lundi 25 juin 2007

Teenage Angst

A la fin de La vie aquatique (Wes Anderson 2005), il est conclu que «11 ans et demi est le plus bel âge de la vie ». Dans l’autoportrait qui figure dans le DVD de ses clips, Michel Gondry clame « I’ve been 12 forever ». La vie de Daniel Johnston telle que narrée dans The devil and Daniel Johnston (Jeff Feuerzeig 2005) ressemble à un jour sans fin où il serait condamné à parcourir éternellement l’imaginaire de ses 15 ans trois quarts. Et ça n'a rien d'une balade dans le paradis perdu de l'enfance. Plutôt un itinéraire flippant, mais traversé par de rares moments d’innocence. Une vie qui serait un disque continuellement rayé, renvoyant une mélodie sourde et désaccordée, mais dont chaque saute subjuguerait.

Quand on avait quinze ans et qu’on allait vers seize, on est tous tombé amoureux d’une fille au collège qui en préférait un autre. On a tous cru naïvement qu’en lui écrivant une chanson ou un poème, cela allait rétablir la situation. On a tous mis tout notre cœur dans cette fameuse œuvre ou chanson. Un (très court) moment, on a cru que rien de plus beau n’avait été écrit… et puis on est vite retombé sur terre. Ce n’est pas le cas de Daniel Johnston car en écrivant plus d’une centaine de chansons pour la fameuse Laurie, son premier amour de collège, il a trouvé le secret des chansons griffonnées, des complaintes dissonantes qui touchent droit au cœur. Pour preuve, Beck, Dominique A, Palace Brothers, Yo la Tengo et autres héros low fi ont tous cherché leur inspiration du côté de Johnston, quand ils n’ont pas carrément enregistré quelques magnifiques duos (Speeding Motorcycle avec Yo La Tengo).

Et pourtant aujourd’hui, Daniel Johnston vit toujours chez ses parents, reste toujours amoureux fou de son premier béguin de collège, gratte toujours aussi mal sa vieille guitare et poursuit une abondante production de dessins (dont certains valent chers sur e-Bay ) d’une inspiration monstrueuse et naïve, inchangée depuis l’adolescence.
C’est parce qu’en même temps qu’il a trouvé le secret de ses chansons, Daniel Johnston est devenu véritablement fou, possédé et irresponsable au point d’avoir poussé sa logeuse par la fenêtre et fini en HP, où inlassablement, il a continué à composer et à enregistrer ses chansons sur son magnétophone.

Le plus beau du documentaire The devil and Daniel Johnston est de parvenir, sans éluder la douleur et le tragique que Johnston a répandu autour de lui, à montrer comment sa musique est encore plus qu’un « rock art brut », encore plus qu’une thérapie, encore plus qu’une échappée hors de la lourdeur de son background psychiatrique. Car quand DJ chante, il s’octroie une pause dans le cours de sa vie enrayée. Enfin, tout tourne rond chez lui. Enfin, son esprit devient simple, va droit au but, et son but, ce n’est pas autre chose que de s’octroyer des capsules d’innocence. Ses chansons dénudées ne visent pas autre chose, mais c’est déjà immense.

La valeur du documentaire vient aussi de la qualité de sa matière première : super 8 (mais des tentatives scénarisées), bandes vidéo, passages en contrebande sur MTV (là une sorte de radio-crochet, là Kurt Cobain qui lui rend hommage) et surtout K7 audios directement imprimés par l’esprit de Johnston, fragments qui ne livreront jamais l’énigme de l’esprit de son auteur, fragments à mettre en regard de la dévotion, l’inquiétude et/ou l’incompréhension manifestée par l’entourage du chanteur. Cette précarité du matériau intime et ces échos de comptines discordantes, sans doute ce qui restera comme traces de la vie de DJ, une vie qu’on ne souhaite à personne, une vie gribouillée, mais qui vaut bien quantité de vocations tracées à la règle.


Une autre critique et description assez précise du film sur ce blog

Site officiel du film et www.hihowareyou.com le site de Daniel Johnston où l'on peut commander plein de K7 faites à la main