lundi 9 avril 2007

Faut-il toucher à Balzac ?

Une adaptation soignée. Des acteurs habités. Une mise en scène au cordeau. Et pourtant Ne touchez pas la hache de Jacques Rivette ne m’émeut guère. Plus grave (enfin simplement pour moi et je m’en remettrai), ce film ne m’excite guère sur le plan du cinéma. Alors, faut-il toucher à Balzac ? Est-il soluble dans le cinéma ?

Pourtant Rivette s’était déjà attelé à Balzac et ce qui les réunit a déjà longuement été évoqué ailleurs : le goût pour les sociétés secrètes, la description du Paris en mutation comme labyrinthe ou jeu de pistes.


Mais c’est sans doute ça qui manque ici : pourquoi Rivette se cantonne-t-il à ce point à ces scènes de salons, certes toujours très bien écrites, dirigées, jouées mais qui finissent par produire une sensation d’étouffement obsessionnel. On me dira que l’obsession et l’entêtement orgueilleux sont précisément le sujet du film. J’apprécie, en général, les œuvres obsessionnelles, mais précisément quand je me rends compte qu’à force d’appuyer sur le même clou, elles dégagent des émotions inédites (aussi bien chez Bresson que chez Wong Kar Wai). Pas grand-chose de tel ici où le film fini, j’ai eu le sentiment d’une forte absence de contrechamp.


Ce qui m’a gêné ici, c’est peut-être d’avoir attendu, durant tout le temps de la projection, ce que j’ai tellement apprécié dans les autres films de Rivette : le sens du trajet, de l’aventure voire de la perdition au coin de la rue. Lui qui filme si bien les trajets dans Paris, pourquoi, dans son dernier film, met-il si peu le nez dehors ? Pourquoi n’a-t-on aucune idée de la distance physique qui sépare les demeures de Montriveau et de Langeais ? Pourquoi un simple intertitre nous informe-t-il que « la duchesse regardait Paris pour la dernière fois » (je cite de mémoire) ? Je sais bien que le budget du film était plus que modeste. Mais sans appeler à la reconstitution pittoresque, cette privation volontaire de filmer la ville et ses signes de pierre est plus qu’étrange. D’autant plus que c’était la grande force du Pont du Nord, fiction initiatique dans un Paris en friche minée par la ruine et les chantiers (Bercy, le parc Georges Brassens, la Villette).


Ces traces d’un Paris mutant sont toujours chez Rivette de formidables embrayeurs de fiction. Il suffit qu’un seul personnage croit à une aventure possible (Bulle Ogier dans Le pont du Nord ou bien Céline ou bien Julie ou bien…) pour que cette aventure démarre. Ici, la charrue est peut-être mise avant les bœufs, la fiction déjà écrite avant d’être filmée, le jeu de piste déjà balisé avant d’avoir été exploré.

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