauté à pieds joints dans l'art officiel, dans l'installation mondano-chic, embaumée et qui en dit long sur certaines "commandes" propres au cinéma français voire purement parisien. Rive droite, on filme les hauts revenus du cinéma français s'inviter à dîner en ville (Le code a changé de Danièle Thomson). Rive gauche, on convoque autour de la table les icônes du patrimoine (Jeanne Moreau, Fanny Ardant, Jean-Pierre Léaud) qui, c'est triste et terrible à dire mais c'est comme ça, apparaissent aujourd'hui aussi impossibles à filmer que Depardieu.

A la table de la grande famille du cinéma français !

Dans chacun des deux cas, le même ennui, le même embarras devant ce défilé de noms, ce petit milieu clos sur lui-même et constamment orienté dans le rétroviseur. Et Tsaï, malgré quelques éclats qui restent de ton cinéma, on a l'impression que tu t'es autant ennuyé à faire ton film que nous à le regarder. Certes, là non plus, tout n'est pas nul. Le film commençait même bien avec ce rendez-vous manqué dans un café où l'attention ne se focalise que sur quelques motifs purement parisiens (la tasse de café, l'envol des pigeons dans le reflet de la façade vitrée). Et de temps en temps, on retrouve encore des traces de ton humour cinglant, de ta poésie scabreuse, de ton insolence minimale (ce travelling souterrain où tu oses l'ombre de la caméra). On voit que tu t'es plu à regarder Laetitia Casta (belle séquence des yeux maquillés) et que tu as osé avec elle (très belle scène d'amour au briquet ambiance "Georges de la Tour") ce que la déférence t'a interdite avec les autres. Mais au final, les bons moments de Visage sont trop épars pour faire vraiment décoller le film. Il y avait les coffee table books, les livres (souvent d'art et pas lus) à faire traîner sur la table basse. Là, Tsaï, tu viens d'inventer le "coffee table film", le DVD qui traînera sur la table basse d'un fonctionnaire du Ministère de la Culture, rue Guynemer. Au moins, tu as inventé un genre, mais tu mérites tellement mieux que ça, Tsaï ! Reviens, Tsaï ! On te pardonne pour cette fois, mais je t'en supplie, reviens !

Rassurant, pas rassurant (c'est selon) : à ton sujet, Libé a l'air de penser exactement le contraire.

Bon, on me dit que ce n'est pas la peine d'appeler puisque c'est Michael qui a gagné de toute façon ! 

vendredi 22 mai 2009

Into the void

Enter the void n'est ni sublime, ni scandaleux, juste monotone et paresseux. Un film qui ne dévie jamais de son (mince) programme exposé avec un sérieux papal, un peu comme si mon petit frère de 15 ans venant de lire le livre des morts tibétains, tentait de m'expliquer le bouddhisme. Entendu à la sortie : "la caméra tourne tout le temps sur elle-même et rentre dans tous les trous où elle peut rentrer. C'est donc un film très pénétrant". Si je rajoute que pour ma part, cela constituait mon dépucelage avec le cinéma de Gaspar Noé, c'est peut-être le mot qui convient, si on veut, oui...

Et puis, je me suis rendu compte qu'avec mon téléphone portable posé sur l'escalator du Palais et en visant les néons, je pouvais faire comme Gaspar Noé : reproduire le célèbre Beyond the infinite de 2001 :



Bon, je m'en veux presque de prendre des cibles faciles et de ne pas parler davantage des films plus intéressants , mais j'attends un peu que ça se décante. Le cas le plus exemplaire étant celui de Tarantino, dont les deux heures et demie n'apparaissent paradoxalement que la face émergée de l'iceberg: une super bande-annonce d'une épopée démente et d'une grande complexité de lecture. Cela pourrait sonner comme une critique, mais pour moi, c'est un immense compliment. Je tenterai d'y revenir dans quelques jours. J'ai entendu '33 parler de film langien. Assez séduit par l'hypothèse, d'autant plus que le film paraît même offrir le plus beau des hommages à l'auteur de Mabuse : ni plus ni moins que lui (re)donner les armes pour que son cinéma prenne sa revanche sur le nazisme.

Sinon, ce matin, leçon d'élégance, d'invention et de discrétion avec The time that remains d'Elia Suleiman. Là encore, peut-être de plus amples développements bientôt. Ca valait le coup d'attendre sept ans.

Je me demande si les Herbes folles ne poursuit pas secrètement le plus déroutant des Resnais Je t'aime, je t'aime (1968). Il y a quarante ans, c'était "la minute sans fin" que le héros était condamné à revivre. Déjà, au niveau de la boucle temporelle, c'était un peu autre chose que Noé et son permanent fantasme d'extase et de régression. Aujourd'hui, les Herbes folles, c'est une "minute originelle" qui ne cesse d'être repoussée, fantasmée, réinterprétée... Et aujourd'hui, ce déroutant épilogue de l'enfant aspirant au devenir-chat, quand il y a quarante ans, on affirmait que "l'homme invente des milliers d'objets que pour produire les quelques objets nécessaires au chat".

jeudi 21 mai 2009

Amour et bonne santé

Chanson d'amour et de bonne santé. De loin, le plus beau titre de tout le Festival. C'est celui d'un court-métrage de Joao Nicolau présenté à la Quinzaine (mais que j'ai pu voir avant sa présentation officielle demain, grâce aux bornes du short film corner). Amour et bonne santé, comment refuser dans ce festival où l'on croise plus que de coutume, mutilations, châtiments et lacérations... Et donc le film de Nicolau, touchant et ludique autoportrait qui se plaît à travers scénographies minimales et pince-sans-rire (un film qui arrive à transformer une galerie commerciale triste à pleurer en lieu où l'on rencontre l'amour ne peut pas être mauvais), à traquer le point de conjonction entre l'oisiveté et la créativité, entre l'impassibilité et le bouleversement intérieur, entre la fatigue et la jubilation sentimentale.

Chanson d'amour et de bonne santé. Once again. Ce pourrait être, également, le titre du dernier Resnais, inséparable de son proverbial accoutrement de sphinx impérial et malicieux : lunettes noires, chemise rouge et baskets blanches.

Difficile de définir le charme de ces Herbes folles et surtout l'impression (dissemblable forcément dissemblable dirait l'inspiratrice d'Hiroshima mon amour) qu'il procure à chacun de ses spectateurs.

Bon, je pourrais dire, pour aller vite que c'est le meilleur de la comédie sophistiquée (entre Shop around the corner, The ghost and Mrs Muir, Elle et lui) revisité par Nathalie Sarraute (le travail sur les impasses du langage, les hésitations et mots qui échappent).

Je pourrais dire, aussi, que pendant la projection des Herbes folles, je ne cessais de me fredonner intérieurement cette chanson :

... cousine du film par son impeccable tempo mais aussi de motif : cette accumulation d'indécisions, de choses qui pourraient advenir mais ne se poursuivent pas vraiment, ces projections mentales qui ne sont pas encore de l'action mais qui sont plus que de la velléité. Le film, en son entier, vogue dans cette somme d'embryons et de pistes ouvertes qui au final génère bien plus qu'une simple illustration psychanalytique, une pelote d'affects, d'images et d'émotions qui continuera longtemps à hanter la mémoire du spectateur.

Bon allez, en attendant la suite, pour tout le monde, amour et bonne santé !

Si la vie était un film de Lars von Trier...


... je me repentirais, me sanctifierais, me scarifierais par le feu ou le papier de verre car oui, j'ai failli, j'ai fauté, j'ai dérogé à un article essentiel de ma charte personnelle CINEPHILIS qui synthétise tous mes engagements de spectateur. J'y avais ainsi consigné que le jour où je pourrais enfin voir A brighter summer day (Edward Yang 1991), je déposerai mes RTT, j'annulerai tous mes rendes-vous, je remettrai à plus tard toutes les affaires courantes y compris les plus urgentes. Car ce film, voyez-vous, c'est mon Moby Dick, le film que je rêve de voir depuis des années et qui se dérobe sans cesse à mon regard. Tenté une première fois au cinéma en plein air de la Villette, mais séance annulée à cause d'un orage dantesque deux heures avant la projection. Je l'ai même tél*****gé, mais je refuse finalement de le voir sur un écran d'ordinateur.

Et bien, voyez-vous, ce film est passé, il y a deux jours, à Cannes Classics et j'ai séché la projection. Honte sur moi !...

Peur que tous les autres films de Cannes paraissent fades à côté ou peur de la déception ? Sans doute un peu des deux. Quoi qu'il en soit, j'ai entendu dire qu'une rétro Edward Yang était prévue cette année à la Cinémathèque, donc cette fois, ça devrait être la bonne.

Donc sinon, Antichrist ? Pas autre chose que le film d'un type qui se rêve en Jérôme Bosch né 500 ans trop tard, mais qui se console en tentant d'entrer en télépathie avec Tarkovski pour lui demander les recettes de réalisation du shocker ultime avec une caméra dédicacée par Kubrick. C'est tellement gros qu'on se demande si l'arnaque fait elle aussi, oui ou non, partie du projet. Rajoutons que Paulo Coelho, le "gourou du bonheur" était venu assister à la projection de l'oeuvre du "gourou du malheur", histoire de rajouter encore un peu plus de confusion mentale et esthétique à ce sinistre non-évènement.

mardi 19 mai 2009

Le corps absent

Avec Irène, Alain Cavalier se confronte à sa plus intense douleur: la disparition brutale de sa compagne, Irène Tunc, dans un accident de voiture un dimanche de janvier 1972. Après avoir tourné autour de ce traumatisme qui entraîna une rupture dans sa manière de pratiquer le cinéma dans Ce répondeur ne prend pas de messages en 1979, Cavalier le réinvestit à nouveau en fier enquêteur de sa propre obsession.

Le meilleur du film tient dans sa façon de tourner autour de cette figure de la muse et d'en imaginer plusieurs possibles de sa représentation : une photo secrète de Sophie Marceau, une silhouette dans la nuit, des ombres sur des draps, des natures morts à base d'oreillers et de lits défaits, des sculptures improvisées à base de boules et de pierres. Belle quête que celle de l'empreinte de ce corps adoré puis évanoui. Dans ces moments-là, l'invention de Cavalier fait merveille. L'absence de chair donne paradoxalement corps à cette obssession (quasi vertigo-ienne), obsession qui n'en devient que plus puissamment charnelle.

Peu importe si le film me paraît parfois plus morne que ses précédents, touché par une certaine baisse de vitalité (mais en même temps, c'est aussi le sujet du film) et suscitte parfois davantage le respect (de la démarche) que la pure émotion. Il n'en reste pas moins qu'à son meilleur, ce dernier (peut-être vraiment le dernier, j'ai l'impression) opus transmet le vertige de filmer, de se raccrocher à l'objectif de la caméra vidéo, montré ici non seulement comme un prolongement de l'oeil, mais appelant aussi d'autres figures trouées : le cyclone intime, le centre de la spirale vertigineuse du souvenir (impressionnante séquence où Cavalier se casse la gueule dans les escaliers, tout en refusant de lâcher sa caméra), l'origine du monde.

Je cherchais une image pour éclairer cette idée de l'empreinte du corps absent et j'apprends que cette toile de Magritte : s'intitule La philosophie dans le boudoir (1947). Occasion d'évoquer un autre film honteusement mal accueilli et qui a fait pas mal jaser : Kinatay (Brillante Mendoza), une autre histoire de corps en morceaux. Mais sans doute aussi un sérieux prétendant au titre de "film le plus sadien de la compétition" (sous-catégorie où le ciné-évangéliste Lars von Trier et Park Chan Wook ont déjà apporté leur contribution, en attendant éventuellement Tarantino, Haneke et Gaspar Noé dont les films ne sont pas encore passés, mais dont le casier contient déjà de lourds sévices et mutilations en scope).

Disons que Kinatay, c'est "Van der Keuken meets le divin marquis". L'histoire d'un jeune étudiant en criminologie qui, pour subvenir à ses besoins, doit accepter de faire des heures sup nocturnes au service d'un "gang des barbares" local. Première partie: grouillant documentaire dans le labyrinthe du "Manille global village" qui donne véritablement l'impression d'ouvrir toutes les portes de la cité et de la société. Deuxième partie de la trajectoire : dans une maison isolée et coupée du monde, une sombre histoire de vengeance, châtiment, loi du talion traitée sur le mode d'un macabre cérémonial avec durée réelle (comme chez Sade, il faut partir loin, très loin et pour ressentir cet éloignement, il faut tout indiquer du trajet) où si les nerfs sont mis à contribution, ce n'est pas tant avec ce que l'on voit (plutôt des ombres et comme dans Salo, on sent quand même que le réalisateur s'est posé beaucoup de questions sur les "dispositifs de voyeurisme", la synchronisation ou non du son et de l'image) qu'avec ce que l'on ressent (bad, bad, bad vibrations). Deux parties donc, jour et nuit, grouillement et platitude, vie de famille et loi du gang, chacun montrés comme deux faces indissociables d'une même réalité. Film pour le coup plus qu'inconfortable et désespéré, mais qui ne mérite pas le dédain avec lequel il a été traité. Tarantino, qui assistait à la séance, a récolté trois fois plus d'applaudissements (comme s'il en avait encore besoin) à son entrée dans la salle que l'équipe et le film cumulés . Gageons que le film a parlé à sa psyché la moins avouable, celle qui lui permet de produire les films de Roger Avary (Killing Zoe) et d'Eli Roth (Hostel), films que je n'ai jamais vus, mais qui ont la réputation d'avoir, selon certains critiques, orchestré la rencontre de Sade et Georges Bataille avec le slasher movie.

Aujourd'hui au programme : Bellochio, Almodovar et un film collectif du "jeune cinéma roumain" sous la houlette de Cristian Mungiu. Demain, Moullet, Tarantino, Resnais. On bénit les jours où la vie a oublié d'être une chienne.

dimanche 17 mai 2009

Premières bobines

Premier jour à Cannes. Pas vu Audiard, Pedro Costa, Hong Sang-Soo qui ont de fervents défenseurs. Pas vu non plus le Coppola sur lequel j'ai tout entendu.

Pour ma part, vu trois autres films déjà singuliers. Notes donc fort rapides, en attendant peut-être d'y revenir :

Go get some rosemary (Josh and Benny Safdie) : Au-delà du film lui-même, c'est la démarche qui (m') émeut profondément. Sous la forme d'une chronique (sans doute autobiographique) d'un père et des ses mouflets qui funambulise sur la marge entre copain et parent, le cinéma des frères Safdie traque l'épiphanie discrète où les contingences du réel laissent des voies ouvertes pour l'imagination domestique. Plus que le charme volatil (qui n'empêche pas toujours l'écueil de la répétition) un éloge de la vie comme perpétuel do-it-yourself affectif et ludique. et par là-même . Sublime dénouement au téléphérique de Roosevelt Island (mais est-il possible de louper ça tellement le moyen de transport est en-lui même cinématographique), sublime dénouement parce que très ouvert : plutôt que la fin d'un âge ou la fin d'un trajet, le début d'une (mini)odyssée pour les deux gamins du film, comme pour les frères Safdie, qui livrent, avec cet opus, la touchante généalogie de leur propre démarche de cinéastes bricoleurs et (quasi) autarciques.

Mother (Bong Joon Ho) : Moins dans la jouissance immédiate du genre que ses précédents titres, mais pas moins d'invention et de capacité à surprendre, notamment dans son jeu avec le spectateur. Scénario très complexe et à multiples détentes mais qui ne sert pas uniquement la belle maîtrise des intensités variables du suspense ou une structure à la Rashomon servant habilement le wodunit. Une constante tout de même chez Bong Joon Ho: la figure du héros ahuri, dépassé par les évènements (est-ce un sage ou un bouc émissaire ? toute la valeur du film est aussi dans cette énigme), mais une figure qui se décline chez les différents protagonistes du film : accusé, mère protectrice, victime collatérale . Et puis ce bonheur de faire du cinéma à chaque plan, dans la majesté des paysages comme dans la joie de discrètes touches burlesques... Bon. Vraiment pas facile d'écrire sur ce film bien plus dense (et qui en a déçu certains) qu'il n'en a l'air... Donc, peut-être à suivre... (M'étonnerait pas que le film se décante encore un peu plus dans les prochains jours...)

Les beaux gosses
(Riad Sattouf) : Attendu, vu et pas déçu ! Enorme secouage de cocotier de la comédie à la française. Là aussi, pas facile d'écrire dessus (on se sent un peu bête de faire l'intellectuel quand c'est si simple de rire et d'être ému) à part les formules toutes faites ("le premier grand jalon du teen-movie de chez nous" quoique la Noémie Lvovsky de Petites pourrait en être la marraine en cinéma de Sattouf comme elle joue d'ailleurs la mère intrusive et dépressive du personnage principal).
Un seul éloge (très, trop) global : Un film qui accumule toutes les disgrâces (de l'âge adolescent) pour en faire surgir sa propre grâce...

Le film qu'il fallait faire pour être à Cannes cette année

Tout se mélange dans la tête du festivalier, mais au bout du compte, la chaîne des films mise bout à bout finit par en former un nouveau, de film, improbable, aléatoire et éminemment personnel.
Cut-upons donc les pitchs de la Quinzaine des Réalisateurs (de loin, les plus singuliers sur le papier)... et si, avec un synopsis pareil, on n'est pas en sélection en 2010 :

L'histoire vraie d'un ex-flic, ex-mari, ex-arnaqueur aux assurances, ex-prisonnier modèle et éternel amant de son codétenu. Choqué par la mort brutale de sa femme, il perd la parole et est interné à Island Hospital. Il est sélectionné pour un traitement expérimental qui l'oblige à affronter la vérité dévastatrice qui sous-tend son passé, son présent et son avenir.
Pendant ce temps, un cinéaste se rend à Island Hospital pour réaliser un documentaire sur la vie des patients et de l'équipe soignante. Ni riche, ni célèbre, il a la réputation d'être un réalisateur de films d'auteur. Pendant la journée, il tourne des vidéos de karaoké, et la nuit, il aide sa mère qui tient une boîte de karaoké. Débordé par ses pulsions, ingrat physiquement et moyennement malin, il vit seul avec sa mère qu'il jauge avec mépris, ne voyant que ses pulls ringards, sa décoration kitch et les miettes de pain qui se logent à la commissure de ses lèvres quand elle mange bruyamment.Par ailleurs, il est capable de faire un discours étonnant sur la soul américaine à des écoliers éberlués, mais pour son film, il étudie les causes et les conséquences de ces phénomènes psychiques locaux.
«L'arrière-petit-neveu du bisaïeul de ma trisaïeule avait tué un jour à coups de pioche le maire du village, sa femme et le garde-champêtre, coupable d'avoir déplacé sa chèvre de dix mètres. Ca me fournissait un bon point de départ... Il y a eu d'autres manifestations du même ordre dans la famille», c'est comme cela qu'il présente son projet au public d'un festival d'une petite ville où il tombe nez à nez avec un de ses vieux amis, Bu. Après quelques verres, Ku est entraîné chez Bu où il fait la connaissance de sa femme qui prétend connaître tous ses films.

Le cinéaste et notre héros se lancent un défi mutuel : participer à un concours de films pornos amateurs. Mais quel genre de porno peuvent faire des types comme eux ? Après avoir picolé et parlé des heures, une idée s'impose - ils feront l'amour ensemble devant la caméra. Ce n'est pas homosexuel; c'est au-delà. Ce n'est pas du porno, c'est un projet artistique : neuf scènes tournées autour de la table, entre chaque scène, 45 degrés, 132 minutes en temps réel, la réalisatrice et ses parents jouent les trois personnages. Il n'y a pas de quatrième personnage, à part les chats.
Mener à bien ce projet implique notamment de ne pas moisir à Island Hopital. Quand ils rencontrent Curly, une adolescente qui n'a pas froid aux yeux, ils virent de bord.
Pourchassés par tous, ils bravent tous les dangers.
Tout ce petit monde s'entasse comme il le peut dans un studio du centre de New York et voudraient que ces deux semaines durent six mois. Pendant ces quinze jours, un voyage dans le nord de l'état de New York, des visiteurs venus d'étranges pays, une mère, une petite amie, des couvertures "magiques", et l'anarchie la plus totale s'empare de leur vie.

Après des nuits de beuveries, le cinéaste retrouve un message de sa consoeur lui demandant de « ne plus jamais l'approcher ». Mais il n'a aucun souvenir des événements de ces dernières semaines.
Finalement, la fugue lui semble être la seule issue: d'un grenier à Sainte-Marie-aux-Mines à la scène d'un café de Tokyo puis la forêt comme nouvelle destination.
Mais rien n'est innocent dans la vie. Tout le monde veut obtenir quelque chose. Sa seule idée en tête : amener avec lui dans la mort le plus de femmes possible.Hélas, dans ce domaine, il accumule râteau sur râteau, sans toutefois se démonter. Mais est-ce vraiment de ça dont il avait rêvé ?
Tout porte à croire qu'il subira le même sort. A moins qu'il ne parvienne à se "démerder" de là...

Mouaiff... Préférons sans doute comme film charade imaginaire, l'élégant générique d'ouverture des projections de la Quinzaine.


A chaque fois, un double plaisir : d'abord le quizz à compléter (à ce propos, quelqu'un sait quel est le film asiatique à 00:08 après La Captive d'Akerman ?) et les frissons de l'évocation furtive d'une mémoire cinéphile.

jeudi 14 mai 2009

Panique à l'hôtel

De l'art de ne jamais commencer sa douche (ou de ne pas se mouiller)...

mardi 12 mai 2009

Bon alors, c'est qui...

... le plus OSS 117 de tous :

- Philippe D.B. parce que Mickey d'Orsay (selon une charge du Monde qui m'avait bien fait rire à l'époque) ;
- Bernard-Henri L. parce que de de Grosny à Gaza, Narcisse est toujours le dernier rempart contre la barbarie ;
- Dominique d. V. parce qu'après avoir chateaubriannisé à la tribune de l'ONU, barbouzé dans Clearstream, lui seul sait trouver les mots pour parler à la jeunesse révoltée qui veut changer le monde ;
- Rachida D. parce que les mêmes fous rires inconvenants ; 
- Nicolas S. et Henri G. parce que l'infâme discours de Dakar ;
- Eric Z. parce que tout ce qu'il dit ;
- Silvio B. parce que muflerie (apparemment, cette vidéo qui circule pas mal est un faux, mais on le sentirait presque capable) + racisme ordinaire = l'homme le plus pas classe du monde.

Avec un ancien auteur des Guignols au scénario, je ne peux pas m'empêcher de voir, derrière le pastiche rythmé et stylé (fort agréable, vanté partout, même si, revers de la brillante médaille, il se regarde peut-être parfois un peu trop filmer), un édito satiriste (quand bien même il ne serait pas si intentionnel que ça) sur le cirque politico-médiatique. 

Je parie que, dans le prochain épisode, Ségolène R. s'excusera pour cet agent secret dont les propos n'engagent ni la Fonction Publique, ni la France, ni les Français.

vendredi 8 mai 2009

Tiqqun au cinéma : invisible, forcément invisible (films fantômes 3)

Tiqqun : nom d'une revue philosophique française, fondée en 1999 avec pour but de "recréer les conditions d'une autres communauté". A fait l'objet d'un certain intérêt dans les médias en novembre 2008 après l'arrestation de Julien Coupat, l'un de ses fondateurs. (wikipedia dixit)

Premiers matériaux pour une théorie de la Jeune-Fille :  Texte signé par Tiqqun en 2001. Titre étrange, forme et contenu intrigants. Collage cinglant de citations, de titres de magazines (féminins mais pas uniquement), d'aphorismes et de développements socio-culs, autant de parades conceptuelles autour de "la jeune-fille" (le tiret a son importance et puis comme il est dit "elle n'est pas toujours jeune et pas toujours fille") pour la définir non pas comme un concept sexué, mais comme une monade de la société spectaculaire marchande. Au-delà de l'idée (peut-être pas franchement très neuve d'ailleurs) de croiser les champs de l'affectif, du politique, du sociétal et de désigner la femme-objet comme emblème de la réification des êtres voire des affects contemporains, c'est le débridé de la démarche et du style qui retient l'attention .Peut-être aussi, en sourdine, un attachant donquichottisme puisque la jeune fille est partout et gagne toujours à la fin, comme l'atteste cette preuve télévisuelle :

Il est à noter que malgré la personnalité séditieuse de ses auteurs, ce texte subversif qui aurait de quoi inquiéter les autorités continue à être en vente libre pour 2,50 euros à la Fédération Nationale d'Achat des Cadres (communément désignée comme Fnac). Sinon, il est lisible ici.

Antonin Peretjatko : jeune réalisateur talentueux plusieurs fois vanté dans ces pages.

Les secrets de l'invisible : Titre d'un court-métrage tourné en août et septembre 2008 (donc AVANT "les évènements") par Antonin Peretjatko dont le scénario s'inspire des Premiers matériaux pour une théorie de la Jeune-Fille. Etaient-ils faits pour se rencontrer ? Le débridé de sa démarche et de son style cinématographique aurait-il trouvé de stimulants échos dans les élans du brûlot tiqqunien ? Le texte lui-même n'entre-t-il pas souvent en résonance avec un autre film (bien que jamais il ne le cite ni l'évoque) :
 
Masculin Féminin (Jean-Luc Godard 1966) - extrait visible ici

... notamment dans son ambition de proposer "une autre éducation sentimentale" à ceux qui "ne feignent une virginité qui ne justifie que leur impuissance" ?
Pour autant, le regard de Peretjatko est plus goguenard que franchement politique. Plus que de l'adapter (ce qui est de toute façon impossible) ou de coller littérallement à son propos, le court-métrage propose de rebondir sur le texte originel, presque à la manière dont Resnais explore les théories d'Henri Laborit dans Mon oncle d'Amérique (1980), c'est-à-dire avec beaucoup de sérieux mais aussi en le détournant beaucoup. Théorie potache de la séduction ? Tableau d'époque qui choisit le camp de l'immaturité affective contre la séduction factice ? Fantaisie godardo-rohmerienne où il est plus simple d'esquiver la compétition sociale que la compétition affective ? A la lecture du scénario, il y a bien de tout cela dans le projet de Peretjatko, et encore au-delà, la proverbiale fraîcheur insolente de sa manière qui rappelle assez celle de Bande à part (Godard 1964).

Invisible : Etat dans lequel restera Les secrets de l'invisible, bien que le film ait été tourné. Alors quoi ? Rétablissement de la censure pour les "films à sujet sensible" ? Restauration de l'embargo pour les métrages subversifs ? Sabotage post-tournage des RG  après intrusion nocturne dans la salle de montage ou au labo (voilà qui donnerait sans doute le sujet d'un prochain court-métrage) ? Malheureusement pour la légende et les fantasmes, rien de tout cela, mais une (patrfois banale) erreur technique à la prise de vues : le mauvais serrage d'une vis entre l'objectif et le corps de la caméra qui entraîne le voilage d'une bonne partie des rushes. Damned ! Bon. Il reste quelques scènes où le droit à la paresse voisine avec une contemporaine carte de Tendre : 



Mais évidemment, plus de quoi faire un film. Recommencer, alors ? Pas si simple. C'est qu'entre temps, il y a eu "l'affaire", les arrestations, les fantasmes, la médiatisation d'écrits auparavant connus de quelques initiés seulement. Sans compter l'énergie envolée, la motivation à retrouver, bref... 
Reste donc, pour donner corps à ce film, une conjonction temporelle d'évènements plus étonnante que son esquisse ou ses traces. Et puis, comme pour Godard, une façon d'avoir, innocemment et par la bande, attrapé le climat idéologique de son temps. 

Invisible (2) : Mot récurrent dans toute cette affaire. Un dernier clin d'oeil. La une de Libé du 9 décembre 2008 :
Au-dessus de l'interview exclusive de Benjamin Rosoux, l'un des "inculpés de Tarnac", sur le bandeau rouge, l'annonce du cahiers "Futurs": "le secret de l'invisibilité"... Quand on sait que subsiste encore l'ambiguïté pour savoir qui (ceux de Tarnac ? Tiqqun ? d'autres ?) se cache derrière le comité invisible...

dimanche 3 mai 2009

Russ and Rem (films fantômes 2)

Avant de devenir l'un des architectes les plus admirés, honnis, gouroutisés (rayez les mentions inutiles) d'aujourd'hui, Rem Koolhass a eu une vie antérieure où il tâta un peu de cinéma (mais aussi du journalisme) au sein du collectif à géométrie variable « 1,2,3 etc… », qui, vu comme ça, ressemble à une bande de Beatles teintée d’esprit provo

Première vie de Koolhass par laquelle on se plaît à éclairer la singularité de sa démarche architecturale, sa façon de présenter ses projets sous forme de BD, de story-board ou de scénario, de concevoir ses bâtiments comme de vastes réservoirs à fictions paradoxales au sein d'une fiction encore plus vaste, plus globale et plus paradoxale, celle de la métropole contemporaine en marche.

Avec le recul, les destinées glorieuses et/ou improbables de chacun des membres de ce collectif laisse rêveur et/ou songeur (selon la signification que l’on veut bien mettre derrière ces mots) . Outre Koolhass, on y retrouve Jan « twister speed tomb raider » de Bont, un certain Samuel Meyering, inventeur de la caisse à outils pliante Rolykit (ce qui lui assure sa statue dans un hall of fame du do-it-yourself), occasionnellement les futurs chep op’ Oliver Wood (Volte-face et les Jason Bourne) et Robbie Müller (celui de Wijm Wenmursch) et à la tête de cette ciné-bande  un certain René Daalder qui, durant les années 70 réalisa plusieurs films d’épouvante à Hollywood, hébergea les Sex Pistols lors de leur tournée américaine et nous dit même imdb « created this classic scene » (mais que veut bien dire created dans un tel contexte ?).

Miracle d’internet, on peut retrouver trace des films de 1,2,3 etc… tournés à la fin des années 60 (plusieurs courts et même un long (L’esclave blanche 1969). Au-delà de l’exhumation, pas sûr que d’un strict point de vue cinématographique, il y ait quelque chose de réellement  passionnant dans ce que l’on voit de ces métrages potaches.

Il est tout de même un dernier projet de Koolhaas et Daalder qui sur le papier s’avère plus qu’excitant : Hollywood Tower, écrit en 1974 en collaboration avec un certain… Russ Meyer qui devait, dans ce film incarner le dernier magnat du cinéma. Je cite : « D’après Daalder, qui demanda même à Chet Baker de faire la musique, l’histoire traitait d’un moment critique dans l’histoire future de Hollywood, celui où les acteurs en chair et en os seraient rendus obsolètes par leurs substituts informatiques et les décors produits par les technologies digitales. Tout devenait artificiel. Russ Meyer « le roi du nu » incarnait l’ultime exemple d’humanité tandis qu’Edy Williams (de Beyond the valley of dolls 1970) et Tippi Hendren étaient les dernières actrices humaines de son film-dans-le-film. »

(Source : « Le film à l’envers, les années 60 de Rem Koolhass », article de Bart Loosma, revue Le visiteur, automne 2001), ici en anglais.

Hmmm... Tout porte à croire que ce fantasmatique Hollywood Tower s'inscrit comme le chaînon manquant entre ça :

et ça :

Soit "Flesh and Speed" (Faster, Pussycat ! Kill ! Kill ! Russ Meyer 1965) versus "Pixels and Speed" (Speed racer Wachowski brothers 2008)...

Soit sans doute aussi un jalon intermédiaire dans l'histoire du "bon mauvais goût" hollywoodien... 

Soit enfin que c'est dans les vieux fonds de la potacherie, de la série Z, du fétichisme bis que viennent parfois se nicher les intuitions géniales et prophétiques sur le devenir du cinéma. Ils ne devaient pas être nombreux, en 1974, ceux qui prophétisaient l'avènement du virtuel et plus encore, que ce virtuel-là ne serait pas tout à fait synonyme de désincarnation, qu'il n'empêcherait pas l'expressivité des corps et l'interrogation sur ceux-ci. Ainsi, ambiguïté et inversion sexuelles ne cessent de planer sur le cinéma des Wachowski...   

Et puis derniers points communs entre Russ et Rem: deux mégalomanes, deux offenses à la mesure et au bon goût, deux gourous, deux miroirs de la vulgarité et puisque Rem voyait en Russ, non seulement le cinéaste total mais carrément le dernier exemple d'humanité, deux qui peuvent ostensiblement proclamer, chacun dans leur domaine : "I am a legend"...