Right man at the right place but in a wrong situation, Tati a sans doute secrètement béni les dieux pour le déluge tombé deux heures avant le coup d’envoi et surtout pour que l’arbitre ne reporte pas le match. Si l’inauguration du restaurant Royal Garden de Playtime et cette finale avaient été repoussées de 24 heures, les choses se seraient sans doute mieux passées, mais il n’y aurait pas eu de gags, et partant, pas de film.
Forza Bastia, c’est « 24 heures de la vie d’une préfecture», jumelle insulaire du Saint-Maur de Mon oncle, mais qui vit sa journée sur les mêmes soubresauts que la métropole de Playtime. Matinée calme, journée bon enfant jusqu’à que ce que tombent la nuit, le déluge et que tout se dérègle, petit à petit mais en impliquant de plus en plus de monde.
Le burlesque du match dans la gadoue et des ballons bloqués dans les flaques d’eau intéresse finalement peu Tati. Ce qui porte réellement sa marque, c’est exactement comme dans Playtime la captation du rythme de la ville et cet aller-retour entre ce que la foule impose et ce que l’individu peut encore inventer. Incroyable de voir comment tout est purement documentaire et pourtant tout teinte nettement Tati.
Cette façon de scander le temps par le rythme des déplacements, cette fascination pour le manège des voitures et le du cortège mécanique.
Cette dérisoire application des gestes absurdes de la réparation, tout autant Shadocks que Sisyphe.
Le stade de Bastia, comme le restaurant de Playtime sont les lieux vers lesquels toute la ville converge. Arches bien trop petites pour accueillir toute la ville, mais où il est impossible d’y refuser du monde.
Même si Forza Bastia n’est peut-être pas autre chose qu’une note de bas de page au bas d’une filmo chiche mais exemplaire, il éclaire d’un jour assez singulier la dite filmo. Comme si, pour la toute dernière fois où il touchait une caméra (et la toute première où il s’essayait au documentaire), Tati tenait à prendre l’exact contre-pied de sa maniaquerie, de sa démesure sublime qui fait de Playtime à la fois un aboutissement et une malédiction. Au diable, les décors pharaoniques, la maniaquerie des cadres, les mouvements de foule chorégraphiés, le tournage interminable au rythme d’un plan par jour et pour une fois, libérons-nous de notre phobie de chef d’orchestre des corps et des mécaniques, soyons heureux de fureter et d’attraper au vol. Méthodes de travail radicalement différentes, films dont la facture est a priori aux antipodes pour finalement constater une persistance de propos et de regard, qui dépasse le contexte des films.
Bien la preuve qu’il n’y a pas d’épiphanie du documentaire et que quand le réel croise l’œil d’un cinéaste, c’est toujours ce dernier qui le tord à sa manière.
2 commentaires:
Tout son génie réside dans sa faculté à observer...
Brillante analyse ! Merci.
Le plus fascinant dans le cadre du documentaire, c'est d'imaginer que les évènements extérieurs ont préparé le terrain en transformant Bastia en "film de Jacques Tati" sans qu'il n'ait eu besoin de rien faire, alors que pour Playtime, il a dû reconstruire et animer une ville en entier.
Merci de ta venue et de ton commentaire, et de ton goût du furetage dans les archives. Toujours amusant d'avoir un retour un an après avoir écrit le texte.
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