A Cannes, les réalisateurs sont stars et les Narcisses sont derrière la caméra. Pas tant à cause d’un contenu autofictionnel des films (après tout Persépolis, c’est ce qui a le plus plu) qu’en raison d’un ego de réalisation qui transparaît tellement qu’il gêne la réception des films. On me dira que c’est toujours comme ça, mais cette année, plus que d’habitude. A Cannes, Sandrine Bonnaire a présenté un documentaire sur sa sœur autiste (pas vu) mais les autistes de Cannes s’appellent Bela Tarr, Tarantino et Kusturica. Chacun d’eux s’est livré à son auto-caricature et leur cinéma parait totalement ivre de leurs propres effets de signature. L’écho sur le Wong Kar Wai (pas vu) n’est pas bien fameux non plus. Curieux même de voir comment les films de Tarantino et de Bela Tarr, pourtant aux antipodes du goût cinéphilique (« moi je donne tout le fun qu’il veut à tout le public du monde » dit Quentin « Moi monsieur, je donne dans la métaphysique de la souffrance » lui répond Bela) semblent symétriques tant chacun des deux films est ramené à leurs morceaux de bravoure respectifs : plan séquence inaugural de l’Homme de Londres et poursuite finale de Deathproof. Et en dehors de ça, pas grand-chose d’autre qui reste dans la mémoire du spectateur. Stérilité de ces fragments attendus comme une attraction foraine, de la virtuosité étalée pour elle-même, sans aucun relais pour soutenir un propos ou simplement un regard, une interrogation, un mystère, une perception du monde. En bon inquisiteur critique, j’aimerais presque condamner ces réalisateurs aux travaux forcés documentaires, histoire que leur système soit un peu traversé de sincérité et d’ouverture sur le monde. Mettons James Gray et Zviaguintsev en ballottage. Ils m’ont déçu et si j’étais méchant, je leur ferais aussi le grief du « cinéma filmé », mais ils paraissent moins enferrés dans leurs tics et peuvent rebondir. Et puis, quand on a vu le come-back des Coen, autrefois champions de ce même cinéma clos sur lui-même, il y a encore des raisons d’espérer.
En écho à ces Narcisses de la mise en scène, j’opposerais les découvertes des virtuoses discrets : trois noms (il y a peut-être d’autres mais parlons des films que j’ai vus) Cristian Mungiu (nouveau palmé), Cristian Nemescu (vainqueur d’Un Certain Regard avec California Dreamin’) et Eran Kolirin (La visite de la fanfare, mention à Un Certain Regard), cinéastes qui font preuve d’une étonnante maîtrise pour des premiers ou troisièmes films, cinéastes dont la virtuosité est presque invisible, quasi hawksienne tant elle s’applique avant tout au découpage, au timing, à une juste respiration des plans et des séquences et pas à une machinerie tapageuse, cinéastes dont la démarche naît de leurs regards sur leurs sociétés et non d’un fantasme démiurgique. Et cela n’exclut pas le plaisir du spectateur.
En écho à ces Narcisses de la mise en scène, j’opposerais les découvertes des virtuoses discrets : trois noms (il y a peut-être d’autres mais parlons des films que j’ai vus) Cristian Mungiu (nouveau palmé), Cristian Nemescu (vainqueur d’Un Certain Regard avec California Dreamin’) et Eran Kolirin (La visite de la fanfare, mention à Un Certain Regard), cinéastes qui font preuve d’une étonnante maîtrise pour des premiers ou troisièmes films, cinéastes dont la virtuosité est presque invisible, quasi hawksienne tant elle s’applique avant tout au découpage, au timing, à une juste respiration des plans et des séquences et pas à une machinerie tapageuse, cinéastes dont la démarche naît de leurs regards sur leurs sociétés et non d’un fantasme démiurgique. Et cela n’exclut pas le plaisir du spectateur.
California Dreamin’ peut être présenté comme un mixte fécond des structures chorales à la Altman et des films tchèques du grand Forman, sans pour autant que l’on ressente l’artifice référentiel ou le forçage de scénario. Cela augurait de bien beaux films, malheureusement le réalisateur est mort d’un accident de voiture au milieu du montage. Paradoxalement, ce premier film très ambitieux est donc déjà un film somme.
Quelques jours après la découverte de La visite de la Fanfare, j’avais eu un peu peur de m’être trop facilement fait charmer par un film qui semblait même jouir de trop d’arguments en sa faveur. Et puis non, pas de mauvaise conscience à avoir. Après tellement de films remplis de génie inutile, quel plaisir de se souvenir d’un film basé sur le travail de troupe, où chaque lieu, chaque séquence existe où « rien ne pèse ni ne pose » sans être gratuit.
Pour autant, les récompenses ne risquent-elles pas de monter à la tête de ces nouveaux venus ? Il y a quinze ou vingt ans, on aurait sauté de joie si on avait été dans la salle au moment de la découverte de Papa est en voyage d’affaires ou de Reservoir Dogs. Aujourd’hui, on n’en peut plus de Deathproof et de Promets-moi. Les virtuoses discrets d’aujourd’hui sont-ils les pompiers de demain ? Les découvertes d’aujourd’hui livreront-elles donc des puddings en sélection officielle dans vingt ans ? Il est vrai aussi que ces films relèvent d’un genre « vie quotidienne, contexte politique et ton décalé » dont l’un des premiers fleurons fut No man’s land de Dannis Tanovic, découvert à Cannes il y a six ans et salué par un prix du scénario… Depuis, l’ami Dannis a un peu de mal à confirmer l’essai. Rien n’est donc jamais gagné.
Au fait, je n’ai pas les photogrammes et je vous demande de me croire sur parole, mais cette posture narcissique du jeune homme replié en œuf sur lui-même, on la retrouve exactement dans Control d’Anton Corbijn et dans Paranoid Park de Gus van Sant, deux des meilleurs films de la Croisette, deux films réalisés par deux artistes déjà célébrés (Gus a eu la Palme et Anton a inventé le style « Depeche Mode »), deux artistes qui ont certainement une assez haute idée de leur art et d’eux-mêmes, deux cinéastes qui pourtant arrivent à dégonfler leur ego et savent redevenir modestes dès que leur regard se pose sur ce qu’ils ont envie de filmer, deux cinéastes ouverts à d’autres modes d’expression, deux cinéastes qui affirment la force de leur regard subjectif, tout en étant capable de confronter leur cinéma à des vents contraires. Affirmer un regard personnel, mais pas tourné uniquement vers soi. L’anti-Narcisse, quoi !
Au fait, je n’ai pas les photogrammes et je vous demande de me croire sur parole, mais cette posture narcissique du jeune homme replié en œuf sur lui-même, on la retrouve exactement dans Control d’Anton Corbijn et dans Paranoid Park de Gus van Sant, deux des meilleurs films de la Croisette, deux films réalisés par deux artistes déjà célébrés (Gus a eu la Palme et Anton a inventé le style « Depeche Mode »), deux artistes qui ont certainement une assez haute idée de leur art et d’eux-mêmes, deux cinéastes qui pourtant arrivent à dégonfler leur ego et savent redevenir modestes dès que leur regard se pose sur ce qu’ils ont envie de filmer, deux cinéastes ouverts à d’autres modes d’expression, deux cinéastes qui affirment la force de leur regard subjectif, tout en étant capable de confronter leur cinéma à des vents contraires. Affirmer un regard personnel, mais pas tourné uniquement vers soi. L’anti-Narcisse, quoi !
PS: les toiles, c'est "Echo et Narcisse" de Poussin et "Jeune homme allongé" de Flandrin.
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