Il organise aussi bon nombre de « séances spéciales » dont celle de vendredi dernier à Saint-Denis intitulée « du faubourg ouvrier à la banlieue contemporaine, lieux de la marge ». Moi-même qui ne fréquente la banlieue principalement sous des prétextes culturels, pour me rendre à la MC 93, au Théâtre de Saint-Denis ou au Ciné 104 et évidemment conscient qu’elle n’est pas une entité homogène, j’étais fort curieux de voir ce que nous renvoyaient ces films réalisés entre 1946 et aujourd’hui.
Le tout premier Aubervilliers (Eli Lothar 1946) est un documentaire édifiant, mais poétique à moins qu’il ne soit édifiant à cause de sa poésie. C’est comme si Carné avait eu l’intuition de Pasolini (la poésie des faubourgs avec les trognes des habitants) ou comme si les photos de Doisneau étaient passées à l’acide de la crasse, la misère et la maladie, tout en gardant leur humanisme. Il n’est rien de dire que cette commande du PCF et de la Ville d’Aubervilliers n’enjolive pas la réalité et l’insalubrité de la commune au sortir de la ville, mais elle le fait en célébrant avec modestie et ferveur une dignité qu’aucune personne filmée n’a daigné abandonner dans les heures sombres de la guerre ou dans l’enfer du travail dans les usines chimiques de Saint-Gobain.
Sarcelles ville nouvelle (David Haddad 2006) bien que distant de soixante ans et absolument déserté de toute présence humaine pourrait lui aussi être taxé d’édifiant. Certains spectateurs ne lui ont pas manqué de lui reprocher son aspect « syndicat d’initiative », mais le film a le grand mérite de prendre à contre-pied les images associées à la ville bétonnée pour montrer sa réalité duale. Le « drame » de ces communes, c’est qu’elles sont passées directement du vieux fonds villageois au bétonnage tous azimuts, en sautant les étapes « naturelles » du développement urbain. Du coup, c’est cette coexistence qui est à inventer. Et le tout dernier plan, absolument stupéfiant, montre une coexistence là où l’on attend le moins : en confrontation directe avec Paris, la ville lumière pourtant à vingt kilomètres de là. On y voit, filmé en accéléré, le jour qui tombe, et tout au loin, la Tour Eiffel s’illuminer. Au fur et à mesure que la lumière tombe, les lumières des appartements s’allument dans les barres d’immeubles et la Tour Eiffel continue à scintiller. Le noir se fait. On ne distingue plus les formes des bâtiments, seule une forme de guirlande lumineuse, Sarcelles devant, Paris derrière. La ville lumière n’est plus celle qu’on croit.
Passons ensuite sur Occupation (John Menick 2006), statique car-movie (un road-movie à l’arrêt) au bord du canal de l’Ourcq, caricature d’ « art subventionné », poseur, réfutant tout récit et toute émotion pour se rendre intéressant, ce qui lui ôte tout intérêt.
Sarcelles ville nouvelle (David Haddad 2006) bien que distant de soixante ans et absolument déserté de toute présence humaine pourrait lui aussi être taxé d’édifiant. Certains spectateurs ne lui ont pas manqué de lui reprocher son aspect « syndicat d’initiative », mais le film a le grand mérite de prendre à contre-pied les images associées à la ville bétonnée pour montrer sa réalité duale. Le « drame » de ces communes, c’est qu’elles sont passées directement du vieux fonds villageois au bétonnage tous azimuts, en sautant les étapes « naturelles » du développement urbain. Du coup, c’est cette coexistence qui est à inventer. Et le tout dernier plan, absolument stupéfiant, montre une coexistence là où l’on attend le moins : en confrontation directe avec Paris, la ville lumière pourtant à vingt kilomètres de là. On y voit, filmé en accéléré, le jour qui tombe, et tout au loin, la Tour Eiffel s’illuminer. Au fur et à mesure que la lumière tombe, les lumières des appartements s’allument dans les barres d’immeubles et la Tour Eiffel continue à scintiller. Le noir se fait. On ne distingue plus les formes des bâtiments, seule une forme de guirlande lumineuse, Sarcelles devant, Paris derrière. La ville lumière n’est plus celle qu’on croit.
Passons ensuite sur Occupation (John Menick 2006), statique car-movie (un road-movie à l’arrêt) au bord du canal de l’Ourcq, caricature d’ « art subventionné », poseur, réfutant tout récit et toute émotion pour se rendre intéressant, ce qui lui ôte tout intérêt.
J’avais déjà pas mal entendu parler de Sur la piste (2006) et de son auteur Julien Samani que l’on m’avait dit très charismatique. C’était même ce seul titre qui m’avait décidé. Je ne sais pas si Samani a été influencé par Gus van Sant, mais j’y ai pensé dès le premier plan avec sa caméra aimantée par les trajets des personnages. Pourtant, bien loin d’être « sous influence », son film n’est pas loin d’avoir la même force que son modèle supposé. L’idée est toute simple : suivre un groupe de jeunes qui traînent en bas des barres de La Courneuve et voir leurs pérégrinations « sur la piste », dans l’espace social qu’ils semblent habiter avec plus ou moins d’aisance, le plus clair de leur temps. On ne les voit jamais dans leurs familles et l’on sent bien, au détour d’une séquence où l’un des jeunes prend congé du réalisateur, qu’il est hors de question de les filmer dans leur famille. L’autre très belle idée est d’avoir choisi (mais le réalisateur dira qu’il s’agit plutôt de circonstances) un groupe de jeunes vraiment jeune (12-13 ans) alors que ceux que l’on voit « passer à la télé » ont plutôt cinq voire dix ans de plus. L’attendrissement facile à découvrir des jeunes de cet âge est constamment déséquilibré par la dimension limite de leurs pérégrinations et leur flirt avec la « déconnade » voire la délinquance.
J’ai rarement vu un film qui communique à ce point des sensations antagonistes, mais inséparables, sensations viscéralement liées aux personnes filmées : le mouvement et le sur-place, l’insouciance et la gravité, la légèreté et la souffrance et même l’immaturité et la maturité.
Grand, le regard intense et habité par son film, tel est apparu Julien Samani après la projection. Contrairement à beaucoup de personnes dans la salle, il ne connaissait pas grand-chose de la banlieue avant d’y faire son film, mais il n’a rien d’un dandy venant chercher de l’exotisme social à La Courneuve. Tout au contraire, lui comme son film montrent à quel point le cinéma peut être un puissant outil tactile d’appréhension du monde et de la société, surtout dans un contexte dont on ne comprend pas grand-chose et sur lequel on se gardera bien d’apporter des réponses. Là encore, Elephant n’est pas loin.
Mais la vraie et belle découverte de cette projection restera Le mariage de Clovis de Daniel Duval (1969). Film qui commence comme un reportage de « Cinq colonnes à la une » sur ledit Clovis, sortant de prison, vivant dans une cabane sur un terrain vague d’Argenteuil et gagnant sa vie de ferrailleur en désossant des carcasses de voitures. On craint donc l’instantané pittoresque et sociologisant, mais petit à petit un vrai miracle s’opère. L’amitié et la confiance naissent entre le réalisateur et son modèle. D’un film « social », nous passons à un vrai film d’amour. Clovis est amoureux. Clovis va se marier. Clovis va enfin démarrer sa vie. Clovis sent que le film doit surtout faire partager cela à la place d’un constat social. Du coup, nous aussi nous regardons Clovis et sa future femme comme des amis. Il y a une troisième femme qui est là et qui ne dit pas un mot. Comme elle ressemble assez à la mariée, j’ai supposé que c’était sa sœur, mais je n’en saurai jamais plus. Il y a dans ces quinze minutes qui aboutissent au mariage le partage d’une émotion et d’une obsession rare : le couple comme utopie sauvage et enfantine, hors du monde mais voulant aussi le prendre à témoin de son pur amour, loin des apparats et des convenances, bourgeoises diront certains. Je croyais que ces thématiques n’étaient explorées que dans les films de Vigo, de Garrel ou d’Eustache et là, je découvre qu’elles irradient quinze petites minutes d’un cinéaste dont j’ai toujours snobé les films (La Dérobade et Le temps des porte-plumes, rien que les titres, mouaif). Comme quoi, les plus grandes découvertes ne sont pas toujours du côté des auteurs consacrés. Rien que pour ça, ça valait le coup d’avoir déniché cette pépite dont son auteur doit être plus que fier et devrait sur le champ intégrer dans ses DVD.
J’ai rarement vu un film qui communique à ce point des sensations antagonistes, mais inséparables, sensations viscéralement liées aux personnes filmées : le mouvement et le sur-place, l’insouciance et la gravité, la légèreté et la souffrance et même l’immaturité et la maturité.
Grand, le regard intense et habité par son film, tel est apparu Julien Samani après la projection. Contrairement à beaucoup de personnes dans la salle, il ne connaissait pas grand-chose de la banlieue avant d’y faire son film, mais il n’a rien d’un dandy venant chercher de l’exotisme social à La Courneuve. Tout au contraire, lui comme son film montrent à quel point le cinéma peut être un puissant outil tactile d’appréhension du monde et de la société, surtout dans un contexte dont on ne comprend pas grand-chose et sur lequel on se gardera bien d’apporter des réponses. Là encore, Elephant n’est pas loin.
Mais la vraie et belle découverte de cette projection restera Le mariage de Clovis de Daniel Duval (1969). Film qui commence comme un reportage de « Cinq colonnes à la une » sur ledit Clovis, sortant de prison, vivant dans une cabane sur un terrain vague d’Argenteuil et gagnant sa vie de ferrailleur en désossant des carcasses de voitures. On craint donc l’instantané pittoresque et sociologisant, mais petit à petit un vrai miracle s’opère. L’amitié et la confiance naissent entre le réalisateur et son modèle. D’un film « social », nous passons à un vrai film d’amour. Clovis est amoureux. Clovis va se marier. Clovis va enfin démarrer sa vie. Clovis sent que le film doit surtout faire partager cela à la place d’un constat social. Du coup, nous aussi nous regardons Clovis et sa future femme comme des amis. Il y a une troisième femme qui est là et qui ne dit pas un mot. Comme elle ressemble assez à la mariée, j’ai supposé que c’était sa sœur, mais je n’en saurai jamais plus. Il y a dans ces quinze minutes qui aboutissent au mariage le partage d’une émotion et d’une obsession rare : le couple comme utopie sauvage et enfantine, hors du monde mais voulant aussi le prendre à témoin de son pur amour, loin des apparats et des convenances, bourgeoises diront certains. Je croyais que ces thématiques n’étaient explorées que dans les films de Vigo, de Garrel ou d’Eustache et là, je découvre qu’elles irradient quinze petites minutes d’un cinéaste dont j’ai toujours snobé les films (La Dérobade et Le temps des porte-plumes, rien que les titres, mouaif). Comme quoi, les plus grandes découvertes ne sont pas toujours du côté des auteurs consacrés. Rien que pour ça, ça valait le coup d’avoir déniché cette pépite dont son auteur doit être plus que fier et devrait sur le champ intégrer dans ses DVD.
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