dimanche 13 mai 2007

Le spectacle est dans la rue

« L’homme ne s’accomplit que dans la ville ». Ce propos définitif de Raymond Queneau ne figure pas à l’entrée de l’exposition La rue est à nous… tous (www.larueestatous.com), mais il l’irrigue continuellement. Conçue par et pour les étudiants de la nouvelle Ecole d’Architecture Paris Val de Seine (3-15 quai Panhard et Levassor, jusqu’au 15 juin), ce parcours se veut une véritable démonstration d’urbanité joyeuse, qui trouve dans les espaces fragmentaires et bédéesques de Frédéric Borel une scénographie au diapason de sa bonne et volontariste humeur. Il s’agit, en gros, de montrer que quand bien même, la ville subit force assauts des forces du consumérisme, de la muséification, du fonctionnalisme ou du cloisonnement social, elle parvient à se réinventer pour continuer à offrir des lieux de partage. Propos généreux, démonstration étayée. La ville demeure avant tout un champ de signes, un terrain de jeux, une imbrication de lieux de rencontres set d’expériences sur lesquels il s’agit de rebondir et de faire preuve de créativité.
Tout pour la connexion et le melting-pot, pas une miette de discontinuité, rien pour le morcellement et mort à la ségrégation ! Mot d’ordre pas vraiment surprenant de la part de la génération qui, demain, s’occupera de la ville, mais c’est toujours bon à prendre.
Le morceau de bravoure de cette exposition est un dispositif de « cube immersif » de huit mètres de côté qui accueille sur chacune de ces cinq faces des projections vidéos à l’échelle 1 d’images documentaires d’une quarantaine de métropoles. Là encore principe simple : projections taille réelle, ambiances englobantes, spectacle dans la rue, piétons aux aguets ! Avec ou sans nous, the show must go on. Déjà un regret : que le plafond, occupé par les machines, ne puisse accueillir des projections, ce qui nous prive de belles respirations qui nous feraient « lever les yeux au ciel », la tête dans les nuages. Car on a beau tous être sous le même ciel, il n’y a pas deux densités de toitures, pas deux crêtes de combles, pas deux skylines identiques dans le monde.


Il est difficile de se sortir de l’hypnose produite par ce spectaculaire dispositif imaginé par Bruno Badiche (la photo montre une déclinaison qu'il a produite au Japon), au point que les défauts que l’on peut trouver à cette installation peuvent se retourner en autant de compliments. Il est tout autant recevable d’y déplorer la surenchère de pittoresque ou l’arbitraire du montage que d’y voir dans ses moments les plus réussis, une restitution « cubiste » (ah ! ah ! ah !) d’impressions urbaines contemporaines, difficilement communicables par d’autres moyens que l’enregistrement vidéo. Ainsi, cette singulière diffraction produite par trois travellings juxtaposés. Sur l’écran de gauche, un travelling paisible dans une rue pavillonnaire, sur l’écran de face, l’horizon du freeway, caméra collée au pare-brise, et sur l’écran de droite, troisième travelling sur des quais. Trois vues totalement dissemblables et pourtant unifiées par la simple magie du travelling. Une perspective géométriquement fausse, mais juste dans sa figuration d’une suburbia contemporaine perçue principalement (uniquement ?) depuis le cocon de la voiture.
Quand ça circule entre les écrans, ça marche, ça décolle même. Quand ça reste dans la juxtaposition, c’est moins convaincant. Peut-être parce qu’après l’ivresse de l’immersion, nous cherchons tout de même à remonter à la surface en quête de quelques bornes auxquelles nous agripper.






Cette installation m’a fait revenir en mémoire une œuvre de la vidéaste coréenne Kim Sooja A needle woman (1999-2001 puis 2005). Là encore, idée simplissime. Elle filmée, de dos, immobile, dans une rue passante. Autant de films en boucle que de métropoles (Tokyo, Shanghai, Mexico, Londres, Dehli, New York, Le Caire, Lagos puis dans une seconde série Rio, La Havane, Sana’, N’Djamena, Jerusalem et Patan au Népal). Qu’il y ait des réactions ou pas, que par sa fixité, elle perturbe ou pas l’environnement habituel de la rue, elle filme et nous constatons ce qui se passe. Le résultat est assez saisissant. En s’imposant comme corps inerte, Kim Sooja en dit long sur le flux quotidien de la ville, pas seulement constituée de routes, de transports et de bâtiments mais aussi de regards, de gestes et de frottements entre inconnus dans la foule. Par ce simple principe, elle saisit aussi de nombreux étonnements, étonnements décuplés par l’inertie absolue du modèle dans un contexte très éloigné d’elle. On dira que ce genre de situations et de confrontations culturelles a aussi été filmé dans « Pékin express » sur M6, ce qui n’est pas faux, mais Kim Sooja ne se contente pas simplement de montrer la surprise d’Africains qui n’ont jamais vu une Asiatique. En mettant toutes les villes et les sociétés sur le même plan, elle nous force à nous interroger sur la relativité des notions de pudeur ou de bienséance sociale qui nous paraissent si évidentes.








Si la vidéo de Kim Sooja me paraît aussi percutante, c’est aussi par son arbitraire assumé. Pas de dispositif d’immersion mais tout au contraire, quelques repères nets : un regardeur et des regardés, un champ auquel il manque le contrechamp, mais que nous restituons parfaitement. Tout cela construit une place pour le spectateur, une place d’où il peut saisir une petite part de la ville contemporaine et y poser ses modestes jalons.

Le site de l'artiste: www.kimsooja.com

Des détails sur le "cube immersif": www.maliceimages.com

2 commentaires:

marie a dit…

salut Jo,
est-ce que tu connaît "wherethehellismatt", je ne dis pas que ça a quelque chose à voir avec Kim Sooja, c'est plutôt humoristique. au début c'était une blague et il est devenu une star du net... pour voir ses premières vidéos : http://www.wherethehellismatt.com/dancing2005.html?height=360&width=430

A+

Joachim a dit…

Chère Marie

Très amusante vidéo. Le titre fait aussi penser à la BD (ou devrais-je dire "l'illustré") "Ou est Charlie", qui est aussi une "grande remise en question des règles de bienséance sociale" et "une mise en crise de la pratique de la métropole contemporaine".
Bises à Nico, à Léonie et à toute l'agence.