dimanche 7 mars 2021

Pialat Foot 82


 Didier Six (bras levés) dans Passe ton bac d'abord (Maurice Pialat 1978)


Dominique Rocheteau dans Le Garçu (Maurice Pialat 1995)

Deux joueurs de l'équipe de France 1982 dans la filmo de Maurice Pialat, soit un taux d'intégration d'une équipe légendaire dans la filmographie d'un cinéaste légendaire, absolument remarquable de 2/22, soit 1/11, soit 0,09 %. Le chiffre reste évidemment modeste en valeur absolue, mais comme il n'y a pas d'autre exemple, c'est déjà étonnant. Et si l'on spécialise la statistique à "intégration d'une ligne d'attaque d'une équipe de légende dans la filmographie d'un cinéaste de légende", nous arrivons à 2/6, soit un tiers, soit un taux absolument faramineux de 33,33333333333333333...... %.

Passe ton bac d'abord est le premier Pialat que j'ai vu... Enfin, vu... C'est beaucoup dire. Ce devait être aux débuts des années 80. Le film passait un soir sans doute sur FR3, coproductrice du film (mais "on s'en fout que les chaînes produisent mes films"). J'avais dû allumer machinalement la télé, espérant grapiller quelques images avant d'aller me coucher. Et j'étais tombée sur ces images de foot qui m'avaient sidérées par leur proximité. Je n'avais jamais vu des joueurs d'aussi près, la tension du match et la ferveur des tribunes. Personnellement, j'en aurais bien pris pour le match entier et je me suis pris à rêver que tout le film soit comme ça... 

(D'autant plus que le match en question est un Lens-Bastia de janvier 1978, match assez fou-fou avec remontada avortée et chevauchées flamboyantes de Johnny Rep.)

Malheureusement, étant bien jeune et pas préparé à Pialat, les quelques minutes suivantes m'ont paru bien rudes, et je me sentais même agressé par la frontalité du filmage et l'absence de séduction apparente d'un tel cinéma, à mille lieues de mes habitudes de spectateur d'alors. Bien loin de mes habitudes d'alors, mais finalement pas si éloignés, car la rue de mon école primaire, allait être filmée, bien des années plus tard, dans Le Garçu (c'est celle de la garderie du petit Antoine). Comme quoi, les choses peuvent se rejoindre.

En ces années-là, donc, c'est aussi la découverte du foot et de sa part fiévreuse, romantique, injuste avec l'équipée de la France de Platini au Mundial 1982. Parcours légendaire mais très contrasté. Un départ catastrophique (contre l'Angleterre), un groupe sous la menace d'une implosion (avec le vaudeville Larios-Platini), la montée en puissance, la grande heure du France-RFA de Séville. Et puis immédiatement après, deux "matches de trop", deux France-Pologne. Le premier, match pour la troisième place est un peu un remake fatigué de la demi-finale, joué par les remplaçants : un match qui paraît d'abord à la portée de l'équipe puis l'écroulement avec trois buts des polonais en six minutes, avant et après la mi-temps. (Je crois même me souvenir avoir entendu "Maman, j'ai peur !" de la bouche du gardien Castaneda sur un corner. Mais peut-être que je fantasme.) 

Le deuxième, joué le 31 août au Parc des Princes est une catastrophe. Bon d'accord, c'est un match amical, mais joué dans un Parc aux trois quarts vides, sans Giresse ni Rocheteau ni surtout Platini. Certes avec Tigana, Trésor et Bossis (remplacé à la mi-temps) et le gardien Jean-Luc Ettori qui se fait constamment siffler et dispute là son dernier match international (alors qu'il deviendra ensuite excellent en club). Tout cela pour une victoire de la Pologne 4-0. Je m'en souviens. C'était la première fois (et finalement la dernière) que j'assistais à un match de l'Equipe de France, tout heureux d'espérer voir les héros du Mundial en vrai, avant de déchanter. 

Ce qui laisse songeur rétrospectivement, c'est l'absence totale de storytelling autour de ce moment où Hidalgo, Platini et consorts avaient quand même donné naissance à une équipe (qui trouvera son accomplissement deux ans plus tard avec l'Euro). Rien sur le "retour des héros à la maison", alors qu'ils avaient quand même fait rêver tout un pays. Pas plus que 16 221 spectateurs (affluence officielle) à avoir envie de les saluer. Et puis sur le terrain, une ambiance "retour au boulot", un morne galop d'essai, sans implication ni enjeu.        

Du haut de mes neuf ans, j'expérimentais ce soir-là une expérience très "pialatienne": comprendre que la grâce ne reviendra pas de sitôt, devoir composer avec la récurrence de l'ingratitude.

Comme quoi, cette équipe était faite pour croiser Pialat.

Sinon, autres associations d'idées sur le foot et Pialat.

- Les matchs disputés dans des stades vides entraînent un autre rapport au son: soit un "montage son" recréant maladroitement la ferveur des supporteurs, soit une ambiance plus vériste où l'on entend désormais les impacts des frappes, des coups, les cris et appels entre joueurs.... Toujours à Bollaert (le stade de Passe ton bac...), voici (certes, dans des circonstances très particulières), l'exact inverse : un stade plein mais silencieux (+ quelques frappes dans les mains à partir de 0:32).


- Le générique de fin du Garçu se déroule sur Human Behaviour de Björk (1993).
"If you ever get close to close a human and human behaviour
Be ready, be ready to get confused... (...)
There's definitely, definitely, definitely no logic to human behaviour... (...)
And there is no map
And a compass wouldn't help at all"...
C'est drôle, ces paroles auraient pu être écrites par Pialat. Tout son cinéma a tenté de dresser la cartographie du comportement humain, tout en étant conscient de son illogisme. Rien de plus logique qu'elles concluent son oeuvre !

-Hey Man Amen, une des dernières chansons de Gainsbourg (1989), est comme Le Garçu, un hymne à son fils qu'il ne verra pas grandir, un testament vivant pendant qu'il est encore temps. Et comme Le Garçu, c'est tout en rimes en U : "Quand je serai refroidu / A toi de te démerdu / T'inquiètes, je me casse au paradus / Me manqueront tes baisers éperdus / Pense à moi, je veux pas que tu m'oublues !"

D'ailleurs, Gainsbourg et Pialat étaient deux "peintres déçus", qui après leur déception initiale se sont réfugiés dans un autre art "mineur" (la chanson et le cinéma) qu'ils ont révolutionné, chacun à leur manière.