VIEILLIR (1)
... Benjamin Button (David Fincher 2009), c'est vraiment la version spielbergienne (celui des mauvais jours) du court-métrage
Le droit chemin (Mathias Gokalp 2004 - à défaut de le voir, on pourra en lire
le scénario), qui en quinze fois moins de temps et de moyens en disait nettement plus, et de manière autrement plus inventive, sur le désir que sa vie "aille dans l'autre sens". (Je me demande d'ailleurs si le film "à chronologie inverse" n'est pas à mettre en tête du top des fausses bonnes idées au cinéma, ce court étant l'exception qui...).
Certes, quelques moments émouvants (bien le moins pour une telle durée) mais qui ont tout de même du mal à peser face à tant de vitrification. Moment tout de même assez touchant, quoiqu'assez surligné (mais tout le film l'est) lors de la scène des retrouvailles de Button et Daisy avec leur fille pour témoin, quand Brad Pitt fait plus jeune que Brad Pitt. La démonstration numérique fait naître un vrai trouble sur la présence ou non de l'acteur : entre le personnage de chair ou de sang et l'ectoplasme copié-collé. Je ne dois pas être le premier à l'écrire, mais rarement, l'idée rebattue selon laquelle un acteur, c'est quelqu'un qui "vieillit devant la caméra" n'aura trouvé sa mise en pratique que dans cette scène.
VIEILLIR (2)
Il est un charme secondaire de
Two lovers (James Gray 2008) mais qui n'est pas le moins envoûtant: celui de retrouver Isabella Rosselini qui, d'un coup (pour qui gardait l'image de la panthère de Sailor et Lula), semble "avoir pris vingt ans", mais n'en reste pas moins délicieuse. Impression d'autant plus troublante que cette actrice a toujours paru
jeune dans sa tête. Ce vieillissement soudain d'un acteur, montré sans apprêt dans l'expression de son âge réel, James Gray en avait déjà joué avec Faye Dunaway dans
The yards (2000). Retrouver la Bonnie sans fard produisait chez le spectateur la même impression qui, dans le film, saisit le fils qui retrouve sa mère en sortant de prison : il s'est passé tant de temps, je suis resté tellement longtemps sans te voir...
Cet effet de retrouvailles entre le spectateur et une actrice, comment pourrait-on le qualifier? En fait, il me semble multiple :
- une part d'effet Facebook : (re)découvrir le quotidien de camarades de collège, perdus de vue depuis plus de 15 ans. (A ce propos, dois-je "être désormais ami" avec celle qui écrivit sur ma photo de classe de 3e: "excuse-moi, mais je manque d'admiration... euh, pardon d'inspiration. Excuse-moi encore, mais c'est malheureusement vrai".) On ne sait pas ce qui s'est passé durant toutes ces années, mais dorénavant, on connaît les habitudes de chacun, sans réellement les connaître davantage. Il reste cependant une parenthèse à combler. On voit très nettement le présent, mais le passé reste un mystère... De fait, une aussi longue absence pousse à poser des questions (Que s'est-il passé pendant tout ce temps-là ? C'était quand la dernière fois qu'on s'est vu ?)
Et dans le cas présent, celui d'Isabella Rossellini dans Two lovers, ce qui se joue n'aurait-il pas carrément à voir avec ça :
- le troisième effet de ces retrouvailles, cette façon de reconnaître les personnages comme frères et soeurs, à vouloir les assaillir de questions sur ce qu'ils sont devenus, ce serait donc l'effet Rose pourpre du Caire (Woody Allen 1985). La proximité avec un personnage, un acteur, une aura, comme la meilleure invitation à rentrer dans un film...
Et tant qu'on y est, un autre effet "Rose pourpre", mais en vrai celui-là :
Le début de la vidéo surtout, le raccord sur la chanson : d'abord sur l'écran, ensuite dans la salle... Vingt ans entre les deux (mêmes) voix, les deux (mêmes) chants fragiles et hésitants. Une parenthèse comblée. Mais entre les deux, on s'est "pris vingt ans", vingt ans et si peu d'autres Mauvais Sang. Ce qui peut aussi donner le bourdon, c'est selon...