mercredi 31 décembre 2008

De 2008, il (me) restera ...

UN TOP 10,5 :

n°10 ex-aequo : Dans la ville de Sylvia (Jose Luis Guerrin) / Quatre nuits avec Anna (Jerzy Skolimowski)
Parce que ces deux films jumeaux (un été et un hiver ; un soleil et une lune de l’obsession amoureuse) sont avant tout de grands moments de pure mise en scène (certes, parfois aussi, un peu que ça, ce qui en fait quelque part leur limite et les empêche de transcender le « numéro d’auteur »).

n°9 : Home (Ursula Meier)
Parce qu’il n’y a pas besoin de filmer des scènes de danses pour réussir un film chorégraphié.

n°8 : Hunger (Steve Mc Queen)
Parce que la colère y devient palpable : on peut la saisir de ses mains, la ressentir comme un instinct.

n°7 : Le silence de Lorna (Luc et Jean-Pierre Dardenne)
Parce que quand le naturalisme dévie vers l’onirisme, la fable devient conte et le mélo de la plus belle eau.

n°6 : Lake Tahoe (Fernando Eimbcke)
Parce que son formalisme du segment filmé n’empêche finalement pas le film de respirer. Et parce que son orchestration des premiers et des seconds plans révèle aussi l’emboîtement de sentiments paradoxaux et initiatiques.

n° 5 : Woman on the beach (Hong Sang-Soo)
Parce que le film pourrait (devrait ?) s’appeler three lovers…

n°4 : Valse avec Bachir (Ari Folman)
Parce que sur des visages qui hésitent et sur une parole qui n’arrive pas à sortir, il faut dessiner les images qui manquent.

n°3 : A bord du Darjeeling limited (Wes Anderson)
Parce que Wes Anderson vaut mieux que l'infâmante appellation de cinéma playmobil... Parce que ce que partage une famille, c'est un certain déraillement de son imaginaire et de ses découvertes.

n°2 : Two lovers (James Gray)
Parce qu’il est déjà numéro 1 sur toutes les autres listes... Et aussi parce que c'est aujourd'hui, le 31 décembre 2008 que s'est envolé un avion entre New York et Los Angeles avec deux passagers manquants : Michelle et Leonard.

Et sur le trône du numéro 1 :


En avant jeunesse (Pedro Costa)

Parce qu’une fois prise les précautions d’usage pour s'y préparer (oui, c'est vrai, c'est bien le film le plus lent, le plus lugubre voire désespéré de l’année), dire que cela a été la plus puissante rencontre avec un cinéaste cette année. Bien davantage qu’un cinéaste d’ailleurs : un poète, un historien du temps présent, un peintre et un chamane. Au-delà de la ronde crépusculaire, au-delà de l'hybridation du documentaire et du cinéma plastique, la naissance sous nos yeux d'une allégorie concrète qui prend l'histoire immédiate à bras le corps pour se situer pourtant immédiatement au-delà des styles et du temps : dans le poème aussi bien que dans l'archive, dans le document comme dans l'incantation. Et puis un oeil qui traque, dans ces horizons bouchés, les infimes résidus de lueur pour les faire jaillir, tel un chimiste, en intenses précipités filmés où chaque plan, quand bien même soumis à la fixité absolue et à la lenteur radicale, révèle pourtant une incroyable dimension incantatoire.

TROIS FILMS VIRTUOSES MAIS...

Conte de Noël (Arnaud Desplechin), There will be blood (Paul Thomas Anderson), No country for old men (les frères Coen)

Finalement, je ne sais plus trop quoi penser de ces trois-là. De l'ambition et de l'indéniable virtuosité, c'est sûr, mais quelque chose qui finit par ne plus me toucher là-dedans (infiniment moins que les onze films cités au-dessus, même si certains ne sont pas exempts de maladresse). Mais précisément, quand bien même plusieurs de leurs moments me plaisent énormément, je pense avoir un problème de proximité avec ces trois films quand même hantés par une vision du cinéma purement rhétorique, presque de l'art pour l'art.

DEUX FACES-A-FACES

Celui entre Bobby Sands et le prêtre dans Hunger et le pile-ou-face entre Anton Chigurh et l’épicier (le seul qui s’en tire indemne) dans No country for old men.

TROIS PRIX D’INTERPRETATION

Meilleure performance d’acteur qui finit malheureusement par aspirer le film : Daniel « ne m’appelez plus jamais le meilleur acteur du monde, même si je fais tout pour » Day Lewis dans There will be blood.

Meilleure performance d’acteur qui fait un sort aux performances d’acteur : Robert Downey Jr dans Tonnerre sous les tropiques (Ben Stiller).

Meilleure performance d’acteur qui fait de ce dernier le véritable co-auteur du film : Samir Guesmi dans Andalucia (Alain Gomis).

PRIX SPECTRAL DU JURY

Meilleur film fantôme de l'année : Quatre nuits d’un rêveur (Robert Bresson 1971), dont je ne peux m’empêcher de trouver des traces dans Quatre nuits avec Anna et Dans la ville de Sylvia (ce qui n’est sans doute pas un hasard) mais également dans Two lovers (via les Nuits Blanches de Dostoïevski).

ET PUIS TOUT UN TAS D'ACCESSITS :

Meilleurs bâtiments vu dans un film : La citadelle de Beaufort (Joseph Ceddar) et la Cité des Vele dans Gomorra (Matteo Garrone)

Meilleur bâtiment qu’on espère retrouver un jour dans un film : ce musée d’Alvaro Siza qui ferait vraiment un bel écrin pour une poursuite.

Plus belle ville filmée : la périphérie de Marseille dans Grand Littoral de Valérie Jouve (2003). Paraît que Khamsa de Karim Dridi est tourné au même endroit, mais en-dessous des échangeurs et des voies rapides…. mais comme je ne l’ai pas vu… J’attends donc les DVD pour faire un splendide comparatif dessus-dessous.

Sinon Suzhou dans Cry me a river, court-métrage de Jia Zhang Ke, vu seulement partiellement dans cette exposition qui proposait d'autres étonnantes vidéos notamment un travelling en téléphérique et funiculaire à Shongqing.

Meilleur début de film : La première scène de Darjeeling limited… et la puissance picturale, architecturale et spatiale des premiers plans de Dernier Maquis (Rabah Ameur-Zaïmeche) et d’En avant jeunesse.

Meilleure fin de film : tout de même celle de Conte de Noël et les explosions à la fin de Beaufort

Meilleures (ou pires) fausses bonnes idées (dit autrement meilleurs films dont la bande-annonce est nettement meilleure que le film) : Seuls two (Eric et Ramzy) et Soyez sympa rembobinez (Michel Gondry)

Meilleur sujet plus fort que le film raté : Coluche, l’histoire d’un mec (Antoine de Caunes)

Meilleur film qu’on aurait quand même rallongé un petit peu : My magic (Eric Khoo…)

Meilleur courts-métrages rallongés en longs : Capitaine Achab (Philippe Ramos) et Rumba (Abel et Gordon)

Meilleur court-métrage vu cette année: Love you more de Sam Taylor-Wood (pour mémoire la chanson éponyme et BO du court)

Meilleure vidéo Youtube qui joue d'ailleurs sur les mêmes mécanismes de fixité, d'immobilité et d'esthétisme qu'En avant jeunesse, le meilleur film de l'année : celle-là, lugubre et funèbre de Sam Taylor Wood

Meilleure contribution improbable au gadget théorique de l'année, la "fiction Youtube" : Ben, la fiction "You tube", elle existait déjà, il y a 25 ans et avec mille fois moins de moyens, Eric Rohmer savait bien mieux filmer les soirées que dans Cloverfield.


Les nuits de la pleine lune (Eric Rohmer 1984)


Meilleur bonus DVD vu au cinéma : Les plages d’Agnès (Agnès Varda)

Meilleure émission de télé vue au cinéma : 20 minutes de bonheur (Oren Nataf et Isabelle Friedman)

Meilleur épisode de série vu au cinéma : Phénomènes (M. Night Shyamalan), en l'occurrence le chaînon manquant entre la série B et le pilote de série télé.

Meilleur film qu’on adorait à la télé mais qu’on n’est pas allé voir au cinéma parce que ça faisait trop peur : Sex and the city (Michael Patrick King)

Meilleur film pas vu en salle parce que c’est toujours complet, mais c’est pas grave, j’y retournerai demain : La vie moderne (Raymond Depardon)

Meilleur film pas vu en salle, mais c’est pas grave, il y en aura un nouveau du même auteur dans six mois : Mad detective (Johnnie To et Ka-Fai Wai)

Meilleur film pas vu en salle, mais c’est pas grave, il y en aura un nouveau du même auteur dans six jours et encore un suivant dans six mois : Christophe Colomb, l’énigme (Manoel de Oliveira)

Meilleurs films pas vus en salle, ce qui m’empêche de prendre part aux procès politiques de l’année : L’Echange (Clint Eastwood), grand film démocrate ou réac ? et Juno de Jason Reitman (l’enrobage de la comédie caramel ne servirait-il qu'à faire avaler une infâme pilule pro-life ?).

Naufrage de cinéaste autrefois aimé : Emir Kusturica pour ses deux tambouilles indignes de l’année.

Résurrection (relative) d’un cinéaste dont on n’attendait plus grand-chose : Ken Loach pour It’s a free world.

Meilleur cinéaste dont on attendait, il n'y a pas si longtemps, chacun de ses nouveaux films en tremblant et dont la sortie de l'opus de cette année est passée complètement inaperçue : Takeshi Kitano (pour Glory to the filmmaker).

Meilleur (mini) come-back : la fort brève reformation virtuelle de ces génies...

Meilleurs films que tout le monde aime mais moi mouaif : Eldorado (Bouli Lanners) et La zona (Rodrigo Pla)

Meilleur film que (presque) tout le monde aime et moi, ça me gêne pas de l’aimer : Entre les murs (Laurent Cantet)

Meilleur film que personne n'aime sauf la critique, et comme, je suis pas critique, ben non, j'aime pas : La frontière de l'aube (Philippe Garrel)

Meilleur film que pas grand-monde n’aime, mais moi si : La guerre selon Charlie Wilson (Mike Nichols)

Film le plus surestimé de l'année : La belle personne (Christophe Honoré)

Film le plus sous-estimé de l'année : Margot va au mariage (Noah Baumbach), tellement sous-estimé que sa sortie prévue en mars 08 a été annulée… alors même que le casting compte Jack Black et Nicole Kidman. Vraiment dommage parce que même s’il est moins réussi que Les Berkman se séparent (2005), le précédent de son auteur, il y a là un ton tout à fait étonnant, tchekhovien contemporain et cruel.

Meilleur comparatif en images pour critiquer le film le plus surestimé de l'année : Il n'y a qu'à voir comment ce simple extrait de Mean girls - Lolita malgré moi (Mark Waters 2004) en dit tellement plus que La belle personne dans son entier sur la façon dont une cour de récré (en l'occurrence, c'est à la cantine, mais ça fait le même office) fonctionne sur le même modèle qu'une cour aristocratique dont il faut acquérir les codes et voir aussi surtout comment, au détour d'un simple plan...

... il montre que derrière la topographie du lycée se dessine une nouvelle Carte de Tendre.

Meilleur titre de film pour résumer la situation du cinéma français, ou plutôt l’ultimatum qu’il a adressé via le club des 13 : Soit je meurs, soit je vais mieux (Laurence Ferreira Barbosa).

Meilleure raison d'aller mieux pour le cinéma français : En 2009, en plus des nouveaux Téchiné, Resnais et Claire Denis, on verra les premiers longs de Sophie Letourneur, Riad Sattouf et Joann Sfar. Can't wait...

LE POINT SUR L’ACTUALITE…

Meilleure raison de changer le titre de ce blog : lever toute ambiguïté car il pourrait faire croire à une incitation au travail dominical.

Meilleur rendez-vous manqué : Encore croisé Carax deux fois cette année (à Cannes et au métro Alexandre Dumas) et toujours autant la trouille de l’aborder… alors qu’il suffisait de lui dire merde.

Meilleure réplique pour expliquer la crise : "Plus la boîte où tu bosses est grande, plus l'appart' où tu vis est petit". Entendu dans Interior design (segment de Michel Gondry dans Tokyo!). Suivant l'idée reçue selon laquelle le Japon a 20 ans d'avance, nous savons à quoi nous attendre.

ET LE MOT DE CONCLUSION DE NOS DEUX HEROS HEXAGONAUX DE L'ANNEE...

- Pas mal tes 20 millions, mais si tu me les laisses les placer, je t’en promets 4,9 milliards.

-Hein ? »… (Jérôme Kerviel à Dany Boon)…

BON, NON, UNE CONCLUSION PAREILLE, C'EST QUAND MEME PAS POSSIBLE, CONCLUONS PLUTOT AVEC UNE REJOUISSANCE A VENIR

Meilleur film vu en 2008 et qui sera à coup sûr dans le top 2009 :

Ce cher mois d’août (Miguel Gomes) - Sortie le 17 juin 2009.

Plus j’y pense, plus j’y vois le manifeste du cinéma libre d’aujourd’hui, un cinéma qui ne pense pas qu’au cinéma, mais qui dit simplement que le cinéma, c’est ce qui rend la vie plus intéressante que le cinéma.

Sur ce, donc, bonne vie, bonne année et bon cinéma.

lundi 29 décembre 2008

Elégance masculine

Comme quoi, ils étaient faits pour s'accorder...


Les têtes : Il Divo, un groupe clinquant qui vise à décaper la classe à l'italienne.
Les jambes : Il Divo, un film clinquant qui vise à décaper la classe politique italienne. 

mardi 23 décembre 2008

2008, année des découvertes

Les films les plus marquants vus cette année ne portent pas le millésime 08. Plus troublant, ils éclairent même d'une autre lumière certains titres 2008.

Ainsi, en 2008, comme beaucoup, j'ai vu et aimé Two lovers, mais le vrai, le pur, le seul mélodrame amoureux, c'est La source thermale d'Akitsu (Kiju Yoshida 1962).
Grand film sur le serment amoureux vécu comme une contagion, le drame de Yoshida restera le plus intense et passionnel moment ciné de l'année. 
Comme le film de Gray, il tire sa force d'une certaine conjugaison de genres et de sensations contradictoires : la douceur de l'élégie (rarement vu la nature filmée avec autant d'éclat et d'incandescence) n'empêche pas de faire sourdre la puissance sismique du ravage sentimental. D'où une sorte de pièce poétique inédite: l'élégie tellurique. Et au-delà de la puissance d'incarnation, d'inoubliables et entêtants motifs picturaux : des changements de saison filmés comme de fascinants sortilèges plastiques ; l'insistance sur les figures de la grille (qui sépare et diffracte l'image des amants) et des fondus (qui au contraire, les rapproche tout en les diluant). Idée pour un prochain TP, une fois qu'on aura remis la main sur le DVD : résumer le film en cinq captures de fondus (tous plus beaux les uns que les autres ) et qui paraissent dessiner un territoire mental : les limbes des amants où plutôt le refuge que ceux qui se savent par avance condamnés, construisent par communion d'esprits.

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Ainsi, en 2008, comme certains, j'ai vu et aimé Darjeeling limited, mais le vrai, le pur, le seul divertissement mélancolique haut de gamme, stylé jusque dans le port de ses costumes et les coutures de ses malles de voyage, c'est Paper moon (Peter Bogdanovich 1973). 

Proximité tant de style que de thématiques (la filiation contrariée, le voyage initiatico-psychanalytique). En fait d'éloge détaillé, pas grand-chose à rajouter à celui-là. Et pour apporter de l'eau au moulin du voisinage des deux cinéastes, signalons simplement la bonne place du film de Bogdanovich (grand succès à l'époque de sa sortie, totalement oublié depuis) dans ce classement improbable et surtout ce dialogue entre pair et fils.

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Ainsi, en 2008, comme ceux appartenant à la confrérie, j'ai vu et aimé En avant jeunesse ! mais le vrai, le pur, le seul film sur la jeunesse qu'on ne parvient pas à arrêter, c'est Rysopis - signe particulier néant (Jerzy Skolimowski 1964). 

Film de fin d'études, mais plutôt étude de la jeunesse aussi bien comme sujet que comme objet. Plus que de livrer un autoportait bouillonnant, Skolimowski prend à bras le corps les contrariétés de son époque et de son pays pour faire véritablement de son présent, table rase.

Si Skolimowski ne se sent nulle part à sa place, c'est l'espace autour de lui qui s'en trouvera chamboulé. Virtuose dans son jeu sur la diffraction de l'espace (toujours trop restreints ou mal proportionnés, toujours animé de mouvements contradictoires), le film fait feu de tout bois et scénographies de chaque séquence, presque de chaque instant. Au bout du compte, l'impression de transformer l'impatience en carburant vital ou tout du moins en implacable mécanisme de survie contre l'oppression et l'ennui. Elan créatif qui se poursuivra de la plus belle des manières dans son film jumeau suivant: Walkower (1965), film chéri ici et chroniqué au tout début de ce blog.

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Enfin, comme beaucoup de ploucs cannois, en 2008, je n'ai pas eu envie de franchir La frontière de l'aube, mais le seul, le vrai, le pur film de Garrel où il jette magnifiquement du vinaigre sur ses plaies si soigneusement cultivées, c'est Elle a passé tant d'heures sous les sunlights (1985), vu quelques semaines auparavant.

"Plus embouti qu'abouti" (je ne sais pas de qui est la formule, mais je l'adore), ce Garrel qui mime le démoulage de rushs laisse entrevoir une passionnante réinvention de soi-même et de l'écriture filmique à la première personne. Film qui trouve son contraste et son intensité dans une suite de gammes filmées forcément inégales mais où la musicalité dissonante et la friction des moments entre eux apportent finalement un étrange apaisement, plus fort en tout cas qu'une illusoire harmonie. Rien n'est simple ni affectivement, ni professionnellement dans la vie de Garrel qu'il transpose à l'écran, mais ce qu'il en ressort, malgré tout, c'est un besoin vital d'expérimenter et de renouer avec l'innocence du regard avec finalement sa plus fidèle amie : sa caméra.   

Et puis, rendons grâce à ce film d'être l'un des rares (si ce n'est le seul) à avoir filmé le plus moderne et le plus secret (moderne et secret, deux adjectifs qui vont bien à Garrel) des monuments parisiens : le Mémorial des martyrs de la déportation (Georges-Henri Pingusson architecte 1962) ...

.... visité au cours d'une assez bouleversante séquence déjà évoquée lors d'un précédent post.

mercredi 17 décembre 2008

Eternelles féminines

Prenant le relais de mes petits camarades (, et ), je transforme ce blog en chambre d'ado tapissée de posters de 20 actrices adorées. Pas tant des jugements sur des performances de jeu (et en essayant d'éviter les redites des précédentes listes), que plutôt 20 visages, 20 attitudes venues comme ça, sur le moment, et qui composent un puzzle fantasmatique... qui régalera peut-être quelque psychanalyste qui échouera un jour sur cette page.

 ***

Les femmes enfants plus fortes que les adultes (Giulletta Masina dans La Strada - Federico Fellini 1954)


Les épouses, les mères et les muses (Gena Rowlands dans Gloria - John Cassavetes 1980)


Les mamans parfaites (Cate Blanchett dans La vie aquatique - Wes Anderson 2005)


Celle qui, dès le premier plan, nous dévisage sereinement quand on dit d'elle : "God, she's beautiful..." (Barbara Hershey dans Hannah et ses soeurs Woody Allen 1986)


Celle dont le "visage peut justifier la vie d'un homme" (Leonor Silveira dans Val AbrahamManoel de Oliveira 1993)


Celle qui collectionne les hommes (Haydée Politoff dans La collectionneuse - Eric Rohmer 1967)

L'étoile filante (disparue en 2005) toute en alternance de force et de fragilité révélant aussi bien la grandeur que la lâcheté des amants (Eun-ju Lee dans La vierge mise à nu par ses prétendants - Hong Sang Soo 2000)


Celle qui peut tout porter et qui porte plus d'un film sur ses épaules (Audrey Hepburn dans Voyage à deux - Stanley Donen 1967)


Celle trop âgée pour nous et dont l'élégance paraît venir d'un autre temps, presque d'un autre siècle (Eleonora Rossi Drago dans Eté violent - Valerio Zurlini 1959)


Dans la douceur des fins d'été, les sourires des filles d'Orouët, les cousines des philippines (les filles dans les films de Jacques Rozier)

Le canon qui devient tordante après avoir bu des canons (Kim Basinger dans Blind Date - Blake Edwards 1987)  - Bon souvenir de cette "Party au féminin" mais comme le film paraît un peu oublié... De toute façon, ceux qui n'ont pas eu 14 ans en 1987 ne peuvent pas comprendre... 


Celle qui sait prendre la lumière du Nord (Harriet Anderson dans Monika - Ingmar Bergman 1953)


Celle dont le regard ne se fânera jamais sous les lumières artificielles (Mireille Perrier dans Elle a passé tant d'heures sous les sunlights - Philippe Garrel 1983)


Celle qui cherche à nouveau la lumière mais pour qui les films sont désormais trop petits (Gloria Swanson dans Sunset Boulevard - Billy Wilder 1950)

La fille aux alumettes (Kati Outinen dans les films d'Aki Kaurismaki)

La femme aux pétards (Mary-Louise Parker dans la série Weeds - Jenji Kohan 2005-2008)


Celle qui bat les hommes sur leur propre terrain (Barbara Stanwyck dans Forty Guns -  Samuel Fuller 1957)


Celle qui ne se laisse pas faire par les hommes (Constance Towers dans The naked kiss - Samuel Fuller 1964)


Celle qui est aussi forte dans le monojambisme que dans le bijambisme (Rose Mc Gowan dans Planet Terror - Robert Rodriguez 2007)


Celle dont le diaphane visage de sainte est une promesse à la lévitation (Deborah Unger dans Crash - David Cronenberg 1996 et Signs and Wonders - Jonathan Nossiter 2000 ou ici dans White noise - Geoffrey Sax 2005 sans doute un fort mauvais film, nonobstant ce splendide photogramme). 

mardi 16 décembre 2008

Résistance passive

"Notre métier est aux antipodes de la société : on ne parle pas, on ne bouge pas, on ne produit rien. Mais on nous demande d'exprimer des sentiments, tel un performer."
Marie, 30 ans, modèle aux Beaux-Arts, en grève (citée dans Le Monde du 15 décembre : voir et là aussi).

"MODELES : L'important n'est pas ce qu'ils me montrent, mais ce qu'ils me cachent, et surtout ce qu'ils ne soupçonnent pas qui est en eux."
Robert Bresson (Notes sur le cinématographe 1975)

***
Ce que Marie, 30 ans, "ne soupçonne pas en elle", c'est que ses deux seules phrases nous donnent la plus belle définition de la résistance à la vulgarité du monde : opposer l'expression à la productivité.

Photogrammes : Procès de Jeanne d'Arc (Robert Bresson 1962)

Merci à un vieil ami un peu perdu de vue, qui m'a fait découvrir ces propos en les mettant sur son profil Facebook (on s'est donc un peu perdu de vue dans le monde réel mais pas dans le monde virtuel).

Les grenouilles qui veulent se faire aussi grosses que le boeuf

Entendu à la radio, Philippe Haïm le réalisateur du sans doute nullissime Secret défense se gargariser du fait que "le cinéma français vivait une période faste et ne paraissait plus ridicule face au cinéma US". D'ailleurs, il en veut pour preuve qu'il n'a pas vu cette année de "Mesrine américain".
L'impression d'entendre Jérôme Kerviel donner une leçon d'arnaque à Bernard L. Madoff.

Du pain bénit pour les lacaniens ce nom: (the) mad off (the game), mad of... what ?... money ?... glory ?...

Transmis donc à Luc Besson, Matthieu Kassovitz, Jan Kounen, Guillaume Canet, Florent Emilio Siri et autres grenouilles qui veulent se faire plus grosse que le boeuf. Efforts bien vains que de vouloir concurrencer les Américains (enfin, certains Américains) sur leur propre terrain : celui de l'entourloupe disproportionnée. 

lundi 15 décembre 2008

A la dérive

Caméras embarquées qui manquent de passer par dessus bord à chaque coup de vent...


... mais au bout du compte, pour avoir su garder le pied marin et tenir la note....



... c'est bien le cinéma qui s'est dessalé. 

Extrait 1: Du côté d'Orouet (Jacques Rozier 1973)
Extrait 2: The national chante Gospel (Concert à emporter 2007)

Et puis si ça vous a plu, une autre bal(l)ade aquatique un petit peu plus calme mais non moins grâcieuse. 

vendredi 12 décembre 2008

Twice two lovers

Un adulte enfant un peu dérangé psychiquement qui vit l’amour par procuration en épiant sa voisine…

… et qui, quand l’amour se présente réellement à lui préfère mettre ses sentiments à l’épreuve de la tragédie.

Ça ne vous rappelle rien ?

Eh bien, non, il ne s’agit pas de Two lovers (James Gray 2008) mais de Bianca (Nanni Moretti 1984).

Entre les deux films, pas vraiment d'émotion comparable, mais un point commun tout de même : restituer l’ambivalence des méandres amoureux via des mélanges de genres a priori contre nature. Chez Gray, la short story new-yorkaise (à la Salinger) couplée avec l'ampleur opératique du mélodrame. Chez Moretti, un passage de relais entre satire, romance et suspense criminel où plutôt que de travailler le mixte des genres en filigrane, il s'agit plutôt d'assaisonner les trois humeurs de l'homme morettien (tant ses alter-egos fictionnels que le cinéaste lui-même) : tout en même temps rigolard, mélancolique et furieux. 

Sinon, pour d'autres voisinages avec le film de James Gray, voir la très belle note chez Ludovic.

jeudi 11 décembre 2008

Jeunes toujours

En passant, un bon anniversaire à nos deux aïeux préférés :
Manoel de Oliveira, cinéaste, né le 12 décembre 1908 : 100 ans dans quelques heures...

Oscar Niemeyer, architecte, né le 15 décembre 1907 : 101 ans dans quelques jours...

***

Très intrigant, le titre du dernier projet d'Oliveira Singularités d'une jeune fille blonde, une relecture du blonde movie ?..

Le secret de leur longévité, c'est que chacun des deux est une moitié de dicton... Oliveira, c'est "bon pied" et Niemeyer "bon oeil"...

J'arrête là avec ces vannes à deux francs... Ils méritent mieux quand même ces deux artistes, mais j'ai pas pu m'en empêcher... Lisez plutôt de meilleurs hommages, ici et ...

mardi 9 décembre 2008

La note ou la vie


La vie comme symphonie qui ne prend son sens qu'à la toute dernière note: l'ultime. Serait-ce le sens de cette célébrissime séquence ?


L'homme qui en savait trop (Alfred Hitchcock 1956)

Quand la musique s’arrête, la vie s’arrête. A cet implacable théorème distillé par ce morceau de bravoure hitchcockien, on peut tendre en miroir une autre séquence plus souriante, ponctuée là aussi par les percussions de l'orchestre :



Il était une fois un merle chanteur (Otar Iosseliani 1970)

Une ouverture de film qui nous déroule un autre axiome que le morceau de bravoure hitchcockien : plus la vie va, plus la musique est là, présente comme résonnance aux plaisirs de la vie (et le film d’Iosseliani ne cesse de célébrer l’imbrication de ces trois formes d’hédonisme : la glande, la drague et l’art).

Chez Hitchcock, la grande forme : la symphonie comme marqueur du suspense….. Chez Iosseliani, l’ampleur orchestrale survient par la mixité de formes musicales plus modestes (la symphonie naît de l’imbrication des sonates et des impromptus), formes musicales où la discipline du groupe aura été précédée de l’échappée individuelle du soliste. Tous les deux s ‘attachent à la figure du percussionniste comme anti-virtuose (on n’est jamais allé à l’orchestre pour entendre un solo de tambours ou de percussions), mais là où le cymbalier d’Hitchcock n’est qu’une pièce consciencieuse de la mécanique de l’ensemble, celui d’Iosseliani est un fugueur qui manque de sécher ses obligations professionnelles. Celui d’Hitchcock est un employé modèle. Celui d’Iosseliani plus qu’un dilettante. Mais c’est précisément son goût du risque et de la flânerie, son appétence à vivre non pas « en musique » mais « dans la musique »  qui l’empêche de transformer son métier en routine. Arriver juste à temps pour effectuer son roulement, c’est peut-être le meilleur sort à faire pour les quelques notes de sa partition qui n’auront jamais pris autant de valeur.

Chez Hitchcock, il est des notes de musique comme des heures chez les Romains : Vulnerant omnes, ultima necat (toutes blessent, la dernière tue). Vivre, serait-ce repousser la dernière note ?

Chez Iosseliani, point de destin comme partition écrite à l’avance, mais une constante réinvention du moment. Les notes de musique sont comme les instants de grâce : d’autant plus belles qu’elles risquent ne pas avoir été jouées. Il faut un rien pour que les moments de grâce s’évanouissent, pour que la musique parte de travers. Et cette somme de petits riens, le film d’Iosseliani l’esquive constamment. Chez Hitchcock, la note tue. Chez Iosseliani, vivre, c’est partir à la quête de la note juste…

***

Et puis l'art de la ronde et de la charade chez Iosseliani comme cette façon de privilégier le sans-grade de l'orchestre me rappelle ce célébrissime dessin de Sempé où lors des applaudissements, le chef d'orchestre salue le pianiste qui salue le premier violon qui salue ses accompagnateurs et ainsi de suite jusqu'au triangle, sommet de cette pyramide inversée. De l'art de renverser (en douceur) les hiérarchies.

vendredi 5 décembre 2008

L'illusion réelle

Des béances circulaires dans un bâtiment reprises....
... de Gordon Matta-Clark (extrait de Conical Intersect - 1975)
+
Un effet spécial repris de....

... L'homme à la caméra (Dziga Vertov 1929)
=
Turning the place (Richard Wilson 2007) 

Ou comment transformer l'illusion en littéral... (cf le making of)

mercredi 3 décembre 2008

Blasphème...

... que de les rapprocher ces deux-là (plutôt ces trois-là en l'occurrence) ?



Trop tôt , trop tard (Jean-Marie Straub et Danièle Huillet 1982)



C'était un rendez-vous (Claude Lelouch 1976)

Deux plans-séquences comme deux performances (celle sportive de Lelouch, celle à montrer dans une galerie pour les Straub). Deux moments d'hypnose et d'ennui. Deux "time capsules sur un Paris irréel". J'adore chercher des détails sur l'ambiance d'une Bastille que je n'ai pas connue: celle sans l'infâme Opéra et chez Lelouch, voir au bout de l'asphalte, ce Paris endormi et désert se mouvoir comme un décor de théâtre. Deux "mises en crise" du cinéma où le regard du cinéaste paraît disparaître derrière la production automatique d'images proches de celles d'autres médiums : caméra de surveillance ou jeu vidéo.

Deux prises de risques tout de même. Prise de risque littérale pour Lelouch prêt à sacrifier son permis moto pour l'amour du cinéma. Prise de risque plus conceptuelle pour les Straub, une sorte de "saut dans le vide" esthétique, un plan littéralement vidé de toute figuration, voire un monochrome filmé.  

En apparence, au vu des ces deux séquences, les Straub tournent en rond et Lelouch va tout droit. L'exact contraire des avis émis sur leurs parcours respectifs, fort de près de 50 ans de cinéma. Malgré des élans sincères, la filmographie de Lelouch s'enferre dans ses tics et s'englue dans le surplace tandis que celle des Straub progresse en creusant un même sillon rectiligne et franc. L'un bégaye. Les autres persévèrent.

De fait, ce que filment les Straub, c'est littéralement un mouvement de révolution, au sens géométrique du terme, mouvement par essence en déséquilibre, en  tension vers l'aspiration de sa propre ivresse : vers le vertige ou la faillite ? Circonvolutions qui semblent épouser la forme même d'une question sans réponse (tourner autour d'un "modèle inaccessible", en l'occurrence celui de la Révolution Française analysée par Engels, le saisir sous toutes ses faces sans jamais parvenir à l'épuiser). 

Quand le plan de Lelouch ne parle que de son assertion (arriver d'un point A à un point B sans surprise et sans encombre), ce que filment les Straub, c'est l'interrogation.

Merci à GM pour l'extrait des Straub et à Doc Orlof pour avoir suggéré le rapprochement (impie?).