vendredi 25 mai 2007

99 ans et trois minutes

A propos d'une confrontation inattendue entre un cinéaste quasi centenaire et un cinéaste jeune vieux.
Du temps de leur gloire, il fut dit des Pixies qu’en écoutant n’importe quel extrait de trois ou quatre minutes de n’importe lequel de leurs albums, on était certain d’y dénicher dix fois plus d’idées et d’enthousiasme que dans des tas de discographies complètes de tas d'autres groupes.

Et bien, j’ai un peu ressenti ce type d’impression ce matin en projection. Car avant chaque film, nous avons d’abord droit à un extrait de Chacun son cinéma, le film collectif commandé par le Festival à une trentaine de réalisateurs (33x3 minutes). Ce matin, avant les deux heures de We own the night de James Gray, nous avons donc eu droit à Sole meeting trois minutes de Manoel de Oliveira, trois minutes parmi les 99 de ce long-métrage, trois minutes signées d'un cinéaste de 99 ans. Soit une rencontre (imaginaire vraiment ?) entre Nikita Kroutchev et le pape Jean XXIII traitée sur le mode du pastiche de film muet burlesque. Quel bonheur de voir autant d’ironie maligne, d’acteurs complices (Piccoli, Antoine Chappey et Ricardo Trepa en figure papale), d’insolence tranquille, l’air de rien, sans complexe. Quelle vitalité d’esprit !
Ensuite, We own the night…. Humm, Humm… J’ai beau faire. Je ne vois pas là-dedans le soupçon d’une idée personnelle, quelque chose qui n’appartiendrait vraiment qu’à James Gray et à personne d’autre. Scénario à visée shakespearienne avec sacrifice du père et prévisible rédemption à l’arrivée avec morceau de bravoure obligatoire, casting cinq étoiles, jeu mâchoires serrées et Actor’s Studio pour tout le monde. Mais James, le mini-film de Manoel est aussi une parabole sur le pouvoir, sur l'autorité et la transgression. On n'est pas obligé de faire comme toi, dans les conflits balisés entre frères, dans la métaphore biblique attendue. Tout cela n’est-il pas déjà horriblement balisé, à l’image (ou plutôt à l’audition) d’une BO juke-box pas particulièrement inspirée. S’il te plaît, James, demande à Quentin de te dénicher autre chose que Blondie, les Clash ou Bowie pour faire eighties.
Cinéma Stabilo où tout est souligné par des flash-backs, par le mixage, par des ralentis grotesques. Cinéma sans mystère dans lequel s’engouffrer, contrairement à la belle poursuite finale de Little Odessa traitée en ombres chinoises et gunfights derrière les draps comme un théâtre de faux-semblants. Comme Fincher et Tarantino, Gray a stylistiquement les yeux vissés dans le rétro des seventies. Ce n’est pas une faute. C’est plutôt du bon goût d’élire ces années bénies du Nouvel Hollywood, mais c’est sans doute un fantasme de penser qu’à cette époque, pour les gens qui fabriquaient le Parrain ou des séries Z, l’amour du cinéma passait avant tout, le metteur en scène était le roi et le mot « marketing » paraissait grossier même aux oreilles des décideurs. Le problème de Gray, c’est précisément de regretter d’être né trop tard, de penser que son époque ne le mérite pas, lui qui veut faire « des grands films de metteurs en scène au cœur même du système » comme papy Kazan et tontons Coppola, Scorsese et De Palma. Manoel, lui est quasi centenaire et il est bien dans son temps. Il sait bien que son humour, que ses références, que ses centres d'intérête ne sont pas forcément dans l'air du temps, mais ça ne l'empèche pas de faire des films libres.
Dans un article récent, Gray (ou plutôt sans doute son attaché de presse) se vantait du fait que son film ait obtenu les meilleures notes aux projections-tests depuis... le Parrain 3. Trop fier, le James! Mais James, on ne devient pas cinéaste avec un bulletin de notes. Ou alors, on fait comme toi, des films de premier de la classe, des films remplis de scènes nécessitant des mouvements de caméra et 400 figurants... mais qui restent des films de copistes, écrits en regardant les photos de Pacino et de Brando tapissées dans sa chambre... alors que pour faire un très court-métrage, Manoel lui n'a besoin que de la complicité de trois acteurs qu'il connait très bien et d'une caméra vidéo. Projeté sur le grand écran du Palais, ça tient toujours aussi bien la route...
Mais ne t’inquiète pas James ! Manoel a attendu d’avoir 70 ans pour réaliser Amour de perdition, le film qui a totalement réorienté sa carrière en 1978. Il a cent ans l’année prochaine ! Qu’on lui donne la Palme en 2008 ! Quel beau centenaire ce sera !

PS: Il est maintenant temps de lire les éloges parues de We own the night parus dans la presse.

Photos: Robert Duvall dans We own the night (en haut) et Manoel de Oliveira ont la même attitude. Pas pour autant qu'ils font le même cinéma.

1 commentaire:

Griffe a dit…

Pour les Pixies, je confirme. Pour l'Oliveira, j'attends vraiment de voir.