vendredi 29 juin 2007

Journal filmé et roman familial

Empty Quarter, une femme en Afrique (Raymond Depardon 1985) est un film rare à tous les sens du terme. Rare parce que première tentative « très légèrement scénarisée » dans la filmographie du célèbre documentariste. Rare parce qu’il travaille la matière intime en réussissant le fragile alliage entre le journal filmé, la fiction ténue et le documentaire. Rare enfin, parce que j’y retrouve des résonances très personnelles, mais pas là où le film me les propose. L’identification subjective ne s’est pas faite là où elle était attendue. Ce qui me touche le plus directement, ce n’est pas tant le récit du film (même si la fragile rencontre amoureuse et les sentiments en sourdine peints par le film sont très émouvants), que le regard qu’il porte sur une ville : Alexandrie, ville où se déroulent les dernières séquences du film et surtout ville où ont vécu mes grands-parents, mon père et mon oncle (encore enfants) jusqu’en 1954.
De cette ville, je n’avais qu’une connaissance littéraire, jusqu'à l’été 2002, où je m'y rendais pour la première fois. Une expérience étrange : se sentir à ce point et simultanément « étranger » (c’était mon premier « voyage en Orient ») et « familier » avec une ville. Je n’y avais plus guère d’attaches, mais je ne pouvais pas m’empêcher de débusquer des indices ténus sur la présence familiale ou plutôt ses "fantômes".
Ce sentiment d’être à la fois si « familier » et si « étranger », je l’ai ressenti très fortement dans le regard que Depardon pose sur cette ville.

Ainsi, dans plusieurs des lieux traversés dans le film, je ne peux pas m’empêcher d’y voir évoluer ma famille. J’essaye de me placer cinquante ans en arrière et de coller sur les images du film des souvenirs familiaux, quand bien même ils demeurent fortement fantasmés.
Cette vue...


... ce ne serait-elle pas celle de l’appartement familial ? Ce qu’il y a de bien dans cette ville, c’est qu’où l’on se trouve, la mer n’est jamais loin et que vues souvent dégagées.

Et là je jurerais que plus d’une sortie du dimanche après-midi s’est déroulée entre ces murs :




Et là, en me baladant le long de cette corniche curviligne....

... je compris pourquoi ma grand-mère tenait tellement à passer tous ses étés au Lavandou , station varoise dont le bord de mer reproduit exactement la même incurvation. En même temps, elle aurait pu tout aussi bien aller à la villégiature à La Baule , qui pour la courbe n’est pas mal non plus. Mais il paraît qu’il y a moins de soleil et qu’on entre moins facilement dans l’eau.

Voilà pour les images qui me permettent de me la jouer petit Modiano.

Mais au-delà de toutes ces correspondances, le film de Depardon est rempli de moments « en creux », qui pourtant impriment durablement la mémoire, type de moments que l’on ressent préférentiellement en voyage. Comme ces moments où, au réveil, l’on observe depuis sa chambre d’hôtel le mouvement de la ville.


Etre ailleurs a pour vertu de transformer le quotidien en un spectacle dont l’œil du voyageur ne se lasse pas. On est l’abri, quelques étages au-dessus du trottoir. Encore quelques petits instants de contemplation, de découverte avant de se devoir se lancer dans le grand bain de la ville, au ras du bitume.

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