lundi 22 février 2010

Hiroshima, ma tendresse

Vu à Rotterdam, Hiroshima de Pablo Stoll est un film pour lequel j’éprouve une grande tendresse, mais que je conseillerais avec prudence, étant donné la maigreur même de son projet. J’en parle puisqu’il passe durant le festival Hors Pistes de Beaubourg ce 27 février et qu’il ne devrait pas connaître de sortie chez nous. Pour ceux donc qui voudrait tenter l’expérience…


« 12 heures de la vie d’un glandeur ». Voilà quel pourrait être le sous-titre de cet opuscule flâneur, potache et minimal, mais non dénué de grâce. Il ne s’y passe pas grand-chose à part les déambulations d’un jeune homme dans la ville, entre rencontres de fortune, gags minimes, coulées steadicameuses à pied et à vélo, bercement de rock bruitiste et interruptions dues à quelques intertitres.


Pablo Stoll a filmé là son jeune frère (et incidemment ses parents et ses amis), un frère assez fuyant et secret dont le caractère insaisissable s’accommode assez bien du pari formel du film (beaucoup de bruit et de mouvement mais pas de dialogue).


J’attendais aussi ce film puisqu’il marquait le retour de Pablo Stoll après Whisky en 2004, assez exemplaire comédie humaniste à combustion lente, qu’il avait cosigné avec Juan Pablo Rebella Seulement, Rebella s’est donné la mort en 2006 et ce n’est donc que seulement aujourd’hui que Pablo Stoll revient au cinéma avec ce film qui pourrait s’apparenter à de simples gammes (mais réalisées avec aisance).


Certes, on n’est pas obligé de connaître l’histoire personnelle du réalisateur pour appréhender le film, mais le titre (qui trouve son explication dans une dernière séquence frontale et intense) suggère l’impact d’une déflagration intime, et il apparaît évident qu’au-delà de ce jeune frère, Pablo Stoll dresse aussi le portrait de son complice envolé. Après la réussite et la maîtrise discrète de Whisky, ce duo de cinéma semblait parti pour de longues et belles aventures. Et de cet élan coupé, cette complicité brisée nette, Hiroshima parle aussi, mais pour mieux les conjurer : comme un film qui, après une longue période de silence ou de crise d’inspiration se refuserait à voguer sur le deuil et réapprendrait à marcher, à regarder les siens avec confiance et respect, un film où l’on ressentirait très fort cette profonde énigme : comment dresser le portrait des êtres proches et mystérieux que l’on croît connaître mais qui partagent toujours un jardin secret, parfois douloureux ? Filmer, partager, portraiturer pendant qu’il est encore temps, c’est somme toute le contrat minimum et essentiel de cet Hiroshima, qui sous ses airs de court-métrage rallongé, a de plaisantes allures de First days : une errance somnambulique qui serait un retour à la vie.



lundi 15 février 2010

Quand Gene Hackman rend hommage à Rohmer


"Regarder un Rohmer, c'est comme regarder de la peinture sécher". (extrait de Night moves Arthur Penn 1975)

Hum, hum, Gene, si tu veux voir de la peinture sécher (disons, plus précisément, de la gouache s'écailler), regarde plutôt ça :


Chairlift - Evident ustensil (clip de Ray Tintori 2009)

Sur le premier extrait qui m'a toujours intrigué (on trouve aussi des jugements vachards sur des films contemporains chez Moretti, Woody Allen, Skorecki ou Apatow, tous dotés d'un degré d'acidité plus ou moins virulent, mais on ne s'attend guère à trouver un jugement aussi péremptoire dans un polar), vous pourrez lire Kent Jones en page 22 des Cahiers et sur la seconde vidéo, la futile contribution de votre serviteur en page 68 de cette même revue.

mardi 9 février 2010

La meilleure adaptation pirate de J.D. Salinger ?

Je ne suis pas un grand connaisseur de JD Salinger. J’ai lu Franny et Zooey et ses nouvelles peut-être un peu trop tard pour y être vraiment attachés et j’ai bien peur que pour L’Attrape-cœurs la date de péremption soit passée. Tout cela rajouterait-il encore une couche de mélancolie à un univers qui en déborde déjà ? Peut-être. Mais le plus important dans mon cas, c’est que sans être un grand familier de son œuvre, je crois aussi connaître Salinger par l’irrigation souterraine (et vaguement pirate puisqu’il a toujours refusé toute adaptation de ses récits) de son imaginaire dans le cinéma. Antoine Doinel, les adolescents skolimowskiens qui courent pour mieux oublier que c’est quelque part perdu d’avance, les célibataires volages, buveurs et velléitaires d’Hong Sang-Soo, les génies inadaptés de Wes Anderson me paraissent tous de bien familiers cousins de la galaxie salingerienne. J'ai peut-être tort mais je n'ai pas l'impression d'être totalement dans le faux.
De toutes les approches plus ou moins conscientes ou volontaires pour accommoder son univers au cinéma, celle que je retiens, c’est The squid and the whale (Les Berkman se séparent) de Noah Baumbach (2005), scénariste de Wes Anderson, mais qui offre ici une version dégraissée et dénuée de fétichisme, du cinéma de son alter ego.

Histoire simplissime. Un couple d’intellos new-yorkais se sépare, sur fond de rivalités familiales et professionnelles. Chacun des deux fistons prend parti : l’aîné pour le père, le second pour la mère, en même temps qu’ils vivent plus ou moins bien leur adolescence. In fine, pour ce film qui pourrait s’appeler "Dans Brooklyn" ou "Dans Manhattan", le seul film qui explore vraiment le pitch de Dans Paris (aussi une adaptation pirate de Franny et Zooey – on n’en sort pas) : « le portrait d’une famille dont la devise serait Prends la peine d’ignorer la tristesse des tiens ».



Je ne sais pas si cela paraît évident à la vision de ce simple extrait, mais j’y trouve un art du découpage très proche de la prose de Salinger : tendu, instable, pris entre deux extrêmes mais étonnamment fluide. Le malaise y côtoie sans cesse l’apaisement, la gaucherie n’est qu’une autre face de la douceur et la cruauté l’autre versant du réconfort. Sur le plan cinématographique, cette ambivalence des sentiments se traduit par des coupes de montage à léger contretemps (souvent un poil trop tôt), provoquant une petite frustration mais donnant de fait une autre acuité aux gestes et aux regards, parfois brisés dans leurs élans mais qui, se relayant les uns les autres, atteignent étonnamment leurs cibles. Je ne sais pas si vous serez d’accord avec moi, mais je vois dans ce film étonnamment resserré le même art du contraste et de la suspension que dans la prose de Salinger, une phrase qui vient nous cueillir par surprise, qui sait ménager l’art du contre-pied (cf la fin glaçante d’Un jour rêvé pour le poisson-banane), un contrepied minimal, parfaitement logique dans sa retenue et pourtant totalement inattendu dans ses effets.

vendredi 5 février 2010

Où est la Passion ?

Je m’en voudrais presque de gâcher l’admiration réciproque que se vouent Manoel de Oliveira et Abbas Kiarostami. Mais quand le premier dit de Shirin du second que c’est « beau comme la Jeanne d’Arc de Dreyer, d’ailleurs c’est un film construit sur le même principe, où toute l’émotion se joue sur les visages », j’ai assez envie de le contredire avec gêne et culot et d’affirmer que la Passion du moment, je la vois plutôt du côté de Ne change rien de Pedro Costa. Bon, bien sûr, il ne s’agit pas de le mettre au même niveau que Dreyer, d’autant plus que ce titre apparaît sans doute moins essentiel, moins politique, plus volatil, plus mondain que les précédents. Il n’empêche, il engage, avec Shirin un échange (si ce n’est un duel) qui poursuit, sur un versant plus sensoriel, les approches théoriques énoncées par le Kiarostami.

Le miroir (Shirin) contre la chambre d’écho (Ne change rien)

Shirin utilise l’écran comme miroir de la salle de cinéma (et sur l'intégralité d'un long-métrage , ce qui en ferait a priori un geste ne faisant aucune concession au public). En filmant la succession d’une centaine de visages regardant (ou plutôt écoutant) un récit d’amour impossible (comparable à Roméo et Juliette), Kiarostami semble regarder au microscope le flux des émotions qui voguent dans l’air d’une salle obscure. Un film n’est finalement qu’un échange entre des images projetées sur un écran et la tête du spectateur, et Shirin se propose de filmer carrément cet échange. Seulement, la frontalité même de ce geste l’empêche quelque peu de dépasser son énoncé et de passer à travers ce fameux miroir. Somme toute, il paraît manquer là une troisième dimension, un regard de biais, une autre épaisseur qui paraît manifeste dans le dernier Costa.

On sait que le cinéma de Pedro Costa donne toujours une incroyable ampleur à des espaces clos : chambre de Vanda, « piaule de montage » des Straub, ou ici studio d’enregistrement et de répétition. Lieux sans échappatoire transformés en laboratoires d’alchimiste où se cristallise une chimie humaine et créatrice. Davantage qu’une « fenêtre sur le monde », les films de Costa apparaissent comme des emboîtements : la boîte noire de la salle de cinéma s’ouvre sur un autre espace forclos. La densité des noirs de l’image et les limites du cadre généralement imprécises soudent cette imbrication. Au-delà du stade du miroir, la salle de cinéma devient alors chambre d’écho, un espace immersif où l’image ramenée à une lueur fragile mais persistante est épaulée par la puissance du son, musique en train de se chercher, matière encore intermédiaire, perpétuellement remise sur le métier, rejouant par là même le cheminement de l’idée à la matière puis à la forme énoncé par Straub:



(Et puis tiens le bougre semble aussi annoncer Ne change rienLa liberté du musicien, elle vient quand il domine parfaitement sa mécanique »).

Car c’est aussi sur le plan du son que se joue le match Shirin / Ne change rien. Dans Shirin, la bande son prend en charge le film regardé par les spectatrices, que nous ne voyons pas, mais que nous sommes censés imaginer, tant par ce que nous percevons du récit que par les réactions de l’audience filmée. Mais ce travail d’imagination est paradoxalement amenuisé par les réactions très tautologiques des spectatrices (des larmes aux moments d’émotion, des sursauts aux moments de stupeur) et qui paraissent finalement faire rimer Pavlov et Koulechov. Tout au contraire (et quoi qu’on pense de la musique de Burger et Balibar), la substance sonore de Costa porte en elle une indécision, qui donne plus de danger à un film en quête de son propre chemin.

En somme, Shirin reste collé à la littéralité de son propre dispositif quand Ne change rien largue les amarres, prend plaisir à tâtonner dans le noir. Avec sa suite d’effleurements de visages apaisés, Shirin sait constamment où et quand il en est tandis que Ne change rien, s’il scrute aussi les visages avec attention, ne prend pas cette observation comme une fin mais comme un moyen. Dans la nuit de la répétition, le visage est la première lumière à laquelle se raccrocher. « On y croit ! » dit Burger en précisant qu’il s’agit là de « l’expression des indés » quand Balibar surenchérit « au cinéma, c’est amusez-vous ! ». De fait, ils ne paraissent pas tellement s’amuser mais tout le monde finit par y croire. Et les mots des chansons (« you’re torturing me » ; « je me mutile, c’est bien utile ») de résonner avec d’autant plus de vigueur pour construire cette Passion de Jeanne B, passion au sens propre : souffrir avec.


jeudi 4 février 2010

Le football américain...



... le comprendrais-je mieux et m'y intéresserais-je davantage s'il était filmé comme ça ?

(sur Slate V, via artypop sur twitter).