L’histoire se poursuit parce que chacune veut rentrer à tout prix dans la fiction de l’autre.
L’histoire devient folle, quand chaque héroïne se substitue à l’autre, quand chacune des deux héroïnes devient tour à tour actrices et spectatrices de sa propre histoire.
La traversée du miroir se fait sous les projecteurs d’un cabaret minable où les héroïnes paraissent contraintes de livrer leur image en pâture aux yeux des spectateurs.
Tout se noue et se dénoue, s’embraye et se débraye dans des trajets en voiture conduits par des chauffeurs inconnus, des trajets sur les crêtes de la ville, Los Angeles…. Ou Paris.
Tous ces indices concordants ! Bon sang, mais c’est bien sûr ! Le véritable film matrice de Mulholland Drive (David Lynch 2001), ce n'est pas Sunset Boulevard (Billy Wilder 1950) mais bien Céline et Julie vont en bateau (Jacques Rivette 1974).
Ainsi l’œuvre somme du plus maniaque, du plus claustro, du plus postmoderne des cinéastes était-elle déjà en germe dans le film le plus enfantin, le plus ludique, le plus improvisé de la Nouvelle Vague. Quand le cinéma le plus « under control » prête allégeance au film le moins contrôlé qui soit.
2 commentaires:
Extrêmement vrai, à la réserve près que dans Mulholland Drive, les spectres des deux étoiles triomphent de leurs êtres, tandis que dans Céline et Julie, c'est l'innocence enfantine qui est sauvée par une jeunesse qui échappe de peu au marquage indélébile de la tradition - cependant que la dernière scène du film (Céline, au départ suivie par Julie, endossant le rôle de cette dernière) laisse présager un motif cyclique de la répétition (et qui est en œuvre dans la maison de la rue du Nadir-aux-Pommes). Le premier est donc une sorte de ruban de Möbius véhiculant un amour presque malsain pour l'art, tandis que le second est une fable de la révolution à la fois artistique (la jeunesse du cinéma parlant qui prend le pas sur le théâtre) et physique (à la fois dans le comique de répétition, dans le ressassement des mêmes scènes avec d'infimes variations, ainsi que dans ce motif de la spirale infernale). Reste que Lynch, avec Rivette et de Palma, est bien le cinéaste du renouveau artistique via la figure de l'enfance (du cinéma, du spectateur) sacrifiée.
Extrêmement vrai, à la réserve près que dans Mulholland Drive, les spectres des deux étoiles deviennent reflets de la ville-cinéma, voués à la postérité, tandis que dans Céline et Julie, les deux héroïnes sauvent in-extremis leur part d´enfance encore intacte des griffes d'une tradition dont la (re)découverte aurait pu les transformer en pantins du passé (la dernière scène, où Julie la traqueuse devient la suivie, semblant annoncer un cycle de répétitions qui se prolongeraient au-delà du métrage). D´un côté, un film-ruban de Möbius en forme d´infinie fascination, au sein duquel circule le virus malsain d´un amour morbide et mélancolique de l´art; de l´autre, une oeuvre qui prône à la fois la redécouverte des vestiges du passé et la destruction des icônes. Un film sur la révolution, comme moyen de résistance contre la stagnation de l´art (les deux jeunes filles pervertissant toute bien-séance théâtrale), mais aussi comme mouvement physique (le motif de la spirale infernale qui recouvre le comique de répétition, la réapparition des mêmes scènes avec d´infimes variations). Reste que David Lynch, avec Rivette et de Palma, est bien le cinéaste de la mélancolie de la perfection passée, et de la jeunesse/enfance (du cinéma, incarnant le renouveau de son regard dans celui des acteurs et du spectateurs qui se fondent souvent en un même corps cinématographique) sans cesse mise en péril par ce poids bien lourd.
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