Pour les Parisiens, les films de la Quinzaine des Réalisateurs sont repris à partir de mercredi 30 mai jusqu’au 5 juin, au Cinéma des Cinéastes. Quatre conseils.
Control de Anton Corbijn
Malgré le triomphe de Ken Loach l’année dernière et la présence de Frears en grand manitou du jury, un seul film anglais sur la Croisette. Par chance, l’un des tous meilleurs, toutes sélections confondues. Présenter le film comme « la biographie du chanteur de Joy Division par le clippeur de Depeche Mode », c’est déjà faire surgir les deux énormes écueils du biopic et du « film de photographes », écueils brillamment esquivés. Car, autre raccourci commode, nous sommes là en présence d’une chronique sociale type Looks and Smiles (le meilleur Loach) traversé par les flamboyances glacées de la cold wave. Film ressenti au pur présent (rare de ressentir aussi peu la reconstitution) et surtout film qui épouse le point de vue d’un jeune homme dépassé par ses fulgurances rimbaldiennes. Sans cliché rock’n roll, Control montre aussi comment la création rock (oui, je sais, Joy Division, c’est pas tout à fait du rock) se nourrit nécessairement du quotidien, pour mieux le vampiriser. Le plus beau dans le cheminement de Ian Curtis, c’est qu’il en train de poser les bases d’une révolution souterraine de la musique, mais qu’il ne le sait pas. Il devient presque un petit frère du Van Gogh de Pialat tant finalement il n’en aurait « rien à foutre de ses chefs d’œuvre » si ceux-ci ne l’aident pas à vivre mieux. Enfin, le meilleur du cinéma anglais : ses acteurs, jeunes, excellents et habités qui font aussi de Control, avec Une vieille maîtresse et La visite de la fanfare le meilleur film de troupe du Festival.
La Question Humaine de Nicolas Klotz
La blessure, le précédent film de Nicolas Klotz aurait déjà pu s'intituler La Question Humaine, tant son propos allait bien au-delà du sort des sans-papiers et interrogeait brillamment ce qui fait l'essence même d'un être: son rapport aux trajectoires contraintes ou librement choisies, son degré d'enfermement subi dans une société occidentale dite libre. Avant tout discours, c’était le rapport à l'espace et la présence au monde qui définissaient le degré de liberté de tel ou tel.
Situé dans le monde de l’entreprise, La Question Humaine ne se présente pas simplement comme "la prise de conscience d'un petit soldat du monde libéral", mais élargit son propos autour des questions de l’Histoire et de la mémoire. Propos complexe et architecture tortueuse, peut-être même trop vastes pour un seul film, mais l’ambition dans le cinéma français, ça fait toujours plaisir. Certains ont reproché au film son aspect théâtral, mais la démarche de Klotz rejoint justement celle des meilleurs praticiens de la scène, tant le travail scénographique impressionne. Qu’y a-t-il sous ces corps costumés, cravatés, presque identiques les uns aux autres ? Il y a des chorégraphies sans danse des costards cravates, et Des gestes qui trahissent, des corps qui pètent les plombs (impressionnante séquence de baston dans une boîte de nuit) et surtout la mise en scènes et en actes d’une parole franche.
La France de Serge Bozon
Avant la projection, la bande à Bozon jurait ses grands dieux que ce que l’on allait voir allait ressembler à « tout sauf à un film français ». Ce sur quoi, quelques spectateurs désorientés à la fin du film ont rebondi en définissant le film comme une parodie de cinéma français. Réponse simpliste à une affirmation crâneuse. Car le film évidemment vaut beaucoup plus que cela. C’est déjà une meilleure tentative, après l’assez pénible Pont des Arts d’Eugène Green, d’accueillir des acteurs « du système » (Pascal Greggory, Sylvie Testud, Guillaume Depardieu) dans un cinéma « de la marge ». Après Mods, il se confirme que Bozon aime les hommes en uniforme et les chansons tombant comme un cheveu sur la soupe du récit. Finalement, en racontant cette histoire de femme qui part déguisée en homme pour retrouver son mari sur le front de la guerre de 14 et rencontre un groupe de déserteurs, Bozon parle, comme dans Mods, de cette recherche du groupe comme protection, toujours au risque de l’autarcie, à l’image de son auteur et de sa bande qui a œuvré sur le film. Force du collectif, mais parfois aussi limite du club. Il y a surtout un très beau sens de la dérive et du paysage, rare dans un film français, qui est plus est low budget. Poésie, acteurs et chansons : une bande and the band.
Foster Child de Brillante Mendoza
Crainte à bâbord à l’énoncé du synopsis : « une famille pauvre de Manille est chargée par un service social local de garder des enfants abandonnés avant leur adoption officielle ». Mais l’honnêteté et la simplicité documentaire du film du film balayent toutes les craintes et lui donnent sa force. En s’attachant aux parcours de personnages qui passent sans cesse d’un milieu nanti à un autre plus défavorisé et en se gardant bien de tout pathos ou de toute dénonciation, le film montre une situation avec une grande netteté mais laisse le spectateur libre de développer son propre point de vue. Il n’y ainsi pas tant une confrontation de deux mondes antagonistes qu’une imbrication plus complexe. Enfin, sans aucune nunucherie, le film en dit aussi beaucoup sur la place de l’enfant dans la famille, les amours et les espoirs qu’il fait naître, furent-ils, l’enfant comme les sentiments, simplement « de passage ».
Control de Anton Corbijn
Malgré le triomphe de Ken Loach l’année dernière et la présence de Frears en grand manitou du jury, un seul film anglais sur la Croisette. Par chance, l’un des tous meilleurs, toutes sélections confondues. Présenter le film comme « la biographie du chanteur de Joy Division par le clippeur de Depeche Mode », c’est déjà faire surgir les deux énormes écueils du biopic et du « film de photographes », écueils brillamment esquivés. Car, autre raccourci commode, nous sommes là en présence d’une chronique sociale type Looks and Smiles (le meilleur Loach) traversé par les flamboyances glacées de la cold wave. Film ressenti au pur présent (rare de ressentir aussi peu la reconstitution) et surtout film qui épouse le point de vue d’un jeune homme dépassé par ses fulgurances rimbaldiennes. Sans cliché rock’n roll, Control montre aussi comment la création rock (oui, je sais, Joy Division, c’est pas tout à fait du rock) se nourrit nécessairement du quotidien, pour mieux le vampiriser. Le plus beau dans le cheminement de Ian Curtis, c’est qu’il en train de poser les bases d’une révolution souterraine de la musique, mais qu’il ne le sait pas. Il devient presque un petit frère du Van Gogh de Pialat tant finalement il n’en aurait « rien à foutre de ses chefs d’œuvre » si ceux-ci ne l’aident pas à vivre mieux. Enfin, le meilleur du cinéma anglais : ses acteurs, jeunes, excellents et habités qui font aussi de Control, avec Une vieille maîtresse et La visite de la fanfare le meilleur film de troupe du Festival.
La Question Humaine de Nicolas Klotz
La blessure, le précédent film de Nicolas Klotz aurait déjà pu s'intituler La Question Humaine, tant son propos allait bien au-delà du sort des sans-papiers et interrogeait brillamment ce qui fait l'essence même d'un être: son rapport aux trajectoires contraintes ou librement choisies, son degré d'enfermement subi dans une société occidentale dite libre. Avant tout discours, c’était le rapport à l'espace et la présence au monde qui définissaient le degré de liberté de tel ou tel.
Situé dans le monde de l’entreprise, La Question Humaine ne se présente pas simplement comme "la prise de conscience d'un petit soldat du monde libéral", mais élargit son propos autour des questions de l’Histoire et de la mémoire. Propos complexe et architecture tortueuse, peut-être même trop vastes pour un seul film, mais l’ambition dans le cinéma français, ça fait toujours plaisir. Certains ont reproché au film son aspect théâtral, mais la démarche de Klotz rejoint justement celle des meilleurs praticiens de la scène, tant le travail scénographique impressionne. Qu’y a-t-il sous ces corps costumés, cravatés, presque identiques les uns aux autres ? Il y a des chorégraphies sans danse des costards cravates, et Des gestes qui trahissent, des corps qui pètent les plombs (impressionnante séquence de baston dans une boîte de nuit) et surtout la mise en scènes et en actes d’une parole franche.
La France de Serge Bozon
Avant la projection, la bande à Bozon jurait ses grands dieux que ce que l’on allait voir allait ressembler à « tout sauf à un film français ». Ce sur quoi, quelques spectateurs désorientés à la fin du film ont rebondi en définissant le film comme une parodie de cinéma français. Réponse simpliste à une affirmation crâneuse. Car le film évidemment vaut beaucoup plus que cela. C’est déjà une meilleure tentative, après l’assez pénible Pont des Arts d’Eugène Green, d’accueillir des acteurs « du système » (Pascal Greggory, Sylvie Testud, Guillaume Depardieu) dans un cinéma « de la marge ». Après Mods, il se confirme que Bozon aime les hommes en uniforme et les chansons tombant comme un cheveu sur la soupe du récit. Finalement, en racontant cette histoire de femme qui part déguisée en homme pour retrouver son mari sur le front de la guerre de 14 et rencontre un groupe de déserteurs, Bozon parle, comme dans Mods, de cette recherche du groupe comme protection, toujours au risque de l’autarcie, à l’image de son auteur et de sa bande qui a œuvré sur le film. Force du collectif, mais parfois aussi limite du club. Il y a surtout un très beau sens de la dérive et du paysage, rare dans un film français, qui est plus est low budget. Poésie, acteurs et chansons : une bande and the band.
Foster Child de Brillante Mendoza
Crainte à bâbord à l’énoncé du synopsis : « une famille pauvre de Manille est chargée par un service social local de garder des enfants abandonnés avant leur adoption officielle ». Mais l’honnêteté et la simplicité documentaire du film du film balayent toutes les craintes et lui donnent sa force. En s’attachant aux parcours de personnages qui passent sans cesse d’un milieu nanti à un autre plus défavorisé et en se gardant bien de tout pathos ou de toute dénonciation, le film montre une situation avec une grande netteté mais laisse le spectateur libre de développer son propre point de vue. Il n’y ainsi pas tant une confrontation de deux mondes antagonistes qu’une imbrication plus complexe. Enfin, sans aucune nunucherie, le film en dit aussi beaucoup sur la place de l’enfant dans la famille, les amours et les espoirs qu’il fait naître, furent-ils, l’enfant comme les sentiments, simplement « de passage ».
2 commentaires:
Ai vu hier La Question Humaine et n'en revient pas de l'inanité du projet. Quelle purge que ce film qui pour moi concentre absolument les pires clichés du cinéma français. Il n'y a pas un seul plan, une seule scène auxquels j'ai cru. Vain, vide, désincarné. Quelle horreur !
Ah bon, désolé encore... Serions-nous si rarement d'accord finalement ? C'est vrai que les deux films de Klotz sont en général assez inconfortables, éprouvants voire indigestes, mais contrairement à toi, je trouve sa voix assez singulière dans le cinéma français et assez peu en lien avec d'autres noms. Pour ma part, je crois assez à ce travail sur les acteurs, les voix, les dictions et les corps que je trouve assez poussé et intéressant. Effectivement pas "naturel" ou "réaliste" mais pas "désincarné". Et puis, j'aime assez les scènes de groupe et le travail sur certains décors (comme cette espèce de halle qui sert de boîte de nuit... enfin on sait pas trop).
Enfin, bon, des goûts et des couleurs... J'espère qu'on aura l'occasion de retrouver des points d'accord prochainement...
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